La Terre a des nausées, souillée par l’inconscience et la cupidité des
humains. Désertification, fonte des glaciers, hausse prévisible des eaux,
tornades de plus en plus fréquentes et violentes. La mort annoncée de la planète est palpable comme les premiers symptômes
d’un cancer du poumon. Les puissants sourient devant les cris et les
protestations des affamés. Les massacres se multiplient ? La bande de Gaza et
l’Ukraine sont à feu et à sang et le virus Ebola frappe comme la peste au
Moyen-âge. Ne reste-t-il qu’à chanter sa désespérance devant un monde qui semble
avoir de moins en moins d’avenir. Jean Charlebois, dans Au même moment, se fait particulièrement percutant.
Jean Charlebois écrit de la
poésie pour son bonheur et sa désespérance, travaille aussi comme rédacteur
pour différentes entreprises. Il faut bien assurer sa survie. Il en est ainsi
pour ceux et celles qui fréquentent les mots et font des livres que de moins en
moins de lecteurs fréquentent. À se demander si un jour nous ne replongerons
pas dans une grande noirceur où les œuvres littéraires ne seront connues que
par quelques ermites ou esthètes.
Les escapades du poète comme
rédacteur lui ont donné une conscience particulière de l’état de la planète et des
mutations qui risquent de bousculer la vie dans les années à venir. La Terre a
toujours été vivante, changeante, mais les activités humaines depuis un siècle accélèrent
tout. Suffisamment pour que tout bascule ?
Le présent n’en a plus pour très longtemps, car, déjà, il pèse sur nous
de toutes ses urgences et nous presse de nous aimer plus, avant la fin du
monde. Rien de moins. Le présent, rien qu’à le voir, n’est plus éternel. Il
suffit d’ouvrir les yeux ! Le modèle a fait son temps. Certains diront même
qu’il a déjà tout donné. (p.13)
Que faire devant un tel
désastre ? Que dire devant un avenir qui ratatine ? Nous avons toujours imaginé
une existence sans heurts, sans bousculades et des civilisations qui traversent
toutes les époques. Nous avons toujours voulu que le temps fige dans une forme
d’éternité. L’histoire nous apprend pourtant que tout est éphémère. Les grandes
civilisations ont connu leur apogée et un déclin avant de disparaître. Tous les
indices montrent que l’Occident cherche son souffle et n’arrive plus à redonner
un élan. Le matérialisme à tout prix a atteint ses limites. Particulièrement aux
États-Unis d’Amérique. Ce pays est en faillite et il continue de dicter une
conduite au monde. Il faut lire la fresque de Marie-Claire Blais, celle qui
débute avec Soifs, pour prendre
conscience de cette décadence.
Ressource
Que faire quand les mots deviennent
notre seule ressource ? Jean Charlebois se préoccupe des changements
climatiques et ne peut demeurer insensible devant les égarements de notre
civilisation. Il transmet sa peur et sa désespérance dans des échappées
poétiques où il tente de retenir l’attention de la femme qui le magnétise et l’interpelle.
L’amoureuse à qui il s’accroche comme à un continent qui ne cesse de se dérober.
Une complainte hallucinante où la vie s’impose dans une sorte de frénésie. L’amour,
après tout, est ce qui permet la vie. L’amour permet la transmission de
l’héritage et assure l’avenir. Aimer pour que tout recommence et peut-être
changer le passé en s’inventant un futur.
Puis tout à coup beaucoup plus loin en arrivant vite toi tes hanches neige tes yeux de renarde argentée ta vaste vivacité qui m’ouvre grandes les
pupilles ton clafoutis tes crèmes pour le corps tes mots repères tes orteils de diable ton riche écho et comme une intervention sans anesthésie tes mains dans ma tête pour reconstruire
mes yeux sur la terre comme au ciel
(p.100)
Une prière pour cultiver
l’espoir, garder une petite flamme qui permet de voir autour de soi et en soi. Espérance,
mais aussi conscience des bêtises et des obsessions humaines ; conscience de
l’aveuglement de ses semblables qui ne peuvent renoncer à leur égoïsme pour
penser autrement, envisager le maintenant de tous les humains et leur avenir. Voilà
que je pense à Stephen Harper en écrivant ces phrases…
Mes semblables ont besoin d’eau, de nourriture, de médicaments, de
vêtements pour vivre. Pour vivre sans avoir l’air morts. La Terre est un site
touristique prisé des riches. Les non-riches sont des bactéries en forme de
bâtonnets, parasites des riches, qui leur servent à ouvrir des portes, à verser
des scotchs ou à frotter de rutilantes voitures noires. (p.37)
Ne sommes-nous qu’une
conscience à la dérive ? Des aveugles dans la nuit qui s’inventent des fables
pour calmer leur peur et leur angoisse ? Ne sommes-nous capables que de
mensonges dans cette grande course à la destruction ? Et s’il y avait autre
chose, si ce que nous voyons n’était pas ce qui existe. Le poète attise
l’espoir, calme sa peur, veut croire en la réalité du jour.
— Se pourrait-il qu’il y ait une espèce de vie
parallèle à la vie qui nous pend au bout du nez ? Parallèle à la vie que nous
avons connue. Et est-ce que cette vie-là s’amuse à brouiller nos pensées de
toutes sortes de folies pour simplement observer, voir, expérimenter ? (p.39)
Comment être certain que nous
ne sommes pas qu'un mirage, une lueur dans un ciel sans lune ?
L’amour
La vie ne peut s’ancrer que dans
un présent tronqué où il faut aimer, trouver une certaine présence dans les
yeux de la femme, celle qui porte la vie, celle qui nous renvoie notre désir et
notre amour.
La poésie de Charlebois est particulièrement
inquiétante et délirante. Elle bouscule, ébranle et parvient à attirer
l’attention de l’amoureuse. Il s’abandonne à des mains aimantes qui peuvent le
réinventer. Un chant désespéré, mais combien vivifiant ! Jean Charlebois nous propulse
dans la fragilité des mots et du langage, un espace où il est possible de respirer dans les yeux des autres[1].
L’avenir ne peut se cacher que dans les soupirs de l’amoureuse, l’élan qui
pousse hors de soi et ramène à soi. Ce poète connaît le sens premier de la
poésie qui est d’interroger le réel, la vie, de sonner l’alarme. Moi qui ne
fréquente guère les poètes de maintenant, parce qu’ils s’amusent à construire des
maisons inhabitables au milieu des déserts, je me suis surpris à lire ces poèmes
à haute voix, à vouloir être là plus que jamais pour toute la beauté qui nous
entoure et que nous ne savons que souiller. Comment s’arracher à cette tornade qui
ne s’arrêtera que dans la terrible collision du présent et de l’avenir ? Les
poèmes de Jean Charlebois sont des bouées au milieu du grand fleuve
Saint-Laurent qui nous préviennent que le récif est là, devant, et que nous
risquons de nous échouer si nous ne donnons pas un coup de barre. Une poésie
comme il ne s’en fait plus.
Au même moment de Jean
Charlebois est paru chez Les heures bleues. 21,95 $.
[1]
Allusion au recueil de poésie de
Carol Lebel intitulé : Difficile de
respirer dans les yeux des autres.
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