dimanche 12 mai 2013

Mathieu Boutin explore le monde musical


Roman fascinant que «L’oreille absolue» de Mathieu Boutin. Si au début, j’ai eu l’impression que la trame romanesque n’était qu’un prétexte pour parler de la musique, je me suis rapidement ravisé. L’action est là, étonnante, empruntant des tonalités inédites. Les personnages sont colorés et singuliers dans leur manière de s’accorder à la vie. Le tout comme une partition où tous les instruments trouvent une place et une voix distincte.

On dit d’un musicien qu’il a l’oreille absolue quand il sait détecter les moindres nuances des sons et des notes. C’est le cas de Robert Dubreuil, violoniste dans un orchestre symphonique où il s’efforce de devenir invisible. C’est possible dans un grand ensemble avec les nombreux instrumentistes.
Il y a aussi un quatuor qui joue à gauche et à droite pour payer les courses et les loyers. Que des filles! Annie la directrice, un caractère de chien, Marianne son amoureuse, Juliette la violoncelliste et Clothilde, la violoniste. David remplace parfois Marianne dans l’ensemble qui se produit dans les mariages, les funérailles, des baptêmes, des rencontres de Noël où la musique est là comme trame de fond. Du travail assez frustrant pour ces artistes qui rêvent de jouer devant un vrai public et peut-être aussi dans de grandes salles.

Le couple

La véritable histoire de «L’oreille absolue» tourne autour de Jasmine, une femme magnifique, une pianiste originale et fantasque, une professeure recherchée. Elle a eu un fils, né sous le piano presque, un grand musicien traumatisé par sa mère, sa vie tumultueuse et ses nombreux amants. L’enfant a subi ses lubies et ses obsessions, ses rages aussi.
«S’il avait eu son violon, il aurait pu courir se réfugier au salon, sortir l’instrument en vitesse et se mettre à jouer le Printemps, cette sonate de Beethoven, celle qu’il lui jouait, enfant, pour la consoler de ses chagrins, pour la sortir de sa détresse. Parce que, depuis toujours, jouer du violon était la seule façon pour Robert de communiquer avec sa mère, d’obtenir un instant son attention, de lui rappeler qu’il existait, qu’ils étaient ensemble, et que tout irait bien, c’est promis, tant que la musique continuerait.» (p.81)
Jasmine souffre de la maladie d’Alzheimer. D’humeur changeante, elle ne reconnaît personne, pas même son fils.
«Jasmine n’était pourtant pas devenue muette, mais le sens des mots, de ceux qu’elle prononçait comme de ceux qu’elle entendait, de ceux par lesquels ses idées et ses sentiments s’étaient toujours formulés dans son esprit, s’aventurait chaque jour un peu plus au-delà des sentiers connus. Il n’était pas perdu, mais alors que les routes de jadis avaient toujours été balisées de cailloux blancs, Jasmine ne disposait plus que de miettes de pain. Et les corbeaux qui tournaient au-dessus de sa tête étaient voraces.» (p.153)

Robert ne se résout pas à la placer dans un endroit où l’on s’occupe des gens qui sont atteints par cette terrible maladie. Un jour, la mère le prend pour un voleur et le blesse aux deux mains avec un couteau. Le drame pour le violoniste. Il prépare le concours où David pourra le remplacer dans l’orchestre symphonique. Jasmine qui l’accompagne aux auditions, il ne peut la laisser seule, bondit sur la scène, reconnaissant le son du violon, celui du père de Robert. Un amant qui a abandonné Jasmine enceinte. Tout se boucle alors.

Musique

Quelle belle manière de faire sentir, voir et être dans l’univers de la musique. Comme si le lecteur que je suis pouvait enfin déchiffrer une partition de Bach, de Mozart ou de Vivaldi.
Mathieu Boutin, musicien de formation, nous plonge dans un roman d’action doublé d’une véritable aventure musicale. Il connaît le travail des musiciens, décrit leur fascination pour certains compositeurs et leur manière de vivre des sensations uniques.
Tout cela avec des relations amoureuses mouvementées dans le cas de Marianne et Annie. Un peu étrange du côté de Juliette et Robert. David et Clothilde s’accordent parfaitement. Tous sont au diapason.
Des personnages bien campés, une action qui vous emporte dans les mouvements d’une symphonie. Parfois, c’est lent et parfois l’allégro devient frénétique. Ce n’est pas un exploit quelconque que de faire vivre la musique. Mathieu Boutin réussit cette aventure avec une originalité et un savoir particulier. Un travail de premier violon ou de chef d’orchestre.

«L’oreille absolue» de Mathieu Boutin est paru chez Druide.

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