LOUISE PORTAL propose sa biographie écrite en collaboration avec Samuel Larochelle. Un regard sur le parcours de la comédienne, de la chanteuse et de l’écrivaine que nous connaissons, un formidable témoignage surtout. On pourrait parler d’une réflexion ou d’un témoignage, tellement Louise Portal, Aimer, incarner, écrire cerne les réalisations de cette femme exceptionnelle. Que dire, que retenir de ce parcours qui sort des sentiers battus et a fait de la petite Lapointe, née à Chicoutimi, une figure marquante de la scène, du cinéma, de la chanson et de la littérature ? Comme si Louise Portal avait vécu plusieurs vies, pouvant muter pour révéler l’être multiple qui se dissimule en elle. Jouer dans tout près de cinquante films, se faire connaître sur scène avec quatre albums de chansons et de musiques en plus de signer une vingtaine de livres, ce n’est certainement pas à la portée de tout le monde. Louise Portal y est allée à fond pour dire le meilleur d’elle en ayant du temps pour certains organismes sociaux, les Correspondances d’Eastman surtout, qu'elle a fondé, un événement couru par les écrivains et les écrivaines depuis les débuts. Une existence occupée et magnifique de remous, de moments plus difficiles et d’embellies extraordinaires. La vie n’a jamais été un long fleuve tranquille pour Louise Portal.
Le livre échappe aux balises qui marquent le genre, à l’image de la femme qui a fait de sa vie une quête, cherchant à exprimer tout ce qu’elle ressentait en elle par différentes voies artistiques. Elle a toujours voulu esquisser ses propres sentiers. Un besoin d’incarner des personnages sur scène et au cinéma, de chanter et de s’imposer dans une dramatisation que peu d’interprètes pouvaient se permettre, de suivre les traces de son père en devenant écrivaine. À noter que Louise a pris le nom de plume de ce dernier. Portal. Elle l’a fait résonner partout dans le monde de la création.
Elle ne voulait pas d’une biographie convenue et sans surprises, où tout s’amorce avec l’enfance, les découvertes, la carrière professionnelle et les amours pour parvenir à un moment où l’on touche l’être et l’âme d’une vie pleine de bifurcations plus ou moins étonnantes.
« Avant de débuter, Louise m’a demandé de réfléchir à la structure du livre. Pas pour en faire un projet expérimental qui pourrait dérouter les gens, mais pour démontrer qu’elle les respecte trop pour leur offrir de la banalité. Et l’idée de séparer les sujets d’intérêt de manière moins commune et sans commencer par un plongeon dans les méandres de sa jeunesse. » (p.18)
Pourquoi ne pas faire simplement, se rencontrer et discuter, parler pour parler comme on dit ? Louise répond aux questions de Samuel et on va ici et là, fouillant, cherchant dans les dédales de sa vie. Les deux ont dû dialoguer pendant des heures et des semaines pour réfléchir, cerner la comédienne, la chanteuse et la romancière, la femme amoureuse et généreuse. Tout en n’évitant jamais les liens avec sa famille, surtout son père, médecin et écrivain de Chicoutimi avec qui elle a entretenu une correspondance unique, et ce dès son plus jeune âge. Un homme étonnant qui s’était mis à pleurer lors d’une entrevue chez lui, en parlant de l’un de ses livres. J’en étais sorti un peu troublé.
JUMELLE
Tout le monde le sait. Louise Portal a eu une sœur jumelle, Pauline. Une relation singulière et plutôt difficile, elle ne le cache pas. « Je ne suis pas née toute seule ; on était deux au départ ». Une phrase comme celle-là pourrait faire l’incipit d’un roman ou d’un récit. Les jumelles, disait-on dans la famille Lapointe. Les fillettes que l’on habillait de la même manière jusqu’à l’âge de quatorze ans. Une fusion ? Pas vraiment. Louise a ressenti rapidement le besoin de se différencier, d’avoir sa vie, de faire ses expériences et d’être entière dans ses pulsions et ses espoirs. Tout cela s’est concrétisé vers quatorze ans quand elle a refusé de porter les mêmes vêtements que Pauline. Un geste qui a sans doute blessé sa jumelle. Cette volonté d’être unique, présente dans son corps et sa tête, l’a poussée vers le théâtre, le cinéma, la télévision, la chanson et l’écriture. Une quête qui la guidera dans toutes ses entreprises. Travailler pour avoir son nom, faire sa marque, une vie à soi. Un effort similaire pour Pauline qui a dû trouver sa propre identité. Pas évident, puisque les jumelles ont choisi la scène, d’incarner des personnages et de chanter.
C’est certainement ce désir qui a conduit la jeune femme à s’approprier le pseudonyme de son père quand elle s’est aventurée sur une scène. Ce théâtre qui la faisait rêver depuis toujours et qui a rythmé ses jeux d’enfance. Les écrivains prenaient souvent un nom de plume à l’époque pour se démarquer du métier qu’ils exerçaient dans leur quotidien, devenant un autre dans les mots et la fiction.
« Parmi tout ce que j’ai compris, je peux nommer un élément incontournable : j’ai un besoin irrépressible de prouver mon unicité. Une nécessité qui m’habite dans toutes mes cellules et qui a participé à mon rayonnement professionnel et artistique. Je pense que c’est pour cette raison que je considère ma relation avec Pauline comme la plus importante. » (p.21)
La comédienne s’impose d’abord à la scène. Rapidement, elle incarne des personnages que l’on aime à la télévision et au cinéma. Étrange, mais je n’ai guère de réminiscences de Louise Portal dans un téléroman. Il est vrai que j’ai des rapports plutôt chaotiques avec la boîte à images, ayant plus souvent le nez dans un livre. Je me souviens surtout de sa présence au grand écran. Le rôle mémorable de Cordélia d’abord, ce personnage inoubliable dans le film de Jean Beaudin a marqué mon imaginaire. Des séquences sont encore là dans mon esprit. Surtout les magnifiques scènes d’hiver avec la poudrerie qui balaie le pays. Magique et intense.
FRANCHISE
Louise Portal n’hésite pas à aborder ses rapports avec les réalisateurs, souvent une histoire d’amour, ses amitiés avec des partenaires de jeu, l’âge qui touche particulièrement les femmes dans ce métier. La comédienne fait preuve d’une belle franchise. Ses relations difficiles avec les hommes et ses compagnons de vie, son désir de sauver tout le monde et de les protéger. Son père avec qui elle a été très proche, en osmose presque…
Le succès de la chanteuse en France où les portes s’ouvraient, son choix du Québec et de la campagne, l’écriture toujours présente. Elle a commencé à tenir son journal vers l’âge de douze ans. Oui, une passion profonde de s’affirmer et de s’exprimer. Et la rencontre de son homme, de son ami, de Jacques, de son partenaire, de son confident, de son complice. Un tournant dans sa vie qui lui a apporté calme et stabilité.
Un témoignage fascinant, particulièrement senti, un parcours qui sort de l’ordinaire et qui permet à Samuel Larochelle de se révéler, de parler de son mal être en réfléchissant aux propos de Louise. Juste ce qu’il faut, gardant ses distances. Après tout, ce n’est pas sa biographie qu’il écrit, mais il arrive bellement à y laisser sa trace. En cela, l’entreprise est originale.
Un regard franc sur le monde du cinéma, de la télévision et du théâtre qui a pris son essor au Québec en même temps qu’elle quittait Chicoutimi pour étudier au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Une femme d’instinct, capable de cogner à la porte d’un metteur en scène ou d’un réalisateur quand elle voulait un rôle. Jamais elle n’a hésité. Une fonceuse certaine de ses talents.
ÉPOQUE
Une époque se profile dans les confidences de Louise Portal qui a fait sa marque dans de grandes œuvres comme Cordélia ou encore Le déclin de l’empire américain. Sa présence également dans le monde de l’écriture et de la chanson, son contact avec le public dans de nombreuses conférences qui la mènent aux quatre coins du Québec. Avec Louise Portal, c’est le Québec de la Révolution tranquille, l’affirmation de la télévision et l’effervescence des téléromans qui nous distinguent, un cinéma qui a gagné ses lettres de noblesse ici et sur la scène internationale, une littérature aussi qui, à partir des années soixante-dix, s’est imposée dans des productions fortes et inoubliables, donnant un essor unique aux ouvrages pour la jeunesse par exemple.
Un livre avec photos qui marquent les étapes importantes de sa carrière, des dessins qui révèlent bien l’artiste qu’elle est. Son père Marcel a également joué du pinceau.
Un peu étonnant cependant que dans ces échanges, Louise Portal n’aborde jamais la question du Québec qui a mené le Parti québécois de René Lévesque au pouvoir en 1976, la tenue des référendums de 1980 et 1995. Nombre de comédiens et comédiennes, ses camarades, n’ont pas hésité à s’afficher et à monter sur les tribunes aux côtés des politiciens. J’étais très curieux de savoir ce qu’elle aurait à dire de l’effervescence qui a marqué la chanson au Québec pendant cette période. Pas un mot, pas même une allusion. C’est certainement un choix de sa part. Elle en a bien le droit.
PORTAL LOUISE, Louise Portal, Aimer, incarner, écrire, Éditions Druide, Montréal, 280 pages.
https://www.editionsdruide.com/livres/louise-portal-aimer-incarner-ecrire
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