jeudi 10 novembre 2022

LE MONDE DÉLÉTÈRE DE PATRICK NICOL

J’ÉTAIS JUSTE À CÔTÉ de Patrick Nicol m’a secoué, me laissant souvent sur un pied. Cet écrivain possède l’art de dérouter. Un roman vrai, senti, attachant, ancré, vécu qui nous pousse à nous demander où nous en sommes dans ce monde tout écrianché. Un regard nécessaire, un constat qui peut déranger, mais le témoignage authentique d’un homme qui cherche et qui n’a pas toutes les réponses comme ces commentateurs qui se reproduisent dans les médias. J’ai aimé parce que ça claudique et boite, montre notre réalité qui va un peu tout croche. À lire absolument et pas seulement par les gens de ma génération, mais par tous ceux qui prennent la peine d’ouvrir un livre de temps en temps. 


Voilà un roman qui me dérange même si je ne suis pas de la génération de Patrick Nicol. Je comprends très bien son personnage qui, en prenant de l’âge, constate que tout se défait autour de lui, que tout bascule dans une forme d’absurdité et d’incohérence. C’est peut-être le propre du vieillissement que de perdre ses repères et de se retrouver dans la marge, de ne plus avoir le pas, encore moins avec les jeunes qui vivent sur une autre planète. Et le corps fait des siennes et des amis et des connaissances ont la mauvaise idée de mourir. Un frère, une sœur, des proches disparaissent et vous abandonnent dans une terrible solitude, vous donnant souvent l’impression d’être un naufragé. 

Un roman un peu tristounet que J’étais juste à côté de Patrick Nicol. C’est surtout un texte humain, senti, vécu et propre à secouer nos concepts. Le narrateur se demande où nous en sommes dans ce monde qui bascule irrémédiablement dans le chaos. La destruction de cette planète qui nous nourrit ne peut laisser personne indifférent. L’avenir est devenu un mot inquiétant en ce siècle où la Terre a le hoquet.

La sensation de plonger dans un journal intime en lisant J’étais juste à côté de Patrick Nicol. Le roman se présente en trois temps, 2012-2016, 2017-2018 et 2019-2021, soit une décennie. De l’effervescence de la révolution érable où Pierre marche dans les rues avec les jeunes. C’est la fête, le désir d’un avenir autre, de changer le monde peut-être. Et peu à peu, l’âge s’impose, des malaises physiques, l’impression que la vie est un échec et que les rêves s’étiolent. De l’enthousiasme à une sorte de fatigue intellectuelle et corporelle où tout se déglingue et devient difficile. 

Pierre enseigne au cégep, la littérature, les livres qu’il aime par-dessus tout et qui donne un certain sens à son existence. Il fait lire Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier et La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette, deux romans qui nous plongent dans un passé récent, une quête de liberté et d’autonomie. Il écoute les commentaires étonnants de ses étudiants qui ne semblent pas parcourir les mêmes textes que lui. 

L’enseignant aime sa compagne même s’ils ne sont plus aussi proches qu’avant. Il jongle avec des questions qui remettent son travail en jeu, des décisions des gouvernements et les menaces qui deviennent de plus en plus présentes avec les changements climatiques. Sa vie prend des tournants prévisibles. Il boit un peu trop et doit penser à sa santé, faire un deuil de ses fantasmes. Que faire quand toutes ses certitudes s’effritent? Parfois, il regarde dans le rétroviseur et se demande ce qu’il a fait et surtout ce que sa génération a réalisé au cours de toutes ces années où il avait une société à construire et peut-être un pays.

«Nous avons contraint nos pauvres élèves, ces adorables gnochons, à bûcher sur les tirades de Phèdre, les portraits de La Bruyère, les borborygmes de Lautréamont. Étudiants en génie électrique, étudiantes en service de garde, aspirants techniciens et aspirantes techniciennes en inhalothérapie… Ils ont abordé la littérature comme on regarde un temple en ruine sur une île perdue dans le brouillard. C’est loin. C’est magané. Ils se sentaient prisonniers d’une bien triste galère, et l’envie était fréquente de laisser choir la rame. Personne autant que nous n’a découragé autant de gens de la littérature. Ils sont innombrables, les apprenants que nous avons largués, les apprenantes abandonnées sur quelque radeau de quelque Méduse, écœurés à jamais de la lecture, convaincu de l’inanité des artistes et de l’inutilité des intellectuels.» (p.57)

Il lui reste à durer jusqu’à la retraite, la grande libération.

 

ENSEIGNEMENT

 

Un constat qui garde sa pertinence. Quoi enseigner dans nos universités et dans les cégeps? Régulièrement, un gourou fait les manchettes en réclamant le retour des classiques. Il s’agit d’ouvrages français bien sûr. Nul auteur du Québec ne trouve grâce dans ces diatribes. Combien de fois j’ai demandé haut et fort un cours à l’Université du Québec à Chicoutimi consacré aux écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Histoire de découvrir cette région par les yeux des créateurs qui offrent toujours un point de vue original sur leur milieu et qui souvent étonnent les jeunes. Une manière de se dessiller les idées sur son proche environnement et sa réalité, de réfléchir à notre voyage vers l’avenir. J’ai même donné des ateliers pour cerner la littérature de ma région. Tout en liant des œuvres phares aux grands courants qui ont traversé les écrits québécois au cours des décennies. 

J’ai réclamé ce programme pendant plus de vingt ans et une professeure allumée, Cynthia Harvey, a entendu mon appel. Elle présente un cours depuis qui permet de cerner la réalité méconnue des écrivains et des écrivaines du Saguenay et du Lac-Saint-Jean avec leurs singularités. Et il semble que ça marche plutôt bien.

 

CONNAISSANCE

 

Patrick Nicol enseigne et a emprunté la route d’un peu tout le monde de sa génération. Né en 1964, en pleine effervescence de la Révolution tranquille, il a vécu la poussée du nationalisme et la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976. Il n’avait pas l’âge de voter lors du premier référendum portant sur l’avenir du Québec en 1980, mais il a connu la déprime qui a suivi l’échec de la deuxième consultation, celle «des ethnies et de l’argent» en 1995. 

«À cette époque planait sur le pays un grave mécontentement. Nos jeunes sont ignares, criait-on, plus personne ne sait rien. La droite culturelle, Jean Larose en tête, s’alarmait. Il fallait exhumer Molière, libérer Voltaire de ses limbes, déterrer Racine qui ne demandait qu’à refleurir; il fallait culturer les jeunes au plus sacrant, sinon ce serait le vide, l’absence de référent, le désœuvrement postmoderne et l’animalité ressurgie. Sortons nos enfants des griffes de l’appétit commercial, disait-on, et de la manipulation idéologique, clamait-on. Pour ce faire, rien de mieux que de retourner en arrière (et tant qu’à y être on leur apprendrait à écrire). (p.54)

Les dérives ont été nombreuses au Québec. Par exemple, je me suis toujours demandé pourquoi certains enseignants et pseudorévolutionnaires brandissaient la contre-culture sur toutes les tribunes quand nous avions à la construire cette culture par la littérature, à en retrouver les fondements pour se propulser dans les années à venir. C’était tout à fait farfelu et irresponsable. Il fallait faire moderne à tout prix, même en perdant son âme et en dénaturant le rôle de l’université et des cégeps. On a mis la gomme en concevant des cours de création un peu partout, oubliant de former des lecteurs. Un peuple d’écrivains qui néglige la lecture me semble inquiétant. Dans un salon du livre, sur vingt visiteurs, quinze me disent qu’ils veulent publier et un ou deux avouent timidement qu’ils aiment les romans et les histoires d’ici.

 

OPTIMISME

 

Le monde s’effrite et il est difficile de demeurer optimiste quand on voit les images de la guerre en Ukraine ou encore les manœuvres des républicains aux États-Unis qui sont en train de détruire la démocratie pour installer l’ignorance, le mensonge, la fourberie avec un Donald Trump qui ment avec l’assurance d’un ayatollah. L’espoir qui nous faisait descendre dans les rues à vingt ans, l’envie de changer les choses en militant dans les syndicats me semble une époque révolue. Il nous reste des “likes” au lieu d’une réflexion soutenue.

 

NICOL PATRICKJ’étais juste à côté, Éditions LE QUARTANIER, Montréal, 208 pages.

https://lequartanier.com/parution/626/patrick-nicol-j-etais-juste-a 

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