vient de publier un quatrième livre de poésie, Le jour survit à sa chute, un recueil fascinant par son propos et sa présentation. L’ouvrage comprend sept parties ou moments qui permettent à la narratrice de passer de la servilité à la liberté, tout comme le matin triomphe de la nuit s’imposant à l’aube. Chacun de ces moments offre des similitudes dans la texture même du poème. Les textes reposent sur quatre mouvements de deux segments la plupart du temps. Et à la troisième poussée, la poète se restreint à quatre vers. Et après, dans la montée vers la lumière, la parole s’appuie sur trois strophes, le triangle qui indique la stabilité et l’équilibre. Un travail d’orfèvre remarquable.
Les interprétations symboliques me fascinent, surtout avec les nombres et les signes qui dévoilent les archétypes. En ce qui concerne le chiffre quatre, plusieurs constats étonnent. « Dans la plupart des philosophies et religions, le nombre quatre suggère le carré, la Terre, la totalité de l’univers manifesté, créé et révélé. C’est le domaine du concret, du limité ». Ça se moule très bien au poème qui présente une formidable unité qui témoigne de la réalité des femmes. « Le chiffre quatre évoque aussi l’organisation, l’équilibre et la perfection. Il invite l’individu à mieux se connaître et à prendre sa place dans le monde. Il illustre quelques-unes des règles universelles fondamentales : les lois de correspondance, des cycles, celle d’équilibre et d’harmonie… »
Voilà qui coïncide bien avec la démarche de Catherine Morency. Comme si la poète travaillait ses textes avec une équerre, cherchant une forme géométrique qui épouse parfaitement son propos.
« Il est temps de t’habiller de clarté
ranger la couverture qui te servait d’effroi. » (p.9)
« S’habiller de clarté », de lumière pour se libérer des forces obscures et devenir visible en plein milieu du jour, se défaire de toutes les contraintes qui étouffent les femmes depuis la nuit des temps.
DÉPART
Nous sommes fixés dès le premier mouvement. L’ordre retentit, le hurlement. « Tu vas la fermer ! » La voix de l’oracle s’élève et répète les diktats des dieux. La femme doit obéir, se tenir dans le monde des objets et des choses.
« Les coups tombent
exangue un corps
niche dans ses abîmes
tu vas la fermer
je te jure
expire la décence
la blancheur devient cri. » (p.13)
La femme n’est plus qu’un corps blême qui a perdu beaucoup de sang. Des voix lui intiment de se taire, celles de ces dieux qui régissent l’ordre de l’univers. Toute recroquevillée, réduite à un gémissement et un hurlement, elle entreprend de se rapailler pour se donner une existence.
« tes membres se disloquent
errent entre les tranchées » (p.15)
Cette violence tutélaire met le corps en charpie. Ses membres bougent entre les tranchées d’un champ de bataille où les armées se font face. Leur cible : la femme. Les opposants mènent une même guerre contre elles et se partagent les dépouilles.
C’est troublant.
La femme se traîne au cœur de ces combats et de cette barbarie absurde. Elle doit confronter le meurtre, le viol, les mutilations et les pires atrocités. Nous le vivons en Ukraine depuis cent jours. Les militaires agressent les femmes et les adolescentes avant de les exécuter ou de les laisser pour mortes. Toutes devenues butin de guerre que l’on rejette comme de vieux sacs après usage.
« Une claque puis une autre
des astres pleuvent derrière les tempes
t’ament pour des luttes souveraines
le vrai combat commence
quand tu cesses de croire
sur le seuil
un masque de renard roux, » (p.20)
PARE-BALLES
« Deux lignes bleues apparaissent ». Voilà la femme enceinte, envahie par l’embryon. Son corps va-t-il perpétuer la violence, la soumission, cette guerre qui ne prend jamais fin ? Doit-elle fermer les yeux et rêver à l’amour et à une tendresse impossible ? Son refus claque comme une porte. L’avortement devient geste de libération, d'appropriation. Pas question de s’abandonner à la maternité dans ces conditions.
« Un bruit
une succion
confirment
le tarissement
ne croîtra plus
en toi
que l’engramme
du germe. » (p.36)
Premier pas dans la reconquête de son corps, de soi, la libération, le combat toujours à refaire. Nous le voyons aux États-Unis où l’on bannit ce recours dans plusieurs états. Il ne restera que cette trace dans la mémoire d’une vie qui aurait pu advenir, différente et aimante.
« Des lumières nous brisent
d’autres nous effacent
entre ton sang et le nôtre
germe un escalier. » (p.43)
CHEMINS
L’affirmation peut prendre bien des formes et des directions. Tout commence par la parole, la conscience de soi. Ça suffit les coups, les cris étouffés et l’obéissance à l’oracle qui impose sa loi depuis toujours. Tout change quand elles se redressent et prennent possession de leur espace, « en plein midi soleil » comme l’écrivait mon amie Nicole Houde.
« Fini le temps des filles
couche-toi là
prends ma main
frotte mon sexe
nous ne sommes plus vos chiennes
rompues au domestique
nous prenons poing
sur un sentier plus juste. » (p.65)
Enfin la libération, la conquête de la planète du corps et l’affirmation dans tous les aspects du jour. La vie réclame toutes ses dimensions et ses désirs.
« J’enfourche une monture
rejoins la plaine dans ton front
tu délies la langue
voles le feu aux hommes
les grands faunes ressurgissent
sous un autre pelage. » (p.76)
Un cri fait tomber les carcans et les frontières établies par la société des mâles. C’est « le vol du feu », la survie et l’être qui peut faire face à toutes les situations. L’élan abat les murs et repousse les ordres qui ont toujours réduit les femmes au silence et à l’obéissance.
« Il n’existe pas de pays
pas de terre qui ne te soient natals
dans le silence une eau étroite
reprend ses droits
ouvre des veines sous ton torse. » (p.91)
Voilà une poésie qui s’ancre dans le réel et propose une démarche exigeante d’affirmation et d’espoir pour échapper à une dictature que nous avons encore bien du mal à contrer. Les femmes restent la cible de cette violence aveugle, de meurtres sordides qui frappent aussi les enfants. Les médias nous gavent de cette démence quotidienne. Partout, elles se débattent entre les tranchées, arrivent tant bien que mal à se faire justice quand elles se révoltent et attaquent les murailles derrière lesquelles se réfugient les combattants mâles. Une poésie sentie, poignante et exigeante, sans artifices s’impose après bien des arrêts et des pleurs.
Je me suis longuement attardé sur les textes de Catherine Morency pour en voir toutes les facettes. Les répétant à voix haute pour en saisir la cadence et la pulsion. J’ai eu l’impression de polir un diamant qui montre toute sa beauté et sa valeur après bien des efforts. Le lecteur doit s'attarder sur chacun des mots pour s’imbiber de l’univers de cette poète qui parle juste, reprend un grand cri de libération qui s’avère encore et toujours nécessaire.
Voilà une tentative remarquable de concision et de retenue ; un élan du cœur et de l’âme qui transforme le monde, le lave de ses obsessions et de ses violences.
MORENCY CATHERINE, Le jour survit à sa chute, Éditions LE LÉZARD AMOUREUX, 100 pages, 22,95 $.
https://www.groupenotabene.com/publication/le-jour-survit-à-sa-chute
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