J’AIME LE TITRE de ce recueil de nouvelles de Lyne
Richard qui évoque la vie de quartier dans ses gestes les plus simples. Les cordes à linge de la Basse-Ville permet
de redécouvrir le quotidien dans ses grandeurs et aussi, peut-être, dans ses
misères. Vingt-huit courts textes qui poussent le lecteur dans le quartier Saint-Sauveur,
un secteur de la ville de Québec, de suivre des personnages qui vont et
viennent du matin au soir. L’écrivaine sait voir le milieu qui l’entoure avec
une précision singulière. Madame Richard décrit sa ville, un quartier où les
gens se croisent, se saluent parfois, doivent combattre des peines et vivre bien
des ruptures. Voilà une observatrice hors pair des hommes et des femmes, des
enfants aussi, qui sont tous à la recherche d’un peu de bonheur et de paix.
J’aime qu’une écrivaine
s’attarde aux occupations quotidiennes pour en surprendre la beauté et une
forme de grandeur. Bien sûr, on se heurte à l’amour, la maladie, la mort, les
chagrins et la peur qui traversent toutes les vies. Lyne Richard possède
cependant ce don précieux de faire voir, comme si elle vous prêtait ses yeux. Le
territoire familier devient alors un espace d’explorations et de découvertes.
Madame Richard consacre aussi
son temps à la création d’œuvres visuelles, ce qui aiguise certainement sa
manière de montrer le monde dans
ses agitations. Et ce qui me touche plus que tout, c’est cette empathie que
l’on ressent, disons le mot lourd de sens,
cet amour pour les gens qui vaquent à leurs activités, jonglent avec des drames
qu’il est impossible d’éviter.
C’est là, dans le sous-sol du
bungalow de tante Charlotte, que j’ai pris un livre dans mes mains pour la
première fois. Chez nous, il n’y avait pas de livres. Je l’ai ouvert et je l’ai
senti. Ça sentait la vie rêvée, les voyages d’aventures, ça sentait l’inconnu.
Je me suis dit que dans les livres, on pouvait avoir une mère heureuse et un
père doux comme oncle Andrew. Ça m’a tout de suite émue, alors j’ai décidé de
devenir écrivaine. (p.23)
Il faut retenir ce que dit ici la jeune narratrice. L’écriture
permet de s’inventer une vie, de transformer les gens, de trouver le bonheur et
d’oublier la cruauté ou les malheurs. Un roman peut changer les parents au
contact des mots et des phrases. Peut-être est-ce là le rêve un peu naïf d’une
enfant, mais en suivant Lyne Richard, on comprend qu’elle ne dévie pas
tellement de ce credo.
J’aime que l’on délaisse les drames qui tapissent les activités
des médias et déambuler dans une ville avec le sourire. Ce n’est pas facile le
métier de lecteur quand les écrivains s’acharnent à ressasser la misère, la
violence, l’exploitation sexuelle et psychologique. Que ça fait du bien de s’avancer
dans une éclaircie, de sentir la chaleur du soleil sur sa peau et de
s’abandonner au plaisir de vivre un beau matin d’été.
REGARD
Tout arrive à celui qui prend le temps d’observer les gens qu’il
côtoie tous les jours. Tout peut s’imaginer quand on étudie la danse des cordes
à linge dans le souffle du matin, les chemises, les pantalons qui se gonflent,
mais aussi les dessous intimes. C’est terrible tout ce que cet étalage peut
raconter sur ceux qui se livrent sans gêne aux regards des passants.
Étendre des sous-vêtements
féminins tient du grand art qui consiste à révéler le corps qui ose s’afficher
ainsi sur la corde. J’ai toujours pensé que celles qui le faisaient bien
étaient des femmes très sensuelles, libres dans ce geste d’une grande beauté
qui est de montrer le plus intime de toutes les brassées. (p.42)
Je n’y avais jamais réfléchi avant. Il y a un art de la corde à
linge. Avec Lyne Richard, ce ne sont pas seulement des vêtements que l’on place
les uns à côté des autres, mais un message que l’on envoie aux gens. C’est certainement
ce que j’imaginais quand j’ai écrit La
légende de Mémots en 1984, une sorte de conte pour le premier collectif de
la nouvelle maison d’édition Sagamie-Québec
que nous venions de fonder. Mon héros pratiquait le métier très envié d’accordeur
de cordes à linge. Son art permettait de faire entendre une musique harmonieuse
les jours de grandes agitations.
Rêver devant cet étalage de vêtements qui danse sous les applaudissements
du vent, inventer des personnages, capter des signaux, créer un monde de fantasmes
et de désirs peut-être.
VIE
L’art de la photographie permet à un personnage de Lyne Richard
de voir bien des choses dans une ville qui semble ne receler aucune surprise
quand on y vit depuis longtemps.
Je commence par la rue Arago et
je descends jusqu’à la rivière Saint-Charles. Rue par rue. La Basse-Ville est
magnifique le matin. Rue par rue le nez en l’air à regarder les corniches, les
arbres et les oiseaux. Les vieilles portes aussi. Les jardinières et les
perrons. J’ai une fascination pour les perrons, car l’été, quand j’étais petit,
après le souper, mon père et moi allions nous asseoir sur le perron. Mon père
fumait sa pipe et me racontait sa journée. Papa travaillait au cimetière
Saint-Charles et il disait que c’était l’endroit le plus beau du quartier. Parce que, mon garçon, il s’y passe des
choses vraies. (p.37)
L’art de voir autrement ce qui nous entoure et surtout de le montrer
de manière juste et inspirante n’est pas fréquent. Ces balcons où les familles
se retrouvent l’été, une jeune fille qui court dans le parc et qui ne peut retenir
ses larmes. Un chien, patient comme tous les animaux, témoin de l’agitation
humaine. Des enfants qui s’amusent, un sculpteur amoureux d’une femme qu’il a
croisée une seule fois et qui ne peut s’empêcher de l’imaginer dans tout ce
qu’il touche.
Impossible non plus d’éviter les cruautés de l’existence. Une
jeune fille agressée sexuellement par son grand-père. L’horreur se faufile
partout. La vie, même quand on se tourne vers le beau, possède son lot de
laideurs. Et il y a ceux qui n’arrivent plus à rêver, qui glissent dans la déprime
et qui ont la certitude de sombrer dans un grand trou sans fond. Certains
textes m’ont rappelé l’approche de Marie Ouellet qui se livre au même patient
travail d’observation dans son recueil Courtes
scènes fugitives. Tout comme André Carpentier dans Ruelles, jours ouvrables.
LA
VILLE
Ce que j’aime surtout, c’est cette vie communautaire où j’ai eu
l’impression de plonger dans une fresque de Jérome Bosch. Ces toiles immenses où
les petites histoires individuelles se nouent pour faire partie de la grande représentation.
C’est vivant, grouillant, souvent émouvant. Le quartier vibre, comme si la
ville respirait et poussait tout le monde dans une chorégraphie qui se fait et
se défait selon les heures du jour.
Elle peint cet homme encore et
toujours, depuis des semaines, elle peint cet homme qu’elle ne connaît pas.
Toujours elle l’enferme dans des racines, elle ne sait pas peindre autre chose
que son corps et des racines, même quand il se tient près d’un lac, on ne voit
pas le lac sur la toile, on ne voit que l’homme et les racines. Elle, elle dit
que le lac est dans ses yeux à lui, elle dit qu’il est le monde à lui seul.
Tout un monde dans un corps seul. (p.60)
L’art de vivre dans la plus belle simplicité et dans sa grandeur
émouvante. L’imaginaire aussi qui transforme tout.
ORFÈVRE
L’auteure trouve un rythme en ciselant sa phrase qui devient
effilée comme un couteau à pain. Un travail d’orfèvre qui s’appuie sur la
patience et ne prend fin que quand l’artiste a touché ce qu’elle imaginait avant
de se lancer dans sa tâche.
La belle impression de circuler tout doucement dans une suite
de tableaux qui m’ont rappelé mon ami Jean-Guy Barbeau qui savait si bien
peindre la solitude des femmes, leurs craintes et leurs effarouchements.
Combien de fois j’ai rêvé devant ces personnages qui cherchaient à échapper à leur
vie étouffante ?
Lyne Richard pratique l’art du regard. Quel plaisir de l’accompagner
dans son quartier, de s’attarder dans un parc les jours de soleil et de
canicule, de marcher sur des trottoirs usés, de s’arrêter devant une corde à
linge après avoir bifurqué dans une ruelle !
Une belle dose d’humanité que ce
recueil. Une écriture qui tient du carnet, de l’aquarelle et peut-être tout
simplement de la manière de prendre son temps pour voir un lieu habité dans
toutes ses dimensions. Des textes qui font du bien à l’âme et réchauffent comme
une tasse de café noir très tôt le matin, quand le jour n’est encore qu’une
promesse.
LES CORDES À LINGE DE LA BASSE-VILLE, nouvelles de LYNE RICHARD, publiées chez
LÉVESQUE ÉDITEUR, 2018, 134 pages, 23,00 $.
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