VICTOR-LÉVY BEAULIEU, comme il a su si bien le faire avec Herman Melville, James
Joyce et Friedrich Nietzsche, récidive en décidant de scruter la vie et l’œuvre
de Mark Twain, un écrivain américain qui a marqué son époque et influencé
nombre d’écrivains. Des livres qui ont touché le jeune homme de Trois-Pistoles
alors qu’il cherchait à se faire une place dans le monde du journalisme à
Montréal.
Une
fois de plus, Victor-Lévy Beaulieu, se tourne vers une grande figure de la
littérature américaine pour se mesurer, évaluer peut-être sa propre démarche et
sa vie consacrée à l’écriture. Une façon de jeter un coup d’œil sur la route
parcourue depuis sa première publication en 1969. Je connais le nom de Mark
Twain sans l’avoir lu. Ça arrive ce genre « de vide dans notre savoir
littéraire ». Tous les lecteurs en ont.
Jack
Kerouac en parle dans Journal de bord,
son journal intime, comme d’un écrivain qui l’a marqué et qui est devenu l’un
de ses maîtres. Je ne sais pour quelle raison, je ne me suis jamais retrouvé
avec l’un de ses livres. C’est étrange parce que je suis de nature curieuse et
quand un écrivain que j’aime lance un titre ou le nom d’un écrivain dans ses
écrits, je m’empresse de me procurer l’une de ses publications. Il y a quelques
années, j’ai fait l’effort de lire Don
Quichotte de Cervantès pour combler un manque. J’avais toujours repoussé
cette lecture pour des raisons mystérieuses.
Pourtant,
je me suis passionné pour les écrivains des États-Unis pendant des années,
lisant à peu près tout ce que je pouvais trouver. John Steinbeck, William Faulkner,
Jack Kerouac, Henry Miller. Plus récemment Pat Conroy, John Irving et Paul
Auster. Hemingway bien sûr, Truman Capote aussi. La liste pourrait s’allonger et
donner le vertige.
Mark Twain est une
célébrité à son époque et contrairement à bien des Américains, il sait que le Canada
existe, particulièrement Montréal. Il y vient régulièrement pour réclamer ses
droits d’auteur. Le problème ne date pas d’aujourd’hui. Il était l’ami de Louis
Fréchette, l’auteur de La légende d’un
peuple, celui que l’on a trop souvent classé comme « un imitateur de Victor
Hugo ». Jean-Claude Germain, dans sa courte préface, nous rappelle que
Fréchette avait ses aises aux États-Unis. C’était assez fréquent, semble-t-il,
à l’époque d’aller au pays d’Andrew Johnson. La migration de nombreux Québécois
alors faisait en sorte que les francophones se sentaient un peu chez eux aux
États-Unis, particulièrement dans certains états. Il s’est fait un plaisir de
recevoir son ami avec tous les égards qui lui étaient dus. Ce n’est pas tous
les jours que le Québec alors reçoit une vedette de la littérature. Twain a
même prononcé un discours mémorable à Montréal.
CONTACT
Victor-Lévy
Beaulieu a trouvé un écrit de Samuel L. Clemens (le vrai nom de Mark Twain)
alors qu’il s’aventurait dans le métier de journaliste. Il est devenu un modèle
qui l’a aidé à trouver sa manière de dire et peut-être aussi sa façon un peu
particulière d’aborder un sujet et de le « rendre dans ses grosseurs ».
Ainsi que je l’ai
déjà dit, j’appris les rudiments du journalisme quand, après ma maladie et la
convalescence d’un an qui suivit, je décidai de faire une croix sur mon avenir
à la Banque Canadienne Nationale. Le
Journal de Montréal en était alors à ses commencements et je trouvai à m’y
faire embaucher grâce aux quelques articles que j’avais publiés ici et là-
pigiste, ça s’appelait quand, n’étant pas à l’emploi exclusif d’une entreprise
de presse, vous alliez de l’une à l’autre pour y proposer vos sujets de
reportage. (p.67)
Ce fut un peu la même
chose quand j’ai commencé à jouer de la dactylo pour Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’étais écrivain d’abord
(j’avais deux livres de publiés) et prenaient mes textes pour des créations littéraires.
C’était une forme de journalisme que l’on ne voyait guère dans le journal de
Chicoutimi. Les gens réagissaient beaucoup à mes chroniques délirantes. Je m’approchais
peut-être de la façon de Twain sans le savoir. Les patrons aimaient moins mon
humour et ma façon peu orthodoxe de couvrir un événement, surtout pendant un
cours séjour dans la section des sports. Il faut l’avouer, je m’y ennuyais
terriblement. J’avais dû m’expliquer devant le directeur de la rédaction pour
ma couverture d’une partie de baseball à Jonquière. Je ne racontais que les
courses d’un petit chien qui échappait à sa maîtresse chaque fois qu’un joueur
frappait la balle. Il voulait l’attraper à coup sûr et bondissait sur le
terrain en jappant. Les gens applaudissaient. Le patron n’avait pas compris qui
était la vedette de ce match. Ce chien était plus spectaculaire que toute l’équipe
des Voyageurs de Jonquière.
PERSONNEL
On connaît la
démarche de Beaulieu. Un pas dans l’œuvre de l’écrivain qu’il explore et un
autre dans la sienne. Pour qui connaît les livres de l’homme de
Notre-Dame-des-Neiges, il n’y a pas de grandes révélations. La grande blessure que
constitue le départ des Trois-Pistoles, l’exil à Montréal, la vie de famille
dans un appartement exigu où tous se marchent sur les pieds, les premières
tentatives d’écriture et la lecture sur la galerie du logement pour trouver un
peu la paix ont été racontés à maintes reprises. La découverte du journalisme aussi.
Le désir également
de retrouver le paradis perdu du rang Rallonge, l’aventure dans le monde de
l’édition et de la télévision.
Ses pulsions,
l’éditeur doit être en mesure de les contrôler, car s’il agissait autrement, il
ne serait plus en mesure de garder une certaine distance entre lui-même et les
manuscrits dont il prend connaissance et pour lesquels sa tâche consiste à en
faire des « produits » qui, une fois fabriqués, entrent dans le cycle du
capitalisme donc celui d’une consommation qui échappe, sinon aux pulsions des
acheteurs, du moins à celles du marché, lesquelles se fondent sur les besoins
essentiels à la survie de l’espèce humaine. (p.271)
Beaulieu ne craint
pas de revenir sur les étapes de sa vie, ce que tout écrivain fait d’une façon ou
d’une autre, y ajoutant des précisions qui font le délice de ses admirateurs.
Je ne me lasse pas, trouvant toujours un petit quelque chose qui ajoute à ma
connaissance de la vie et l’œuvre de cet écrivain que j’admire.
Twain aura fait un
parcours assez semblable à celui de Beaulieu, du moins dans les premières
étapes de sa vie. Une famille pauvre à Florida pour Twain, un coin perdu du Missouri,
la lutte pour s’en sortir et connaître une certaine aisance matérielle. Ce sera
une véritable obsession chez le frère de Twain, rêveur impénitent et impulsif.
Un doué pour les projets qui tournent au fiasco et qui lui soutire régulièrement
de l’argent. J’ai un frère qui correspond à ce type de rêveur. Il n’a cessé de
réinventer la roue tout au long de ses nombreuses entreprises en voulant
m’entraîner dans son sillage. Je suis bien trop prudent pour lui avoir cédé.
FORTUNE
Mark Twain fera
fortune en faisant des tournées à la Charles Dickens (on sait que le grand
écrivain anglais faisait des tournées en Angleterre pour lire ses livres.
C’était un événement attendu et les gens se précipitaient pour l’entendre lire des
passages de ses nouveaux livres. Il est venu aux États-Unis et au Canada,
créant l’événement) tout en se laissant exploiter par son frère Orion ou escroquer
par un associé dans l’aventure de l’édition. Il a publié les mémoires du président
américain Ulysses S. Grant. Un succès de librairie, un désastre financier à
cause de cet associé malhonnête. Il avait peut-être le sens du récit, l’art de
parler en public, mais pas la fibre des affaires.
Il aura pourtant
une vie exemplaire d’écrivain, d’homme de parole et sera d’une fidélité
exemplaire envers sa femme et ses filles. Un énorme succès matériel, mais une
vie personnelle difficile avec la mort qui frappe souvent et fait qu’il se
ronge de culpabilité. Surtout lors du décès de son jeune fils et de l’une de
ses filles.
Une présence
fascinante sur la scène et devant ses admirateurs, une vie intime et personnelle
particulièrement difficile. Des drames qu’il
dissimulera souvent sous les habits de l’humour. Il sera forcé, après son
aventure dans l’édition, à entreprendre une tournée mondiale pour se refaire
financièrement malgré une santé plutôt chancelante.
Victor-Lévy
Beaulieu l’accompagne dans ce cheminement qui sort de l’ordinaire, réfléchit
sans cesse à sa vie, son travail d’écrivain, se regarde si l’on veut dans les
yeux de ce frère étranger qui s’est sacrifié pour l’écriture. Un beau moment de
lecture, même si Beaulieu ne s’avance pas dans l’œuvre de Twain comme il le fait avec Melville, Joyce ou Nietzsche. Il s’en tient à ce que dit l’auteur
dans son autobiographie que j’ai terriblement envie de lire maintenant. Il
faudra que je m’encabane pendant tout un hiver pour y arriver. Parce que 5000
pages, seulement pour son journal, il faut avoir du temps devant soi. Mais qui
sait, les aventures de lecture me tentent toujours et je vais m’y mettre un de
ces jours.
Et il faudrait bien
que je vous explique pourquoi Beaulieu a choisi un titre aussi étrange.
Twain trouva à
s’engager comme apprenti-pilote. L’une des tâches de l’apprenti-pilote était de
surveiller les bas-fonds lorsqu’on naviguait près des côtes. Lorsqu’il ne
restait plus que deux brasses de tirant d’eau, l’apprenti-pilote devait crier «
Mark Twain ! », ce qui signifiait qu’on était alors à douze pieds de toucher le
fond. D’où le pseudonyme que Samuel Clemens adopta quand sa carrière d’écrivain
prit son envol, Mark Twain ! Deux brasses ! Douze pieds ! Mark Twain ! Je
m’appelle Mark Twain ! (pp.170-171)
Voilà, vous savez
tout ou presque maintenant. Il ne vous reste qu’à vous plonger dans ce livre
pour connaître une nouvelle page de l’Amérique et certains aspects de la vie de
Victor-Lévy Beaulieu.
À DOUZE PIEDS DE MARK TWAIN de VICTOR-LÉVY BEAULIEU
est paru aux Éditions Trois-Pistoles.
PROCHAINE CHRONIQUE : TAQAWAN
d’ÉRIC PLAMONDON,
roman paru chez Le QUARTANIER.
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