mercredi 26 octobre 2016

Jean-François Crépeau partage la passion de sa vie

JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU a commencé à écrire des chroniques en 1976 et n’a jamais relâché depuis. Cela lui a permis de lire plus de 5000 ouvrages et de publier plus de 1900 chroniques en quarante ans. C’est encore loin du record de 4300 de Pierre Foglia, mais il m’impressionne. Tout cela, à mon grand étonnement, bénévolement dans le journal Le Richelieu d’abord, Le Canada français par la suite. Une passion pour la littérature qui ne s’est jamais démentie pour cet enseignant qui voulait demeurer en contact avec la littérature contemporaine, celle qui se fait maintenant. Les Éditions Trois-Pistoles ont eu la bonne idée de lui demander d'enrichir la collection Écrire, lui permettant ainsi d’exprimer sa passion pour la chronique et la littérature du Québec.

Jean-François Crépeau a étudié en littérature et a vécu depuis un livre à la main pour ainsi dire. Une passion qui l’a poussé à vouloir partager ce plaisir avec d’autres lecteurs, une espèce en voie de disparition, semble-t-il. Parce que lire, c’est écrire et écrire, c’est lire son époque, son environnement, les agissements de ses contemporains et leurs obsessions. Il faut des passeurs, des chroniqueurs parce que les ouvrages basculent de plus en plus rapidement dans l’oubli avec les frénésies de la nouveauté. Nous avons une mémoire oublieuse et un goût effréné pour la saveur du jour et le clinquant. Je n’embarquerai pas dans la « vedettisation » de la production romanesque. Ce phénomène veut que l’on soit une star d’abord, de préférence à la télévision ou au cinéma, avant de mettre son nom sur un ouvrage de fiction.

En 1976, bien que mon travail d’enseignant de français au secondaire me satisfaisait, il ne correspondait pas exactement à mes projets d’avenir. Avec une maîtrise en langue et littérature, je souhaitais enseigner au collégial dont les programmes d’études me faisaient rêver. J’imaginais que le cégep était le royaume de la littérature et des lettres. Il me fallait donc trouver une façon d’entretenir et cultiver mon intérêt pour la littérature. (p.15)

Jean-François Crépeau entreprend donc une longue expédition, mettant un pas devant l’autre, lisant et cherchant le ton juste pour rendre compte de son expérience de lecteur. Un peu de naïveté au début et beaucoup de bonne volonté certainement, comme nous l’avons tous fait en osant nous aventurer dans l’œuvre d’un écrivain que l’on admire tout en restant fidèle à ses émotions et ses préférences. Il le sait, c’est en écrivant que l’on apprend et c’est en rédigeant des chroniques que l’on trouve son regard dans « une forme d’écriture » qui m’a toujours fasciné.
J’ai commencé dans le journalisme en même temps que monsieur Crépeau. J’étais salarié comme journaliste culturel, mais la chronique ou la critique, je la faisais par goût, en dehors de mes heures de travail. Les directions des journaux n’ont jamais été très intéressées aux chroniques littéraires et au moindre prétexte économique, ce sont ces passionnés que l’on met à la porte. J’ai vécu cette expérience douloureuse.
J’ai eu « des absences » dans ma passion pour la critique et la chronique, selon mes affectations dans le journal. J’ai continué cependant à l’occasion dans Québec français et d’autres revues. Crépeau, lui, n’a jamais abdiqué et c’est pourquoi il a toute mon admiration.

QUÊTE

Pratiquer l’art de la chronique, c’est s’aventurer dans une longue quête, jongler avec des questions qui ne trouvent jamais de réponses. C’est l’art du doute, de la remise en question, de cerner le mieux possible ce que l’on ressent en s’aventurant dans un roman ou une œuvre de fiction. Il faut rendre justice au travail de l’écrivain en se méfiant de ses goûts, de ses préférences et de ses détestations. C’est surtout chercher à comprendre pourquoi certains ouvrages nous emballent et que d’autres nous laissent indifférents. Il y a aussi la manière, l’écriture, l’art de dire qui vous subjugue ou vous repousse. Le sentier est souvent parsemé d’embûches et il faut continuellement être aux aguets.

Il m’a fallu beaucoup de temps avant de comprendre qu’on n’est pas critique littéraire du jour au lendemain, qu’on le devient progressivement, un livre à la fois… …Pour mériter le titre de critique, il faut avoir acquis une vaste culture en s’intéressant au plus grand nombre de sujets  possibles. Il faut surtout se constituer un patrimoine fait d’ouvrages littéraires et autres. C’est là un fonds culturel riche et diversifié, tant au niveau des contenus que des formes. (p.23-25)

Bien des nouveaux arrivants dans le monde de la critique devraient méditer les leçons de Jean-François Crépeau. Il nous explique sa façon de lire, de s’approprier un ouvrage, de l’explorer et d’en parler avec justesse. Tout cela en repoussant les théories qui risquent de fausser la démarche. Une grille d’analyse n’est qu’un regard et ne peut jamais être un décryptage définitif. Il faut même se méfier de ces pièges pour trouver le rythme d’un texte, sa musique, sa façon d’empoigner le réel et de le secouer par des images personnelles. C’est comme pratiquer le saut sans parachute en demeurant attentif à ses moindres réactions.

AVENTURE

Jean-François Crépeau a toujours pratiqué son métier en région, même si ses textes ont paru dans la périphérie de Montréal. Écrire dans une publication régionale, fait souvent de vous un chroniqueur de moindre importance. J’ai souvent ressenti cela en travaillant en région. Votre travail est toujours moins sérieux, moins percutant. Le poids d’une chronique n’est jamais le même à Chicoutimi qu’à Montréal. Il suffit de lire les revues de presse pour comprendre le phénomène. Le chroniqueur en région est très souvent ignoré.
Heureusement, tout change avec Internet. Sur un blogue, les frontières tombent. Il y a des curieux qui s’intéressent à la littérature québécoise en Allemagne, en Russie, aux États-Unis, en Pologne, en France, au Maroc et même en Chine. C’est peut-être l’avenir de la chronique littéraire et de la littérature tout simplement. Les médias traditionnels ne s’intéressent plus qu’aux vedettes. On pourrait aussi discuter longtemps de la dictature de l’humour.

LECTURE

J’ai eu plaisir à apprendre que je ne suis pas un marginal en lisant avec un marqueur jaune et des crayons à mine de plomb. Je laisse des traces sur les pages, tout comme monsieur Crépeau. Je peux, après des années, revenir sur ces empreintes et retrouver mon chemin. Tout comme mon père quand il plaquait son chemin en forêt en faisant des encoches sur les arbres. Il n’y a guère d’autres méthodes, sinon on risque de patiner en surface et de pratiquer l’art de la pirouette. Cette lecture active permet de graver dans sa mémoire des passages et des personnages qui nous touchent particulièrement. Plus un livre est intéressant et percutant, plus les traces de ma lecture se multiplient. Il en est de même pour Jean-François Crépeau, j’en suis certain.
Ce qui m’a étonné, c’est que ce diable d’homme s’intéresse autant aux guides et aux livres d’intérêt général. Je m’en suis toujours tenu aux textes littéraires, aux écrivains qui publient dans des maisons reconnues et qui ont vécu l’épreuve de l’édition avec une direction littéraire. Je ne parle jamais des publications à compte d’auteur parce qu’il n’y a pas eu cette première lecture, cette réflexion sur un texte avant d’en arriver au livre.  On me l’a souvent reproché, parlant de mon élitisme.

AVENTURE

J’aime le travail patient, le regard de monsieur Crépeau sur les œuvres d’ici, certains ouvrages qui risquent de disparaître dans la bousculade des nouveautés. J’aime sa fidélité à de grands écrivains qu’il suit depuis des années. Nous partageons une même admiration pour l’œuvre gigantesque de Victor-Lévy Beaulieu. J’ai eu le bonheur de l’avoir comme éditeur, et ce dès mes premières incursions dans la poésie et le roman aux Éditions du Jour. Je pourrais ajouter à ma liste Gilles Archambault, Robert Lalonde, Louis Hamelin, Nancy Huston, Monique Proulx, Suzanne Jacob, Nicole Houde et bien d’autres. Un chroniqueur finit par se constituer une famille et il attend toujours sa dernière parution avec impatience.
Le numérique fait surface. Que dire de plus que ce qu’en dit monsieur Crépeau ? Trop tôt pour trancher. Le numérique séduit bien sûr, mais cela ne reste qu’un gadget qui permet un autre accès au texte. L’acte de lire n’est pas pour autant transformé. Si peut-être. Le marqueur jaune devient désuet et les crayons à mine de plomb. Ce qui importe, c’est le texte, l’œuvre que l’on doit parcourir, analyser et scruter.
Bien sûr, nous sommes très différents dans nos façons de rendre nos textes ou de fréquenter les écrivains du Québec. Nos empreintes n’empruntent jamais les mêmes sentiers, même en lisant un même livre. Je reconnais cependant dans Jean-François Crépeau « un compagnon des Amériques » comme l’affirmait Gaston Miron. Un frère qui partage une même passion pour les écrits du Québec, une littérature qui est peut-être « quelque chose comme une grande littérature ».

PASSION CHRONIQUE de JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU est paru aux ÉDITIONS TROIS-PISTOLES.

PROCHAINE CHRONIQUE : LE POIDS DE LA NEIGE de CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN publié aux ÉDITIONS LA PEUPLADE.


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