Une version de cette chronique est parue dans Lettres québécoises, Été 2016, numéro 162. |
Printemps 1977, à Jonquière. Les manchettes dans les journaux, les
médias indiscrets comme toujours, moins que maintenant avec l’information en
continu qui fait que des journalistes prennent d’assaut ceux qui gravitent dans
les environs d’un drame ou d’une catastrophe. Le pire est arrivé. Le geste que personne
ne peut imaginer.
Le 26 mars 1977, mon frère Rick, âgé de trente et un ans, s’enlevait
la vie après avoir tué son fils de deux ans. Un acte désespéré dans un moment
d’extrême détresse. (p.11)
Y a-t-il des mots pour dire l’impossible ? Que faire quand un
cratère s’ouvre sous vos pieds et que vous êtes aspirés avec ceux et celles que
vous connaissez depuis toujours ?
Marité Villeneuve ne pensait qu’à l’avenir. Et un tsunami frappe dans
le pays de son enfance, dans sa famille, chez ceux qu’elle aime plus que tout
et avec qui elle est devenue une femme.
FAIRE FACE
La famille ne sait plus, ne comprend pas. Tout s’effrite ! Tous se
sentent coupables. Pourquoi ils n’ont rien vu ? Et il y a les regards, les
silences et les éloignements des amis, des voisins, des collègues au travail. Ils
se sentent visés, scrutés, marqués comme des êtres honteux parce qu’il y a eu ce
geste, ce saut dans le vide, sans un mot d’explication. Que comprendre ? Est-il
possible d’accepter ? Comment ne pas se sentir coupable d’être vivante et de
n’avoir pas su voir le moment où il aurait été possible de faire en sorte que
cela n’arrive pas ?
Perdre en même temps deux personnes, et dans des conditions aussi
tragiques, cela relève de l’impossible, de l’impensable. La mort d’un proche,
on la vit dans l’intimité, entouré des siens. Vécue sur la place publique, sous
la violence des regards et des préjugés, avec l’œil intrusif des médias, de
cette mort-là on ne guérit jamais. J’écris pour soigner mes morts. Et ce
faisant, j’espère aussi soigner les vivants. (p.11-12)
Comment retrouver sa vie après, retourner au travail, se retrouver
devant des collègues et entendre des remarques désobligeantes, imaginer des
murmures, des commentaires et des allusions ? Il y a de quoi fuir, chercher à devenir
un autre ou se retirer dans ses terres comme le fera le grand frère Paul.
Marité Villeneuve devait se marier dans l’été. A-t-elle le droit de
penser au bonheur après un tel geste ? Est-ce encore possible ?
Plus rien n’est possible. Je ne veux plus me marier. Je suis en
train de faire sauter ma vie en l’air. Je l’ai fait. J’ai chambardé ma vie pour
quelques mois d’une passion qui ne durera pas. Et il n’y a pas de retour
possible. Le fiancé éconduit, profondément blessé, on le comprend, ne me
pardonnera pas. (p.31)
Et après, le long chemin avec un poids terrible sur les épaules, dans
ses pensées, ses rencontres. Elle aura besoin de temps, de tellement de temps
pour jongler avec les morceaux de ce puzzle. Sa vie d’écrivaine deviendra un
pèlerinage où chaque mot, chaque phrase la rapprochent de ce 26 mars 1977. Sculpter sa vie, Les pleurantes, Je veux
rentrer chez moi, tous ses livres convergent vers ce jour qui a pulvérisé
la famille, ce début de printemps qui l’a jetée dans une autre vie. Les
écrivains sont souvent en quête de guérison. Il y a une blessure, un drame et les
livres sont là pour apprivoiser la douleur, l’accepter et respirer peut-être.
Marité Villeneuve travaillera comme psychologue pour entendre le
mal des autres, pour oublier peut-être sa propre douleur sans cesse méditée. Il y a sa peine terrible, mais que faire devant
la douleur d’un père qui n’arrivera jamais à comprendre, une mère qui réclame
justice, son frère Paul, l’écrivain qui, après avoir publié Johnny Bungalow s’est tu. L’homme de
tous les mots arpentait le silence parce que les phrases lui échappaient. Peut-être
qu’il avait compris qu’elles ne peuvent rien changer à la vie et qu’elles ne
sont que des cataplasmes. Je ne sais pas. Je me demande toujours ce qui peut
faire en sorte qu’un écrivain se taise et tourne le dos à ce qui fait sa vie.
Que faudrait-il pour que je fasse taire les mots dans ma tête, moi qui navigue
sur les phrases depuis si longtemps ?
ACCOMPAGNER
La psychologue accompagnera sa mère en fin de vie, tentera de
guérir de ce drame en sculptant, en créant pour se rapprocher de ce jour marqué
au fer rouge. Dans J’écris sur vos
cendres, elle s’aventure tout doucement sur la fragilité de son monde. Elle
écoute ses proches et demande comment va leur vie après ce jour de mars. Il
faut tenter de voir, pas disculper, mais rendre
justice à ce frère désespéré qui n’arrivait plus à respirer dans les yeux des autres, voyait son avenir
et celui de son jeune fils comme une douleur sans fin.
Elle parcourt les chemins de sa vie à l’aller comme au retour, l’avant
comme l’après. Le courage de la mère, le silence du père avec la réclusion du
grand frère l’écrivain qui avait si bien raconté le Québec dans Johnny Bungalow, une fresque qui nous portait
de la colonisation en Abitibi jusqu’aux soubresauts de la crise d’Octobre à
Montréal.
Marité Villeneuve le sait peut-être maintenant. Toute son œuvre
tourne autour de cette journée, du geste désespéré de son frère qui l’a poussée
dans une autre dimension. Elle n’aura jamais cessé de chercher à comprendre, de
s’expliquer peut-être ce geste pour ne plus se sentir le poids du monde, elle
la psychologue, celle qui devait voir et savoir toutes ces choses.
Parfois il faut se taire. Longtemps. Laissez le temps faire son
œuvre. Et tenter d’oublier, simplement, oui, oublier, et s’accrocher très fort
à la vie. C’est ce que Julien tentait d’expliquer à Elsa quand elle ressassait
le passé. Il disait qu’il fallait tourner la page et vivre le présent. Elle,
elle n’a jamais réussi. Mais les mères réussissent-elles à oublier la mort de
leurs enfants ? Lui non plus d’ailleurs, n’a jamais pu, mais se taire, oui,
cela il pouvait. (p.32)
Un livre de tendresse, de courage et d’amour où l’écrivaine tisse
des liens, scrute les gestes de ses parents et de ses proches qui n’ont jamais
pu comprendre ce drame et l’accepter. L’écrivaine parcourt lentement les sentiers
de son passé pour sentir avec sa raison et son cœur ce Big Bang qui a tout emporté.
Je me suis souvent attardé sur ses phrases comme l’auteure a dû le
faire en écrivant, biffant, recommençant pour arriver à dire juste. J’ai vite
constaté que Marité Villeneuve me demandait aussi ce que j’aurais pu faire ou
dire dans de telles circonstances. J’étais journaliste en 1977, au journal Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
J’ai vu les manchettes certainement, mais je n’en garde aucun souvenir.
Pourtant c’est un événement qui bouscule l’ordre des conférences de presse, crée
une véritable onde de choc. Pourquoi ce trou de mémoire ? Devient-on insensible
quand on fait métier de raconter les drames qui secouent la société ? Pourquoi
je ne me souviens pas de ce 26 mars 1977 ? Je lisais tous les journaux alors. Je
devrais me souvenir. Il y a tellement d’événements dont je me rappelle, mais rien
de ce jour de mars.
Ça me questionne.
Marité Villeneuve fait preuve d’un courage remarquable en osant
secouer les cendres et écrire. L’écrivaine est admirable de résilience et
d’empathie parce que la plupart du temps, on fait silence devant un tel geste.
Personne n’aime y revenir pour toutes les raisons que l’on connaît et qui font
tellement mal. Bien sûr, elle a trouvé les
mots pour le dire, s’expliquer et tenter de comprendre un frère qui
n’arrivait plus à supporter le fait d’être vivant.
Voilà le récit d’une femme courageuse qui veut comprendre et
regarder la vie avec un sourire, arriver peut-être à vivre un dimanche tranquille à Pékin. J’écris sur vos
cendres est un témoignage d’une sincérité et d’une délicatesse remarquable.
VILLENEUVE MARITÉ, J’écris
sur vos cendres, Éditions Fides, 216 pages, 19,95 $.
PROCHAINE
CHRONIQUE : Nirliit de JULIANA
LÉVEILLÉ-TRUDEL publié à La Peuplade.
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