LA FAMILLE COMBAL peut
ressembler à bien des familles qui se débrouillent et tentent de survivre en allant
là où il y a de quoi gagner des sous. Beaucoup de migrations, mais il y a plus.
Les parents ont marqué leurs enfants. La mort n’a pas fait de quartier non plus.
Jo, le fils aîné, s’est tué dans un accident d’auto. Le grand frère, celui qui avait
la vie pour soi a disparu de façon brutale. Plus tard, le cancer que Thérèse
combat depuis des années, impose le mot fin. La combattante, la courageuse n’en
a plus que pour quelques jours. Quand la mort frappe à la porte, tous se
taisent et ressassent des moments qu’ils ont tenté souvent d’oublier. Une manière
de faire le point, de cerner, peut-être un vécu qu’il n’est jamais facile de secouer.
L’enfance est toujours scrutée à travers des verres déformants.
Chaque couple est
un monde et les enfants, à l’âge adulte, partagent des souvenirs, des regards
qui se croisent et se contredisent souvent. Chacun possède son histoire, sa version de ce temps que l’on a
tendance à idéaliser. On dit aussi que tout se joue dans ces années où l’enfant
découvre le monde. La personnalité vient de l’héritage parental, bien sûr, mais
surtout de ce temps passé avec ses frères et ses sœurs. Sina Queyras fait le
tour d’une famille singulière dans Autobiographie
de l’enfance, une polyphonie qui donne la parole à tous pour en montrer les
multiples facettes. La vérité est mouvante et pas facile de se faire une idée
juste.
Les Combal n’ont
rien de banal. Adel, la mère, a fait de sa vie une aventure traumatisante pour
tous. Le père n’a rien de rassurant non plus avec son comportement
d’homme qui ne peut que faire bouger les choses et réagir violemment parfois.
Je n’ai cessé de parler
de ma famille dans mes récits et mes romans. C’est le coeur de mon écriture,
sauf peut-être dans les derniers ouvrages. Je ne suis pas le seul à avoir
emprunté cette route. Que serait Michel Tremblay sans sa famille, sa mère
particulièrement, cette rue du Plateau Mont-Royal qu’il hante depuis des années.
Victor-Lévy Beaulieu a beaucoup fréquenté sa famille et les Trois-Pistoles. La
vente de la ferme et le déménagement à Montréal restent la grande cassure de sa
vie. Chez lui, il y a l’Ancien Testament, la vie à la ferme, et le Nouveau
Testament, la vie à Montréal-Nord. Lise Tremblay et Robert Lalonde ont senti le
besoin de revenir sur des empreintes qui ne s’effacent jamais. On pourrait
multiplier les exemples. Les écrivains tentent peut-être de corriger aussi d’une
certaine façon cette époque qui les hante. Michel Marc Bouchard dit dans Les manuscrits du déluge : « Ça
sert à quoi de réécrire sa vie si on peut pas en corriger des bouts. »
L’enfance est une
histoire et en nous la rappelant, nous la reconstruisons sans cesse. Attachés à
son cœur, nous sommes prisonniers là ; les jours tournent en spirale sans
jamais s’arrêter. C’est là où l’histoire commence, alors. (p.15)
Là où l’histoire
commence et là aussi où elle peut s’arrêter.
COUPLE
Un homme et une
femme mal assortis, un couple qui tente de se débrouiller dans l’Ouest
canadien, surtout en Colombie-Britannique, véritable jardin des merveilles. Les
parents idéaux, dévoués envers leurs enfants et qui font tout pour en faire des
êtres équilibrés sont plutôt rares. Étrange aussi de savoir que les découvreurs,
les créateurs originaux sont souvent issus de familles dysfonctionnelles. Les
parents sont des hommes et des femmes, avec leurs qualités et leurs terribles
défauts. Pas moyen d’y échapper. Ce qui n’empêche pas les enfants, surtout
quand ils deviennent écrivains, de vouloir colmater des fissures et de chercher
à savoir ce qui a fait dérailler leur enfance.
Ce ne sont pas
eux qui l’ont gâchée. Leur père n’est jamais blâmé, jamais inclus dans la liste
des problèmes, c’est la mère, son refus de s’ancrer, d’accrocher les cordons de
son tablier à un arbre et de s’installer, comme si leur vie familiale allait se
stabiliser si seulement elle cédait. Leur père est à la base du progrès, il
nivelle les forêts, pave le chemin des clubs de striptease, des mines à ciel
ouvert et des centres commerciaux. Malin, fondamentalement intègre dans sa foi,
leur père se consacre à la réussite du progrès, à sa plus pure réalisation. Et
leur mère ? Elle se consacre à l’amour. Un amour dur, casse-cou, exubérant,
mais quand même l’amour. (p.48)
Adel n’a jamais
été satisfaite de sa vie, a toujours recherché un scénario où elle était la
vedette et attirait tous les regards. Le quotidien, les tâches ménagères, ne peuvent
que décevoir une femme qui rêve de se retrouver dans un monde de fiction. Elle perturbe
les enfants par ses comportements et ses coups de tête, faisant la vie
difficile à son mari qui ne peut jamais être à la hauteur.
Comment avoir une
vie normale avec des parents passionnés qui ne peuvent que se heurter et se
blesser ? Tous vivront une instabilité émotive, réagissant à leur façon. Que de
départs et d’arrivées, de voyages pour aller voir si le monde est possible
ailleurs, de déceptions en attendant la prochaine escapade.
Les enfants ont
été bousculés par cette mère imprévisible, colérique, toujours prête à changer de
peau. Comment ne pas penser à ma mère... Elle s’est faufilée au cœur de mes
romans La mort d’Alexandre et Les oiseaux de glace, était tout le
contraire d’Adel, n’avait rien d’une vedette, mais savait provoquer des orages
avec ses colères et ses sautes d’humeur.
ÉTAPES
Nous découvrons
les versions des enfants et du père chez Queyras. Des histoires qui se
recoupent et s’interpellent pour former le tableau. Les filles semblent avoir trouvé
un meilleur équilibre, fuyant ou se collant à la mère. Les garçons ont été
particulièrement traumatisés. Pas étonnant avec une Adel en constant désir de mutation, misant tout sur sa beauté et sa sensualité.
Annie ne se
rappelle pas avoir jamais vu sa mère autrement qu’en robe et talons hauts, même
quand elle était dans son jardin, digne, le tuyau d’arrosage dans une main, une
cigarette dans l’autre, les seins pointés dans son soutien-gorge cœur croisé,
un genou légèrement fléchi, et un sourire qui provoquait des accidents. Toujours
en train de flirter, toujours à faire des clins d’œil et à encourager. (p.225)
Une femme
capricieuse, toujours en représentation, que rien ne pouvait satisfaire. Un peu
l’image de ma mère qui n’a jamais pu échapper aux tourbillons qu’elle ne
cessait de provoquer. Comment oublier ses colères et ses querelles épiques avec
les voisins ?
La vie est souvent
cruelle et dure. On l’affronte en faisant face ou en prenant la fuite. Adel ne
peut trouver de point d’ancrage, se calmer et vivre ce qui est. Elle cherche les situations souvent difficiles
dans l’espoir de s’arracher à son quotidien, ne sait comment résister à ses
pulsions. Le tragique dans tout ça, c’est que l’amour et la passion se
transforment souvent en colère et en haine.
La femme qu’il
vénérait, celle qui le tenait en laisse, celle qu’il avait toujours besoin de
toucher, de voir, dont il voulait toujours sentir la peau, lui soulève
maintenant le cœur. Descendu à ce niveau, il a pensé à l’empoisonner, mais elle
était déjà un poison et sa propre haine l’avait empoisonné. Il avait honte de
lui. (p.154)
Le roman cogne dur.
Adel est une tornade qui a poussé ses enfants dans l’instabilité, la peur et la
crainte. Véritable personnage de Tennessee Williams ou de John Steinbeck, elle fascine,
agace dans sa sensualité racoleuse, son instabilité émotive et son désir de changement.
Une passionnée qui a transformé l’existence de ses proches en enfer.
Autobiographie de l’enfance m’a souvent ramené à ma famille. Adel éveillant en moi des
souvenirs, des situations difficiles que j’ai apprivoisées avec le temps. Il le
faut. À quoi sert l’écriture sinon ?
Nous plantons nos
enfances comme des drapeaux. Nous insistons sur elles. Nous disons : cette
géographie, cette matérialité, ces mines antipersonnel d’émotion, c’est ce que
je suis. Nous insistons sur elles parce que, sans elles, nous ne sommes rien.
(p.312)
Un travail
impeccable d’Hélène Rioux pour la traduction et le puzzle finit par donner un
tableau fascinant. Sina Queyras nous force à nous demander pourquoi nous sommes
ce que nous sommes et pourquoi nous avons pris telle direction. Les familles
restent un monde que nous ne pourrons jamais éviter et un sujet inépuisable
pour les écrivains et les créateurs. La vie peut être longue et heureuse,
l’enfance courte et traumatisante.
Autobiographie de l’enfance de Sina Queyras est
paru chez Hamac, 320 pages, 24,95 $. (Traduction d’Hélène Rioux)
PROCHAINE CHRONIQUE : Le faux pas de l’actrice
dans sa traîne de HERVÉ BOUCHARD publié chez LE QUARTANIER.
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