Elle est pacifiste, antimilitariste. Il est soldat, en
mission à Kaboul, en Afghanistan. Tout les sépare, rien ne peut faire en sorte
qu'ils se comprennent et partagent ce qu’ils vivent. C'est pourtant ce qui arrive
à Roxanne Bouchard, enseignante, écrivaine et un militaire du 22e
régiment, Patrick Kègle. Une belle manière de mettre ses convictions à
l'épreuve, d'écouter l’autre, de comprendre ce que chacun vit et peut-être
trouver qui ils sont au-delà des idées préconçues et les différences. Un bel
exemple d'empathie et de curiosité.
Tout commence de façon anodine. Patrick Kègle, de Kaboul, écrit à son
groupe favori Les Charbonniers de l’enfer. Il apprécie leur
musique et écoute souvent leur dernier disque dans ce pays du bout du monde.
Roxanne Bouchard, étant alors la compagne d’un membre du groupe, lui répond.
C’était en 2004. C’est ainsi que commence une correspondance. Les messages,
avec de longues interruptions, circuleront jusqu’en 2009. La magie d’Internet
permet ça. Kim Thuy et Pascal Janovjak ont vécu un échange du genre dans À toi. Cette nouvelle technologie permet des contacts qu’il était à
peu près impossible, il n’y a pas si longtemps.
Le temps pour le militaire d’aller au bout de sa mission, de rentrer au
Québec et de connaître les affres du retour avant de repartir à Kandahar.
Pendant ces années, Roxanne Bouchard voit son couple s’étioler, vit une
séparation difficile, deviendra l’écrivaine que l’on connaît, voyagera dans les
mers du Sud pour se refaire une santé émotive.
Je suis militaire. Je me suis engagé à défendre mon
pays et les valeurs qui font de lui un havre de paix. (p.9)
Elle fait écho à cette déclaration.
J’étais antimilitariste quand, en 2004, j’ai reçu le
premier courriel du soldat Kègle. Posté à Kaboul, il disait travailler au
rétablissement de la paix. (p.9)
Il raconte ses missions, les dangers du quotidien, ses peurs et l’horreur
qui le fixe tous les jours. La mort rôde chaque fois que le soleil se lève.
Elle tente de comprendre ce qui l’anime, ce qu’il ressent en vivant avec une
arme qui ne le quitte jamais. Pourquoi surtout il accepte de vivre ça.
L’autre jour, en lisant cette lettre où tu me parlais
de l’attentat et de ton inquiétude, je me suis aperçue que mes propos
antimilitaristes, je les énonçais avec dureté et que, finalement, j’avais l’air
plus agressive avec mon crayon que toi, malgré tes fusils. Moi qui prêche
l’ouverture d’esprit, le respect et la compréhension de l’autre, je n’ai pas
été très aimable depuis le début de cette correspondance et je m’en excuse.
(p.54)
Patrikc Kègle raconte souvent ce qu’il cache à sa femme pour ne pas
l’inquiéter. Roxanne Bouchard est secouée par les propos de ce guerrier qui
fait preuve d’un humanisme que bien des pacifistes pourraient lui envier.
Compréhension
Les courriels vont, d’un monde à l’autre, abolissent le temps et l’espace.
Ils vivent des doutes, connaissent des hésitations. Une femme et un homme
tentent de se comprendre. Deux univers se rapprochent.
Il rentre de mission, vit une dépression, celle qui touche beaucoup de
militaires à leur retour, vit aussi une séparation. Elle doit surmonter des
moments difficiles. Une solitude qu’elle doit apprivoiser dans sa nouvelle vie,
avant de rencontrer un nouvel amoureux.
Ce dialogue permet peut-être d’aller au-delà de ce qu’ils auraient pu se
dire dans des tête-à-tête. Admirable franchise qui résiste malgré les
bouleversements qui secouent leur vie.
Un dialogue vrai, senti, souvent amusant. Roxanne Bouchard, malgré ses
épreuves, possède un solide sens de l’humour. Les deux deviendront de meilleurs
humains grâce à cette amitié improbable, à cette correspondance exemplaire.
Bouchard Roxanne, Kègle Patrick, En terrain miné,
Correspondance en temps de guerre, Montréal, VLB Éditeur, 240 pages,
24,95 $.
Ce qu’ils ont écrit :
Patrick Kègle
Tu sais, on a rencontré des mollahs dernièrement et
plus de la moitié ne savaient ni lire, ni écrire… Alors ne va pas t’imaginer
qu’ils comprennent le Coran puisqu’ils ne parlent pas arabe non plus ! Ce sont
ces mêmes mollahs qui dictent la bonne conduite au peuple ! (p.34)
Roxanne Bouchard
Qui partira en guerre contre les touristes qui
achètent, sur les plages ensoleillées de la République dominicaine, de petites
esclaves haïtiennes ? Qui dénoncera les exploiteurs d’ouvrières sous-payées
dans les usines textiles de Vancouver, de Montréal ? Que faire avec tous ceux
qui battent leur femme et jouissent sur le corps violé des enfants ? (p.43)
Patrick Kègle
Nous avons su par la suite par les services
médicaux qui étaient sur place avec nous que les femmes ne pouvaient être vues
ni soignées, que les conditions d’hygiène étaient archaïques : jamais
aucun bain ou aucune douche n’avaient été pris… Pas surprenant en cette terre
aride. (p.80)
Roxanne Bouchard
Il ne s’agit pas toujours de faire un geste en
mémoire de, mais uniquement de se rappeler. Parce que tu te rappelles de ta
mère, elle ne mourra jamais et c’est toi qui la sauves de l’oubli. Parce que tu
ne l’oublies pas, tu témoignes à quel point elle a été importante. Sa vie a été
importante. (p.205)
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