David Adams Richards aborde, dans Enquête dans la réserve, une question que
nous retrouvons rarement dans notre littérature. Pourtant, cette réalité marque
l’histoire de l’Amérique, occupe souvent les manchettes des médias, surtout
quand il est question de revendications territoriales, de la nation métisse ou
des négociations de l’Approche commune. Gérard Bouchard, dans Uashat, nous entraînait dans ce monde
dur, mais son roman est passé un peu sous silence. Est-ce là un sujet tabou ?
David
Adams Richards, un romancier né au Nouveau-Brunswick, présente la question
autochtone avec une franchise et une manière qui m’a laissé un peu perplexe au
début. J’ai eu du mal à trouver mes repères dans les premières pages, peut-être
parce que j’avais l’impression que le temps se défaisait, s’étiolait pour nous
faire prendre un certain recul devant des événements qui ont traumatisé la
Réserve micmaque située dans la baie de Miramichi, en 1985. Il faut un peu de
patience, mais le déclic se fait. Tout est rédigé comme un rapport de police.
Les faits, les événements, les intervenants, les personnages décrits le plus
sobrement possible, sans jamais se laisser emporter par l’émotion ou les passions.
Markus Paul, le petit-fils d’Amos, le chef de la Réserve à l’époque, raconte
cette affaire qu’aucun témoin ne peut oublier.
C’est un accident qui causa la mort d’Hector
Penniac, un Autochtone de la réserve d’Amos Paul. Mais peu de temps après, on
en vint à considérer cette mort comme suspecte. Et une fois devenue suspecte,
on en vint à la considérer comme criminelle. Il y avait deux raisons possibles
pour que ce soit Roger qui l’ait provoquée, l’une liée au racisme et l’autre au
syndicalisme : cet homme avec lequel le syndicat avait des problèmes se
serait vengé de ne pas avoir été autorisé à travailler ce jour-là. (p.15)
Accident
ou meurtre ? Un coupable est vite trouvé. Roger Savage. Ce Blanc permet de canaliser
toutes les frustrations et stimule quelques individus qui convoitent le poste
de chef pour de bonnes et mauvaises raisons. La victime est désignée, l’agneau doit
être immolé. Il vit à la frontière de la Réserve. Tous le connaissent, tous l’aiment
bien même s’il est un peu rude. Et Roger Savage possède des droits sur les
fosses à saumons que revendiquent les Autochtones. Toutes les frustrations
refont surface. L’étau se resserre et la vie devient impossible pour ce
travailleur qui ne demande qu’à agrandir sa maison parce qu’il doit bientôt se
marier.
La vérité
Le
vieux chef Amos Paul tente de calmer les siens, de prendre du recul, de se
tenir au-dessus de la mêlée. Ce n’est pas évident quand un journaliste, qui
rêve d’être une vedette médiatique, débarque et souffle sur les braises dans
ses reportages. Le frère de la victime, Joël, une tête brûlée, ne parle que de
vengeance, de justice. Il cherche surtout à faire le trafic de la drogue. Isaak
Snow est plus modéré, mais il est poussé à l’avant de la scène. Amos semble tellement
fragile, incapable de prendre une décision, de régler cette affaire rapidement.
Tout
le roman est là.
L’action
ou la réflexion, les faits, l’analyse quand on se retrouve devant une situation
qui peut s’enflammer. Le chef Amos voit rapidement que le jeune Hector Penniac n’est
pas mort comme on voudrait le laisser croire. Il s’est passé quelque chose dans
la cale du navire que l’on chargeait de bois. Certains faits troublants n’ont
pas de réponses. Mais qui veut réfléchir ? Tous cherchent à en finir. Autant
les médias que les policiers. Un coupable fait l’affaire de tout le monde.
Markus,
le petit-fils d’Amos, était adolescent à l’époque, connaissait tout le monde,
prenait soin de Petit Joe et ne pouvait imaginer sa vie sans Sky, la sœur de
son ami. Un amour plus grand que la Réserve et le monde. Un amour comme on en
connaît peut-être une fois dans sa vie. Il est rapidement marginalisé quand les
guerriers dressent des barricades. Markus aime son grand-père et tente de
naviguer entre lui et la communauté. La situation ne cesse de s’envenimer avec
les étudiants qui viennent manifester, la drogue qui circule librement. Les
passions ne pourront se calmer que dans le sang et la mort.
Le passé n’existait plus. Pourtant, de tant
de façons, leurs anciens et leurs chefs clamaient que pour s’ouvrir à l’avenir
et guérir leurs plaies, ils devaient rétablir ce passé qui avait disparu.
Autrement dit, ils étaient depuis cent ans engagés dans une course sans fin et
dénuée de sens, comme des hamsters dans une roue. Quitter la roue, c’était
quitter la réserve. Quitter la réserve, c’était quitter le territoire. Quitter
le territoire, c’était quitté le passé. Quitter le passé, c’était quitter ce
qu’ils étaient comme peuple. Cela les changerait pour toujours. (p.129)
Markus,
devenu agent de la GRC, élucidera les événements une vingtaine d’années plus
tard. Il fera la lumière sur cette histoire sordide, mais ne pourra jamais
effacer les blessures, les morts qui ont brisé sa vie et celle de ses amis.
David
Adams Richards plaide pour l’humanisme, la réflexion, la compréhension
peut-être, surtout la tolérance. Toute la frustration et la colère des Micmacs
passent dans ce roman qui échappe au temps, nous plonge dans les zones les plus
sombres de l’Amérique. C’est touchant, magnifique et surtout nous rappelle une
réalité que nous refusons encore de voir et de considérer. Un grand roman d’une
actualité évidente qui ne risque pas de perdre sa pertinence. Du moins, rien
n’indique que la question autochtone va se régler dans les années à venir à la
satisfaction de tous.
Enquête dans
la réserve de David Adams Richards
est paru aux Éditions La Pleine lune.
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