Hervé Foulon en compagnie de Nicole Houde |
Nicole Houde remportait, le
21 mars dernier, le prix Hervé-Foulon du Livre oublié avec «La maison du
remous». Édité pour la première fois en 1986, l’ouvrage fondateur de la
romancière installe des thèmes, des questionnements et des préoccupations qui essaimeront
dans les œuvres subséquentes de cette écrivaine unique. J’ai lu trois ou quatre
fois ce roman au fil des ans et j’ai été bouleversé pour différentes raisons. À
toutes les fois. L’écriture vous aspire comme une galaxie qui ne cesse de
prendre de l’expansion, s’attarde à l’univers des femmes d’une façon singulière.
L’auteure, avec raison, a
résisté à la tentation de retoucher le texte à l’occasion de cette nouvelle
parution. Elle a su respecter son cheminement et l’écrivaine qu’elle était il y
a vingt ans. Tout y était alors, tout y est encore. L’éditeur a repris la page
couverture qui provoque un malaise avant même d’avoir amorcé la lecture. Le ton
est donné.
Univers
Laetitia nous entraîne dans le
monde qu’explorera Nicole Houde dans ses différentes parutions. Dans une démarche
sans compromis, exigeante, l’écrivaine reviendra autour de certains personnages
pour les bousculer et mieux les cerner. La figure du père par exemple qu’elle
ne réussira à saisir qu’avec «Je pense à toi» en 2008, vingt ans plus tard. Un
écrivain a beau être happé par des sujets ou des humains, il multiplie souvent les
excuses et inventera tous les détours pour ne pas les confronter. Peut-être
parce que c’est trop douloureux de rouvrir certaines blessures, de fouiller des
secrets que l’on préfère ignorer.
Nous comprenons avec le
recul, qu’il a fallu toute une vie d’écriture à madame Houde pour cerner son
univers et en découvrir toutes les dimensions. Que de courage il faut pour
s’aventurer dans un milieu qui broie les hommes et les femmes, les écrase dans
leur esprit et leur corps. Laetitia et ses filles, une figure inoubliable et
fascinante, sont dépossédées par leurs fonctions biologiques. Le corps trahi. La
maternité devient une malédiction qui chiffonne l’organisme, s’en nourrit
depuis la nuit des temps. L’homme, dans cet espace, devient une menace qu’elles
doivent éloigner malgré l’attirance, l’espoir de douceur et d’amour, la
sensualité souvent incontrôlable.
La seule tentative d’évasion
de Laetitia, peu après son mariage, ne peut qu’échouer. Une nuit sur les monts
Valin pour être la sensualité, le plaisir et échapper au remous qui avale le
village. Conquérir aussi l’espace des mâles et échapper à son destin. Elle sera
enfermée dans la maison par le père et le mari, des figures interchangeables.
Tout doit être à sa place dans cette prison où les femmes venues des
générations d’avant la hantent et la poussent dans une rage destructrice. «Rien
ne doit changer au pays du Québec» écrivait Louis Hémon. Nicole Houde lui
répond d’une façon percutante en montrant l’envers de la médaille.
Trahison
Le corps ne cesse de trahir Laetitia
et de la réduire à son rôle de faiseuse d’enfants qui deviennent rapidement des
étrangers à la naissance. Ce petit être gruge ses énergies et l’esprit, l’âme
je dirais. Il n’y aura que la toute dernière peut-être, par sa marginalité, pour
s’accrocher dans l’enfance. Ce sera fatal pour l’irréductible qui ne peut tenir
tête à tout un village.
Cette réalité, les femmes ne
peuvent la fuir que dans la folie ou la mort. Toutes, dans «La maison du
remous» sont prisonnières et sous haute surveillance. Pendant ce temps, l’homme
se défonce dans les chantiers et se noie dans l’alcool au printemps.
Les femmes ne peuvent que sentir
leur corps leur échapper, que protéger les filles qui ont cru aux mirages des
promesses amoureuses et aux sourires des hommes. Ce rêve engendre les pires
catastrophes, les gestes sans retour. Le suicide de la sœur de Laetitia est un
moment inoubliable. Cette scène me hante encore.
Une page importante du vécu
des femmes, du sort qui leur a été réservé dans une société patriarcale et
cléricale où elles n’étaient que des ventres qui assuraient l’avenir de la
race.
Même après quatre ou cinq
lectures, on ne sort pas indemne de «La maison du remous». Une œuvre puissante qui
n’a pris aucune ride. Un grand roman qui montrait déjà l’écrivaine importante
et unique qu’allait devenir Nicole Houde. Il faudrait bien en faire un film un
de ces jours.
«La maison du remous» de Nicole Houde est paru aux
Éditions de La Pleine lune.
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