J’aime le monde de Mylène
Bouchard, son regard sur la vie, le travail, les amours réels et imaginaires,
les rencontres impossibles et les hasards. Elle fait preuve d’une sensibilité
particulière qu’elle transpose dans une écriture toute simple qui révèle
parfaitement l’univers qui est le sien. On peut appeler cela une forme de grand
art.
Mylène Bouchard, dans «Ciel
mon mari», se permet la fantaisie de prospecter le réel. La plupart du temps,
elle revient à ce qui la préoccupe: la vie de maintenant avec ses embûches, ses
éclaircies et ses mensonges.
L’écrivaine multiplie les
angles, questionne l’écriture qui bouscule quand elle ne vous aspire pas. Les «souffleurs
de mots» n’échappent pas à la frénésie qui les entoure tout comme aux
changements qui viennent secouer leur quotidien. Ils font face à la solitude, aux
enfants qui doivent se débrouiller parfois seuls, à un travail qui épuise, des remises
en question qui deviennent des sujets d’écriture.
Tout n’est pas d’une même
venue dans cette suite de courtes fictions. Les textes destinés à la radio
m’ont laissé un peu sur mon quant-à-soi. Par contre, Mylène Bouchard fascine
quand elle cerne des comportements, s’attarde à de grandes et petites misères.
Je songe à «Au beau milieu» qui nous plonge dans un village qui se meurt et qui
se hérisse quand des jeunes viennent s’installer. Le jeune couple se heurte à
un monde paranoïaque et sclérosé.
«J’ai vu arriver le jeune
couple du 712 et leur bataclan. Ils avaient fait le pari de s’établir dans une
localité rurale et d’y fonder une famille. La femme avait préalablement trouvé
du boulot. Quant à lui, il sait que la recherche de travail prendra plus de
temps. Le jeune couple moderne habite au beau milieu de la route de l’Église.
La rue prend la forme d’un croissant ceinturant l’église et leur maison est
située dans le creux du bol, au 712 route de l’Église très exactement.» (p.75)
Ces sociétés étouffent dans
leurs rancunes et ne tolèrent aucune remise en question. Il en est ainsi depuis
toujours. Ces villages n’acceptent surtout pas de voir des jeunes vivre
différemment, d’où la difficulté des immigrants à s’intégrer dans les régions.
«Je n’irai pas à Pompéi»,
reprend le thème. Une jeune femme échoue dans un hameau loin de tout. Elle y
est tolérée jusqu’à ce que sa présence devienne suspecte.
«Depuis quelques jours, les
gens ne me regardent plus de la même manière. Au café, l’accueil est moins
chaleureux. Ça y est, je crois que les gens de San Lazzaro se demandent
pourquoi je suis là. Ils m’envoient des signaux. Politesses pour m’inviter à
partir au bon moment. C’est parfois le sort du voyageur. On lui rappelle à la
fois qu’il est vivant et étranger aux montagnes qui ne l’ont pas vu naître.»
(p.52)
Ces populations produisent
des anticorps, on dirait, pour se protéger des nouveaux visages.
Personnages
Nous retrouvons avec bonheur quelques
personnages des publications antérieures de Mylène Bouchard. Le couple de «La
garçonnière» a mis toute une vie à se chercher et reste incapable de se retenir
quand ils se croisent. Voilà deux électrons libres qui ne peuvent aller dans
une même direction. La solitude aussi de ce petit garçon qui se débrouille pendant
que la mère travaille. Un abandon qui va au-delà des mots. Même si je
connaissais le texte, j’ai avalé de travers en le relisant.
«Une fois qu’il est revenu
chez lui après l’école, qu’il a ouvert la porte d’entrée, qu’il a comblé son
creux, qu’il a espionné les soupers de son quartier, Loan prend peur. Il va
dehors pour l’école et revient et c’est tout. L’idée de sortir à nouveau
dehors, tout seul, le soir, est pour lui inconcevable. C’est un enfant comme
ça. De jour, de réverbères. La soirée s’éternise. Il s’endort très tard, après
que la dernière fenêtre des alentours s’est éteinte, que les rideaux sont
définitivement tirés.» (p.127)
L’errance, la solitude, le
questionnement de l’écriture, le plaisir d’étudier, de voyager, de vouloir dépoussiérer
la société pour faire autrement marquent ces textes. Partout l’auteure fait
face à des résistances, des bousculades, des douleurs et des chagrins, des
rencontres qui ne peuvent se réaliser. Des fragments à lire lentement pour les
laisser se déposer. Le tout empreint d’une grande délicatesse, d’une belle
subtilité et d’une efficacité remarquable.
«Ciel mon mari» de Mylène Bouchard est paru aux
Éditions de La Peuplade.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire