dimanche 10 février 2013

Hélène Rompré se penche sur le sort des femmes


Hélène Rompré mélange habilement deux époques dans «Novembre veut ma peau». Carmen et Mathilde se croisent par la magie des livres, au-delà du temps et de l’espace. Une belle façon d’aborder la situation des femmes, d’une lutte toujours à recommencer pour être dans son corps et son esprit, peu importe les époques et les milieux.

Hélène Rompré est arrivée au Camp littéraire Félix avec un manuscrit, il y a quelques années. Avec beaucoup d’humour, elle nous fit découvrir, à moi et aux stagiaires, l’histoire d’une jeune femme qui cherchait à se retrouver dans le tourbillon de sa vie. Les sorties, l’alcool, la bousculade des jours ne lui laissaient aucun répit. Immanquablement, elle retrouvait un homme dans son lit au réveil. Des amours d’un soir, l’exultation du corps qui laissait un goût amer.
Voilà!  «Novembre veut ma peau» vient de paraître. J’étais curieux de voir ce qu’était devenu le manuscrit et le personnage de Carmen. L’auteure n’a jamais cessé de travailler depuis cette rencontre.
«J’arrête le sexe. C’est décidé. J’ai fait le décompte à mon réveil: vingt et un amants. Autant d’ex que d’années de vie. C’est beaucoup. L’acte ne veut plus rien dire. Il doit exister d’autres moyens pour me réchauffer, me dégeler. Je vais devenir chaste. Pas par conviction. Je n’adhère à aucune religion prônant la morale du siècle passé. Non. L’idée m’a plutôt traversé l’esprit vers cinq heures du matin: garder un nombre d’amants inférieur à mon âge.» (p.10)
Des bonnes intentions, mais comment repousser les tentations?

Belle surprise

Un nouveau personnage est apparu depuis: Mathilde, une fille de bonne famille, qui vit à Montréal dans les années 1875. L’avenir d’une jeune femme alors était lié à l’homme qui la courtisait et demandait sa main. Toutes les préoccupations des mères et des filles étaient la préparation des bals, les occasions de bien paraître en société pour dénicher le bon parti. Du moins dans un certain milieu.
Deux filles du même âge, deux époques différentes. Les deux tentent de reprendre leur vie en main. Le problème de Carmen est l’absence de règles et ses pulsions. Elle n’arrive pas à trouver un ancrage. Les hommes sont un drap qu’elle change chaque matin. Il en résulte un vide, une perte de sens qui mène à la frénésie.
«Éliminer les tentations de ma vie. Persévérance, sobriété, vertu. Passer du temps avec moi. Établir mes priorités. Forcer mon cerveau à réfléchir. Me garder de faire la tournée des boîtes de nuit. Rester à la maison pendant que tous boivent et jouent le jeu de la séduction.» (p.26)
Mathilde passe par des chemins bien différents pour trouver son espace et se libérer des carcans de son milieu bourgeois.
«Depuis combien d’années ma mère est-elle engagée dans cette course effrénée pour me placer dans un foyer convenable? Une éternité. Jamais ne passe un seul jour sans qu’elle me témoigne de nouveaux espoirs et de nouveaux reproches.» (p.25)
Elle aimerait s’affirmer sans passer par le lit d’un homme, mais cela n’est guère possible à l’époque.
«Il y a des jours où je me demande pourquoi Dieu a créé l’homme avec le désir, cette impulsion risquant à tout moment de nous faire tomber. Le visage colérique d’un enfant que l’on prive d’un jouet me rappelle toujours combien nous sommes nés esclaves de nos tentations.» (p.31)

Bouleversement

La mort du père de Mathilde fera basculer son monde. Elle n’est plus un parti intéressant pour les jeunes professionnels. La jeune femme devra travailler et prendre soin de sa mère. Elle s’initiera même aux joies de l’amour avec la complicité d’une servante bien en avance sur son temps.
«Je sais que c’est là un cadeau que m’offre Armande, mais j’ignore comment l’accepter. À vrai dire, je ne crains pas de perdre ma réputation ni même d’offenser Dieu, le péché de la chair s’absout avec le temps et la contrition sincère. J’ai plutôt peur de goûter à un interdit que j’aurai envie de retrouver alors que je ne le pourrai plus. Je me demande ce qui cause le plus de mal à l’âme: savoir ou regretter.» (p.186)
Hélène Rompré fait preuve d’un humour particulier, d’une ironie qu’elle dose bien dans la vie tourbillonnante de Carmen et l’univers figé de Mathilde. Une quête d’identité qui ne sonne jamais faux et prend des virages étonnants. Deux personnages attachants que j’ai quittés avec regret. Une belle réussite que ce roman vivant et actuel.

«Novembre veut ma peau» d’Hélène Rompré est paru aux Éditions Pierre Tisseyre.

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