La première nouvelle a
provoqué chez moi un certain malaise. Je ne savais trop quoi penser de Maryse
et de ses humeurs. Je retrouvais un peu l’univers de «Voyage léger» où une
jeune femme s’embourbe dans les gestes du quotidien, s’exile dans un quartier
de Montréal, près de l’aéroport, pour vivre en étrangère. Ici, la danseuse se
coupe du monde qui l’a aspirée jusqu’à maintenant. Elle décroche après une
fracture à la jambe, comme un wagon largué qui s’immobilise peu à peu.
Heureusement, le second texte
m’a happé et j’ai décidé de reprendre depuis le début, pour me rassurer peut-être,
comprendre les signaux de l’auteure.
Constance
Tous les personnages de
«Point d’équilibre» ont une parenté avec l’héroïne de «Voyage léger» qui débobine
son fil pour mieux s’égarer en ayant la certitude de pouvoir revenir. Presque
tous les protagonistes de ces nouvelles décrochent et «marchent à côté d’une
joie» pour paraphraser le poète Saint-Denys Garneau. Tous deviennent des spectateurs
de leur vie à un moment ou à un autre.
«Mon pays était loin, mais
plus que cela, le problème, c’était moi. J’étais une terre étrangère. Depuis
Barbara, mon corps était une maison vide, et mes mains étaient deux fantômes
qui ne pouvaient plus toucher quoi que ce soit. Tout me glissait entre les
doigts, me rappelait que j’étais mort.» (p.23)
Un accident, une rencontre, un
voyage, une relation amoureuse qui tangue, un imprévu et c’est la glissade.
«Étoiles de papier» par exemple. La narratrice apprend qu’elle est enceinte. Des
triplets. De quoi s’évanouir ou courir partout pour le crier au monde. Tout
bascule alors. Une belle illustration de l’effet domino qui emporte les protagonistes
dans des situations imprévues. «Une culbute» à la Paul Auster sans les changements
radicaux, sans basculer dans une autre vie.
À Rome, pour faire la
connaissance de ses beaux-parents, une jeune femme plonge dans une société différente,
une langue qu’elle comprend plus ou moins. Elle ne peut être que témoin de sa
vie, se sentant en dehors de tout, une autre dans son corps.
Et cette terrible nouvelle, «Aux
épaules d’Atlas», où une femme est sur le point d’éclater. Son mari, à son
retour d’Afghanistan, est un étranger. Une querelle, un geste pour bousculer
certaines choses et la tragédie se produit.
«Dans la voiture, la querelle
se poursuit. Le moteur tourne depuis plusieurs minutes. La porte du garage est
fermée. Les vapeurs d’essence saturent tranquillement l’air de la pièce, il
devient de plus en plus pénible de respirer. Il fait chaud. Florence retire son
foulard et son chapeau. Étrangement, les garçons semblent vouloir se calmer.
Leurs cris sont moins insistants, leurs voix ramollissent, tout comme leurs
jambes, leurs bras. Confuse, Florence ne fait que répéter sa dernière phrase en
boucle.
— Arrêtez de vous chicaner,
je vais le dire à maman sinon. Elle l’a dit, c’est comme ça que les guerres
commencent.» (p.104)
La chute d’un ouvrier dans le
jardin, une fête d’anniversaire, tout peut ébranler cette vie fragile et
coriace. Le drame colle à vos pas et il ne faut surtout pas le provoquer. Le
pire peut survenir pendant un moment de distraction. Le drame chez Mélissa
Verreault se dissimule dans le quotidien. Il suffit d’un moment d’inattention
et tout bascule. «Point d’équilibre», le titre est fort pertinent, flirte avec
le tragique, l’amour et la mort qui semble toujours prête à sortir les griffes.
L’écrivaine, avec une belle
candeur, un humour certain, parfois un peu forcé («Suspendue à dix mille pieds
dans les airs, j’avais peur de ne pas être à la hauteur») vous pousse vers le
drame et la tragédie.
Mélissa Verreault vous attire
dans sa toile telle une araignée. Elle sait vous distraire pour mieux vous
surprendre. Juste, étonnant souvent, assez pour vous faire prendre conscience
que la vie est capable du pire comme du meilleur. Elle confirme ici son beau talent.
«Point d’équilibre» de Mélissa Verreault est paru aux
Éditions de La Peuplade.
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