mardi 7 août 2012

Marcel Broquet se penche sur sa vie d’éditeur


Plus de cinquante ans dans le monde du livre comme libraire, éditeur et enfin comme auteur. Voilà le parcours fascinant de Marcel Broquet.

L’auteur est né en Suisse, d’une famille de paysans qui n’hésitaient pas devant l’effort. Un pays qu’il quitte dans la vingtaine pour aboutir au Canada où il rencontrera l’amour, réussira à se tailler une place enviable dans le monde de l’édition. Ce qui ne veut pas dire qu’il tourne le dos à son lieu d’origine, loin de là. Il y retourne régulièrement et la Suisse le fascine même s’il adore le Québec.
Le détour est long avant d’aborder sa vie à Montréal. Marcel Broquet est un passionné d’histoire, des pays et des gens. Il remonte l’arbre généalogique de ses ancêtres et découvre la Suisse qui traîne une mauvaise réputation avec sa neutralité politique et les comptes bancaires.
Et comment éviter les secrets de famille ?
Son père a eu l’étrange idée de migrer en France juste avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est engagé dans la Résistance, s’est fait tuer dans un règlement de compte.
«Mon père, Paul, est né le 14 septembre 1903 à Delémont. Il est mort assassiné à Marvelise, petit village de Franche-Comté, le1er octobre 1944.» (p.41)
Une histoire d’amour, un rival qui l’abat froidement. Il laisse cinq enfants à la charge de sa femme. Sans ressources, elle doit retourner en Suisse et faire mille tâches pour survivre avec l’aide de sa famille.

Étude

Marcel à dix ans ne sait ni lire ni écrire. En retard sur les jeunes de son âge, il doit fréquenter l’école, la loi l’oblige en Suisse. Heureusement, une institutrice le prend en charge et lui donne des cours particuliers.
Élève sérieux, il se dirige vers un établissement de commerce et peut gagner sa vie dans les assurances. Un métier qu’il n’apprécie guère mais qui lui procure une belle indépendance. Il découvre surtout Lausanne.
La passion pour les livres est là, celle des randonnées dans la campagne, des excursions en France. Il fera même une expédition à Paris à bicyclette. Le jeune Broquet dort à la belle étoile et mange ce qu’il trouve. Il ne manquait surtout pas d’audace.

Le Canada

Le goût de partir devient de plus en plus pressant et il choisit le Canada, l’Ouest pour devenir fermier. Il se retrouve à Montréal avec dix dollars en poche et doit effectuer de menus travaux pour survivre. Il finit par ouvrir une librairie à Verdun. Un monde difficile, surtout avec l’étiquette d’étranger qui lui colle au dos. Il glisse imperceptiblement vers le métier d’éditeur, se distinguant surtout pas ses ouvrages sur les oiseaux et la belle collection Signatures qui présente les peintres du Québec. Tout cela avec les hauts et les bas du marché de l’édition, la compétition féroce et un système d’escomptes qui laisse peu de sous dans la caisse. Il parvient à créer une entreprise exemplaire et ses fils prendront la relève.
Marcel Broquet survole toute la période d’affirmation du Québec avec la Révolution tranquille, mais reste discret et laisse le lecteur souvent sur sa faim. Il s’attarde plus aux origines de sa famille, la Suisse que sur le monde du livre et ses soubresauts. Il effleure à peine l’univers des auteurs et les grands moments de sa carrière.
Il plaide pourtant pour le livre, la culture, la lecture sous toutes ses formes avec une complice, Rosette Pipar. Les deux croient que le projet de loi C-11 du gouvernement Harper va anéantir les revenus déjà plutôt minces des créateurs.
«Stanley Péan, le président de l’UNEQ, avait qualifié le premier ministre d’« inculte » et de « bête politique non intelligente ». Il citait en exemple des pays comme l’Angleterre, l’Irlande ou l’Écosse, qui investissent entre 20 $ et 22 $ par citoyen pour leur conseil des arts. « Le Canada donne 5 $ par citoyen… » (p.240)

Un ouvrage sympathique, le monde d’un migrant qui a gardé un amour sincère pour son pays d’origine et qui s’est taillé une place enviable au Québec.

«Laissez-moi vous raconter» de Marcel Broquet est paru aux Éditions Marcel Broquet.

L’entreprise de Simon Girard bat de l’aile


«Ca va être là»… mettre la réalité sur les pages. Je peux comprendre, c’est pour ça que j’écris… au moins en partie. Mais je doute que ce soit LA raison de Michel, je sens qu’il y a autre chose.» (p.133)

Voilà la proposition du récit biographique de Simon Girard. L’auteur nous entraîne à Percé, dans le monde d’un homme ordinaire. Une camaraderie s’installe entre l’auteur et Michel Bourget qui raconte ses histoires en buvant de la bière. Les deux bricolent le matin et à quatorze heures, la caisse de houblon glisse sous la table. On trouve de tout dans ce récit : des histoires de chasse, d’ours que Michel a surpris dans les forêts. Nous sommes cependant loin de la magie de Samuel Archibald.
Michel l’avoue à la toute fin, il se confie pour rejoindre ses enfants qu’il n’a pas vu grandir. Le conflit avec la mère était trop virulent. Et la DPJ a mis bien des bâtons dans les roues.
«Vivre un an et demi en une heure… ces affaires-là, c’est un peu en dehors de la coche. Tu fais des enfants, et la Loi voudrait qu’ils deviennent comme des étrangers par rapport à toi. Un moment donné, mes bébés vont être assez grands pour décider par eux-mêmes de me voir et … le livre, ça pourra leur faire une introduction un peu plus plaisante.» (p.187)
Michel tend une perche vers ses enfants. Simon écrit pour faire un livre, dire les choses comme elles sont.

Confidences

Les histoires se croisent et sont souvent racontées par deux ou trois personnes différentes. Ce qui donne un effet de répétition et surtout n’apporte rien de particulier. Des amours à peine effleurés, un navire que l’on sauve pendant une tempête, un incendie, un massage cardiaque qui permet à un homme de survivre et un séjour en prison qui se perd dans les dédales de l’administration. Des voyages aussi. L’un au Portugal en particulier pour retrouver une amoureuse enceinte qui n’a de regards que pour son professeur de Tai Chi. Simon écoute, cale sa bière, va pisser et recommence.
Le tout tient à la fois du journal et du témoignage que l’on transcrit après enregistrement. Il faut compter aussi sur les fuites de Simon qui prend les nerfs facilement, vit sa vie d’écrivain, publie un premier livre, participe à des expériences médicales tout en recevant son chèque d’aide sociale. Une histoire de bons gars capables de donner un coup de poing quand il le faut, qui n’hésitent jamais à venir en aide même si le « sauvé » ne veut pas le reconnaître.
«Un humain qui sauve la vie à d’autres humains ? Pas intéressés. Si c’est eux autres que j’avais sauvés, ils auraient peut-être réagi comme Hubert… Hubert qui restait dans un des appartements dans la cour… il comprenait plus trop ce qui se passait quand je l’ai trouvé…» (p.145)
Malgré tout ça, le livre ne lève guère. L’anecdote prend toute la place et on oublie les événements signifiants. Un langage près de l’oralité, avec des petites percées réflexives sur la vie, le voyage, l’humanité, les amours et les enfants.
C’est sympathique mais il en aurait fallu plus pour que l’on embarque dans cette aventure. Le réel, il faut l’arranger sinon on risque d’ennuyer. Le sujet était là mais Simon Girard n’a pas fait son travail d’écrivain.

«Michel Bourget, sauver des vies» de Simon Girard est paru aux Éditions Les 400 coups.

Brigitte Haentjens effleure des tabous

Brigitte Haentjens, dans «Une femme comblée», aborde l’un des rares tabous de notre société. Si un homme peut initier une adolescente à l’amour, l’inverse est encore très mal vu.


Une femme rencontre un jeune homme qui a l’âge de ses garçons. C’est le coup de foudre. Elle est subjuguée par l’ami de son fils qui devient un familier de la famille. Une véritable torture pour l’artiste-peintre qui ne sait quoi inventer pour ne pas se trahir.
«Je l’ai aimé au premier regard
Pourtant je n’attendais
ni rien ni personne
j’avais deux grands enfants
l’homme de ma vie à mes côtés
une maison toujours pleine
une femme comblée disaient mes amies
qui savent toujours de quoi elles parlent.» (p.11)
Il y a aussi l’envers de la médaille. Une femme de seize ans à peine découvre le plaisir des sens avec un homme qui pourrait être son père.
«il posa négligemment sa main sur ma cuisse
la laissa remonter tranquillement
tandis que ses yeux me scrutaient attentifs
ses doigts passaient sous le rebord de la culotte
comme s’il en vérifiait l’élastique
touchant le tissu effleurant à peine la peau
l’humidité vint et au ventre cette soif
que les garçons de mon âge
n’avaient jamais déclenchée.» (28-29)

La jeune fille vit une aventure sensuelle marquante pendant que la femme culpabilise et cherche à oublier ce jeune homme qui la subjugue.

Récit

Un récit beau de nuances. Une musique minimale qui emporte. Une stance qui vous plonge dans les affres de l’amour assumé et l’autre, celui que l’on refuse.
Touchant, senti, toujours juste et d’une sobriété exemplaire. Comme quoi il est possible de tout dire sans multiplier les pages et les personnages.
«J’aurais dû détaler
plutôt que de laisser fleurir
cet amour clandestin
cet amour des caves
et des prisons
au regard oblique
à la tête baissée
amour sans-papiers
affolé à l’idée
d’être démasqué.» (p.146)
Comment ne pas être touché par ce récit qui prend la forme de courts poèmes qui s’interpellent, nous entraînent dans le désir, la passion qui brûle l’être et peut-être aussi l’âme. Un livre de braises qui effleure l’essentiel.

«Une femme comblée» de Brigitte Haentjens est paru aux Éditions Prise-de-Parole.

http://prisedeparole.ca/auteurs/?id=3258

dimanche 5 août 2012

Marcel Moussette visite l’histoire par sa famille

Marcel Moussette, dans «La photo de famille», réalise un rêve que j’ai caressé longtemps. Combien de fois j’ai fouillé dans la boîte de photos de ma mère pour m’arrêter devant des personnages étranges et fascinants. Les photos en noir et blanc et parfois couleur sépia m’attirent toujours. Les visages bien sûr, mais aussi les costumes qui témoignent d’une autre façon de vivre et parfois un bout de décor qui fait découvrir un monde qui a bien changé.

Une manière d’apprivoiser sa famille, des oncles, des tantes, des cousins en visite et souvent aussi des inconnus. Je suis souvent demeuré perplexe devant des hommes à grosses moustaches ou encore des femmes à l’air sévère. Qui sont-ils? Pourquoi ils sont là et quels sont leurs liens avec mes proches? Des jeunes femmes aussi aux cheveux bouclés, comme le voulait la mode de l’époque, sont devenues des grands-mères. Photos de mariages, de rencontres familiales, de chantiers où mon père a travaillé pendant des années.
Ma mère a fini, après mes demandes répétées, par écrire des noms derrières les clichés. C’est ainsi que j’ai retrouvé un grand-père maternel qui était demeuré un inconnu. Il est mort avant ma naissance. Les indications de ma mère demeurent très laconiques pourtant. Des prénoms qui, souvent, ne me disent rien. Comme si une partie de ma famille glissait lentement dans l’oubli.

Histoire

«Cette photo, je l’ai reçue à La Prairie, il y de cela une dizaine d’années, des mains de ma mère maintenant décédée, à un moment où elle avait pris la décision de mettre de l’ordre dans ses affaires. Elle m’a dit, sans plus : «Prend donc ce vieux portrait, emporte le avec toi : c’est ta grand-mère Moussette avec sa famille, celle du côté de Caughnawaga.» (p.13)
La grand-mère de l’auteur est assisse à droite, au bout de la première rangée, avec un bébé de quelques mois sur les genoux. Son père. Des gens âgés, des enfants, des jeunes hommes, des femmes qui semblent de la famille mais dont il ignore l’identité. Quels sont les liens avec sa famille et pourquoi certains sont absents. L’ancêtre, au centre, l’air sévère avec sa robe noire, apparaît comme le pivot du clan. Une famille particulière avec un côté métis. Presque tous vivaient à La Prairie, tout près de la Réserve de Kahnawake.
Recherche

Marcel Moussette, archéologue de profession, tente d’identifier les figurants de cette photo prise un beau jour d’été de l’année 1912. Sa grand-mère était alors une toute jeune femme au sourire un peu triste.
Il entreprend, c’est inévitable, de ressasser des secrets que l’on évoque avec difficulté dans toutes les familles.
Son arrière grand-mère, Charlotte Giasson, est née à Kahnawake et était Mohawk.
«Moi qui suis née ici, fille d’Akat Konwaronhiotakwen, petite-fille de Charlotte Tsionnona et arrière-petite-fille d’Agathe Anaiecha.» (p.169)
 Les affrontements entre Blancs et Autochtones sur la Réserve semblent récurrents. Certains veulent chasser les métis et les Blancs de la Réserve. Cela a mal tourné dans le cas de sa famille. Osias Meloche, l’époux de Charlotte Giasson, son arrière-grand-père, est mort de façon atroce dans l’un de ces affrontements en voulant sauver ses chevaux.
«C’est à ce moment exact qu’elle a vu, bien vu, deux ombres sortir de la nuit. L’une a refermé la porte de l’étable derrière pepère Meloche et l’a coincée avec un bout de bois, tandis que l’autre vargeait à grands coups de bâton sur Delvide et William qui ne comprenaient plus rien à ce qui se passait.» (p.160)
Marcel Moussette évoque la discrimination vécue par les femmes qui perdent leur droit en épousant un Blanc, exhibe des affiches qui donnent froid dans le dos.

Éclatement

Un oncle, après la mort de sa femme, migre aux États-Unis avec la moitié de sa famille. Il y refera sa vie et ses enfants deviendront des Américains. Jamais il ne voudra revenir au Canada pour voir ses filles qu’il a confiées à sa mère en partant. Montréal devient un refuge pour plusieurs. Des liens subsistent et d’autres s’étiolent.
Des drames, des amours malheureux, de grandes passions, du travail pénible pour survivre, des maladies, des déchirements comme on en vit dans toutes les familles.
Comme quoi la grande histoire, celle que l’on retrouve dans les livres, passe par les gens ordinaires. Une manière de revisiter le passé d’une façon particulièrement originale. Des témoignages touchants et émouvants.
Marcel Moussette m’a convaincu. Il faut revenir à mes photos de famille. J’y découvrirai des personnages et peut-être aussi des secrets que jamais personne n’a osé aborder lors de ces rencontres où tous se mettaient sur son trente-six pour le photographe. Une époque, mon histoire familiale et aussi celle du Québec et d’un village qui a bien changé.
Cette photo a été prise un beau jour d’été de l’année 1912. La grand-mère de l'auteur était alors une toute jeune femme. On la voit au bout de la première rangée, à droite, avec son père sur les genoux.



«La photo de famille» de Marcel Moussette est paru chez Lévesque Éditeur.