lundi 3 décembre 2012

Robert Lalonde et les turbulences de l’adolescence


Robert Lalonde affiche une belle constance depuis la parution de «La Belle Épouvante» en 1980. D’un roman à l’autre, l’adolescence marque ses personnages et aspire toutes les énergies. Le bond dans l’âge adulte s’effectue toujours dans les plus grandes turbulences. Il faut cicatriser une blessure qui vient de la naissance, de la famille ou de la vie peut-être sinon le risque de la marginalité devient grand.

Un jeune garçon dans «Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» doit guérir des «blessures de vie» avant de s’avancer dans l’âge adulte. Il faut mettre les doigts sur des plaies, un vécu où sa vie aurait pu lui échapper.
Étranger dans sa famille, le narrateur s’évade pour respirer le monde, s’étourdir dans une nature fabuleuse qui le pousse au-delà des choses, dans les galaxies de son imaginaire où il retrouve un frère mort à la naissance. Un jumeau, un double, un soi qui le houspille du pays des morts.
Stanley mélange deux langues. Il attire, repousse et subjugue. Tout près, Serge s’invente un monde pour oublier l’abandon de ses parents. Il dessine et peint magnifiquement quand le narrateur s’empêtre dans les couleurs et gâche tout avec ses pinceaux.

Les livres

Claire, une cousine, surgit et disparaît, des livres plein les poches de son grand manteau. Une sorte de «Grand Meaulnes» au féminin qui vit dans les univers de quelques écrivains qu’elle connaît par cœur.
«Nous avions beau être cousins «de la fesse gauche», comme disait ma tante, sa folle de mère, qui hurlait à cœur de jour et poussait Claire à fuguer, à prendre le bois, les champs, un livre dans chacune des poches de son grand manteau noir de vagabonde, je ne la connaissais pour ainsi dire que de vue. Elle apparaissait, disparaissait, surgissait là où elle n’avait pas d’affaire, longue ombre maigre à lunettes, grimaçant toujours le même sourire entendu et secouant la tête dans une espèce de non solennel et dramatique qui me donnait froid dans le dos.» (p.73)
Delphine maîtrise les chiffres et les équations mathématiques, attise les sens du garçon. Elle le poussera doucement vers l’écriture.
Éloi, le fossoyeur, le fou et le sage, touche la vie et la mort. Il y a aussi Clément qui pousse le narrateur à guérir par l’écriture. Tout cela dans une sexualité trouble, fascinante et perturbante.
Tous dissimulent une cicatrice avec le père Arcos, un secret qu’il faut transcender. Tous se débattent avec une culpabilité qui les ronge.
«Quand on est jeune, on éprouve la même curiosité étonnée devant le mal que celle qu’on ressent devant le bien. Mais c’est quand on est jeune, pourtant, qu’il faut faire connaissance avec la douleur. Il faut faire ce travail-là jeune, et je l’ai fait. Cette cicatrice sur mon ventre…» (p.156)
Clément est hanté par la mort de son jeune frère, le père Arcos étouffe dans son silence coupable. Stanley, incapable de se démêler dans les langues qui habitent son cerveau, sa race maudite d’Indien, se suicide. Analphabète, saint et démon, il n’arrive pas à se hisser hors du gouffre qu’est sa vie. Comment survivre quand on est damné, le ciel et l’enfer, le souffle de la mort et de la vie?

Exorcisme

Robert Lalonde croit qu’il est possible d’exorciser ses démons par la création, les valeurs rédemptrices de l’écriture et de la peinture. Comme si chez cet écrivain, il fallait s’arracher à l’animalité, vivre une forme de sacrifice ou d’offrande pour réussir le passage vers le monde des adultes. Tout cela dans une nature omniprésente, envahissante et affolante.
Tous les personnages portent leur passé comme une croix. Les garçons et les filles doivent se faufiler par l’étroit passage de la résilience, de l’art et de la connaissance, pour ressurgir dans un univers différent.
L’écrivainj nous plonge dans un monde mouvant et changeant. «Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» s’infiltre en nous par tous les pores de la peau. Une langue magique qui vous pousse au-delà du réel, de l’histoire et des personnages, du bien et du mal. Nous sommes dans une tourmente où tout est flou et parfois d’une densité lumineuse difficile à supporter. Encore une fois, la magie opère et vous transporte.

«Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

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