J’ai lu et relu «Les yeux du
père», «Un amour empoulaillé» et «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette à plusieurs
reprises. Des livres qui nous plongent dans une autre dimension tout en gardant
un lien avec le réel. Comme les cerfs-volants qui donnent l’impression de flotter
dans les nuages tout en étant fermement retenus au sol.
L’écrivain m’a un peu désarçonné
avec «L’épivardé». Paris Dumauriac, frère de Lisbonne, enfant d’une mère marin
et de père de passage, rêve de devenir un écrivain populaire. Il lui faut un
gros livre pour envahir les librairies et prendre les médias d’assaut.
«Pour bien faire, ça
prendrait 400 pages comme Mary Higgins Clark. Comme ses romans, je veux dire.
Ou 400 pages au pays magique d’une chevalerie désuète, ou chez les fantômes, ou
chez les loups-garous et les vampires à la mode. Le tout avec le moins de
littérature possible. De l’efficace et de l’artifice, des romans, des vrais,
avec des suites qui n’en finissent plus. Tout cela qui m’est interdit, une
allergie que je n’ai souhaitée, une infirmité d’auteur qu’il me faudrait
vaincre si je veux atteindre la gloire et la richesse.» (p.19)
Il croit qu’en ayant un passé
sulfureux, il deviendra une vedette recherchée et courtisée. L’écrivain se
moque des émissions où la vie de l’invité est plus croustillante que l’œuvre.
Avec l’aide de ses amis, il
s’invente une biographie sulfureuse, un amour incestueux avec Lisbonne, un
enfant vendu à une barmaid pour quelques cafés et des repas. Il suffit de lancer
la légende urbaine pour que l’argent et la célébrité viennent se prosterner à
vos pieds.
Complications
Guy Lalancette ne peut se satisfaire
de cette trame. Une jeune femme frappe à la porte de Paris. Il est subjugué par
cette étrangère qui jongle avec de drôles de questions pour un recensement.
C’est le début d’une aventure parallèle. Paris se retrouve en prison pour
séquestration, entrave à la justice et faux témoignage. Il se confesse à ses
avocats et aux enquêteurs, raconte à plusieurs reprises ses amours de jeunesse avec
Lily Godin. Un amour passionnel avec «L’amant de Lady Chatterly» en surimpression.
Le livre dans le livre. Lalancette multiplie les confidences, les personnages,
tant et si bien qu’on finit par manquer un peu d’oxygène.
«Deux autres policiers, que
je ne connaissais pas, ont suivi. Pendant que le matricule 617 — un moustachu
de glace sculpté à froid — me passait les menottes, l’agent Bonneau, en raison
des indices convaincants récoltés le mercredi 20 octobre, m’a accusé de
l’enlèvement de la dénommée Noëlla Janvier et menacé d’enregistrer mes paroles
si je ne gardais pas le silence. Il m’a offert un avocat de la cour par la
formule usuelle, au cas où je serais sans protection aucune, étant donné
l’évidente indigence de ma condition. Quand on est dans la condition humaine
jusqu'au cou, on a des droits de la personne.» (p.143)
Cette Noëlla Janvier prend plusieurs
identités et finira par être simplement France, la fille abandonnée de Lily
Godin et Paris.
Distance
Pour tout dire, je ne me suis
jamais senti interpellé par «L’épivardé». L’impression de surveiller un
contorsionniste du Cirque du Soleil qui multiplie les virevoltes ne m’a jamais
quitté. Comme si Guy Lalancette s’amusait à faire du Guy Lalancette. Avec les
enquêteurs, rien à voir avec le matricule 728, je me suis un peu égaré dans une
histoire qui tourne en rond en régurgitant ses mots.
J’ai éprouvé un certain
plaisir par moments, souriant devant des facéties, m’amusant devant des
descriptions étonnantes. L’auteur n’a pas son pareil pour faire voir autrement les
scènes d’amour et les jeux érotiques. Peut-être que je n’ai pas vraiment
embarqué à cause du personnage. Paris est un cynique convaincu et détestable.
Il manque à ce texte la gravité qui hante ses autres ouvrages. Le narrateur, avec
toutes les entourloupettes, éloigne malgré une blessure d’enfance qui le fait
claudiquer. Souvent, j’aurais préféré suivre Lisbonne, sa sœur qui reste dans
l’ombre malheureusement.
J’ai flotté sur le roman de
Guy Lancette. L’écrivain est un prestidigitateur habile qui en met plein la
vue. Il aime les jeux de mots, les allitérations, les images fortes, les revirements
et il ne se prive pas. Il exagère même. Le vase déborde à plusieurs reprises. C’est
peut-être ce qui manque. Un ancrage qui permettait de croire aux personnages comme
dans «La conscience d’Éliah» ou «Un amour empoulaillé». Malheureusement, avec «L’épivardé»,
je n’ai jamais pu adhérer à ce récit protéiforme.
«L’épivardé» de Guy Lalancette est paru aux Éditions
de l’Hexagone.
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