Kim Thuy en compagnie de Pascal Janovjak |
Elle revient avec «À toi»,
une correspondance avec l’écrivain Pascal Janovjak qui vit à Ramallah en
Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation
politique qui tranche de l’ordinaire.
Une rencontre lors d’un
événement littéraire à Monaco provoque le déclic entre les deux littéraires. Un
petit déjeuner qui s’éternise en somme avec le temps qui s’abolit grâce à
Internet. Les deux poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes heures du jour
ou de la nuit, quand les occupations le permettent et qu’il y a un peu d’espace
pour faire courir ses doigts sur le clavier.
Reconnaissance
C’est toujours un peu difficile
de maintenir le contact au retour d’un voyage, quand le quotidien bouscule. Les
deux font preuve d’une constance admirable, se confient, même s’ils se
connaissent peu. Une belle manière de s’apprivoiser.
«Je t’ai écrit toute la nuit,
dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour
dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille?
Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je
t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai
fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique
était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas
dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux
terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Elle réplique : «Les
Vietnamiens n’ont pas cette grâce quand ils dansent, car ils ne dansent que
rarement, voire pas du tout.»
Chacun raconte ses faits et
gestes, ses déplacements, son quotidien, retournent dans l’enfance pour mieux aborder
le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère
française. Il a beaucoup voyagé, travaillé au Bengladesh, dans une société difficile
à comprendre pour un occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour
la première fois.
Kim Thuy a ressenti le besoin
de retourner au Vietnam au début de la vingtaine. Un choc. Combien de temps faut-il
pour devenir étranger à sa propre culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un
est autiste, ses déplacements parce que la vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak montre bien le
quotidien de celui qui vit dans une ville où Israël s’impose à tous les coins
de rue. Pourtant la vie est là malgré les militaires. Il est possible d’y
rencontrer des amis, de faire la fête, d’écrire, de partir pour l’étranger
malgré toutes les difficultés pour traverser les frontières. Il fait preuve
d’une retenue exemplaire même si on sent sa colère parfois. Kim Thuy a connu le
Vietnam où tout était contrôlé par le gouvernement qui se méfiait de ceux du
sud souvent identifiés à l’ennemi et aux Américains.
Confidences
Les échanges arrivent plusieurs
fois par jour, en rafales. Les deux ont envie de tout dire. Kim avec son humour
particulier, Pascal avec une sorte de gravité touchante.
Il y est question de certaines
lectures, de la maternité et de la paternité, de souvenirs. On va à la
découverte de l’autre avec une franchise remarquable.
La correspondance s’étire sur
quelques mois. Les deux ont ce grand pouvoir de se moquer un peu de leurs
travers, de se livrer sans arrière-pensée. On suit l’échange comme un match de
tennis où chacun renvoie la balle avec dextérité. Cela donne des textes d’une
fraîcheur qui ne se dément jamais. Deux mondes se confrontent, se livrent,
montrent leurs différences et leurs similitudes. Touchant, émouvant à
l’occasion et d’une justesse remarquable.
Une spontanéité où l’on sait
être sérieux sans être grave, moqueur sans tomber dans la facilité. C’est
humain simplement et démontre que les moyens contemporains de communication
peuvent servir à autre chose qu’à écrire sur Facebook une autobiographie qui se
perd souvent entre la salle de bains et le IPad.
«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est paru chez Libre-Expression.
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