Le retour de Larry Tremblay
au roman mérite d’être salué. Depuis 1989, il a écrit plus d’une vingtaine de
textes, explorant le récit, le théâtre et la poésie. Il faut remonter à 2002
pour trouver «Le mangeur de bicyclette», un roman qui l’a propulsé parmi les
finalistes du prix du Gouverneur Général du Canada.
S’il y a une constance chez Larry
Tremblay, ce sont ces équilibres ou ces déséquilibres qui lient les individus
dans la violence, la passivité, la révolte et la possessivité destructrice. Ce
jeu du dominant et du dominé constitue la trame de «Piercing» où un gourou manipule
ses disciples et les déforme dans leur corps et leur esprit. Dans «Abraham
Lincoln va au théâtre» cette thématique prend plusieurs directions. Laurel et
Hardy incarne cette relation trouble et fragile entre la victime et le
bourreau. Le metteur en scène écrase les comédiens et vient ajouter à ce drame
tout comme le geste du meurtrier John Wikes Booth. Une œuvre dérangeante et
magnifique. Amour obsessif et dépendance aussi dans «Le mangeur de bicyclette».
Larry Tremblay pousse tout à
la limite. Sadisme, violence pour explorer des pulsions qui brisent les êtres
et les poussent dans l’horreur. Ces forces malheureusement constituent nos
sociétés qui hésitent entre l’équilibre et le déséquilibre, la sainteté et la
démence.
Figure du Christ
Edgar, dominé par une mère
qui l’a élevé seule se retrouve déboussolé à la mort de celle-ci. Associable,
miné par des pulsions violentes et l’automutilation, il hante la maison, son
héritage, entouré de toute une quincaillerie religieuse. Il est devenu le conservateur
du musée d’Anne-Marie, une femme qui n’a pas su l’aimer. Il recueille une jeune
fille battue et laissée pour morte par des hommes en uniforme dans le cimetière
où il s’était endormi sur la tombe de sa mère. Tout bascule alors.
«J’eus beaucoup de difficulté
à dégager les bras de la jeune fille. Les manches de sa robe lui emprisonnaient
les épaules, qu’elle avait plutôt fortes. Mes manœuvres maladroites
n’éveillaient chez elle aucune réaction. Couchée ainsi, plongée dans une
immobilité inquiétante, elle éveillait en moi l’image ridicule, vu les
circonstances, de la Belle au bois dormant. Mais ce vestige romantique
s’évanouit dans un fracas quand je réussis à lui enlever sa robe et ses
sous-vêtements. Comment ne m’étais-je pas aperçu plus tôt que j’avais ramené un
homme à la maison?» (p.29-30)
Edgar s’occupera de cet homme
comme une mère nourrit son enfant, le lave, le lange et le dorlote. Amour fusionnel,
maternel et paternel. Métamorphose, mort et résurrection, sexualité trouble,
tout y est.
Adoration
Possessivité extrême, élimination
de tous les contacts avec les autres. Edgar est entraîné dans une spirale de
violences. Il gave cet homme et l’attache comme un animal qui ne cherche qu’à s’échapper.
Ce barbu au visage du Christ est capable du pire quand il réussit à se libérer.
Cette bouche dévoreuse devient un monstre. Par sa passivité, son inertie, il
parvient à dominer complètement le bourreau.
Larry Tremblay dérange.
Le bagage génétique est de la
dynamite qui peut exploser à tout moment, ravager tout en soi et hors de soi. L’héritage
est marquant et difficile à cerner. Le père d’Edgar a violé sa mère et elle a
voulu tuer son fils à plusieurs reprises. Sa naissance en a fait le meurtrier
de son père en quelque sorte. Tout est écho chez Tremblay. Le roman est
constitué de miroirs déformants qui reprennent sans cesse la même obsession
pour la pousser à son paroxysme.
J’ai oscillé tout au long de ma
lecture entre la fascination et la répulsion. Qui sommes-nous? Quel être se
cache en chacun de nous? De quelles monstruosités sommes-nous capable? Qui peut
libérer ces forces aveugles et destructrices? À couper le souffle, à hurler
devant certaines scènes où l’horreur s’affirme dans une sorte de volupté.
Larry Tremblay s’aventure au
cœur des pulsions qui font les saints ou les tortionnaires. Un texte qui m’a entraîné
dans des zones que je n’aime guère explorer. Malheureusement, ces pulsions
existent et l’actualité se plaît à nous le rappeler à tous les jours. Extrêmement
dur et perturbant. Un véritable électrochoc. Un roman particulièrement questionnant.
J’en suis encore abasourdi.
«Le Christ obèse» de Larry Tremblay est paru aux
Éditions Alto.
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