Sergio Kokis était hanté par
cette histoire depuis son enfance. C’est du moins ce qu’il affirme à la fin de
son nouveau roman «Amerika».
«L’histoire de Waldemar Salis
et des gens de Lazispils, ces Russes originaires de la Baltique, restera
nécessairement fragmentaire. Son résultat est soit un roman, soit une fable,
même si beaucoup de ces gens existèrent vraiment et périrent comme ce fut
raconté ici. Elle fut écrite parce que l’auteur la gardait dans son esprit
depuis l’enfance, et il ne voulait pas qu’elle se perdit lorsqu’il ne serait
plus là pour continuer à s’en souvenir, à l’enjoliver, à la transformer avec
ses propres fictions au point d’en être réduit à l’imaginer entièrement à
partir de simples bribes glanées il y a très longtemps.» (p.268)
Des événements qui nous font
remonter au début du siècle dernier. Waldemar Salis, pasteur fils de pasteur
itinérant, s’installe à Lazispils, village perdu de Livonie, après ses études. Ce
rêveur est hanté par les histoires horribles que son père lui racontait pour
l’endormir et les textes de la Bible. Il tente de demeurer optimiste, même s’il
croit que la catastrophe est imminente. Il épouse Martha, une adolescente, se
met à imaginer qu’il peut guider ses fidèles vers la Terre promise. Il confond
rapidement certains passages bibliques avec ses fantasmes, surtout quand il insiste
un peu trop auprès d’une bouteille de vodka. Est-il possible de tout
recommencer, de trouver le paradis dans ce Nouveau Monde, cette terre
d’Amérique d’où personne ne revient? Voilà bien la preuve que tous y trouvent
fortune et bonheur. Tout comme personne ne revient de la mort pour informer les
vivants.
Périple
Il entraînera une partie des
villageois dans la forêt du Brésil où ils doivent tout réinventer. Un combat
contre une nature étouffante et des insectes qui rendent fou.
Waldemar discute avec son
beau-frère Alexandr Volkine, un instituteur, un réaliste qui penche plutôt du
côté des communistes et des anarchistes. La grande révolution russe n’est pas
loin. Ce sont des amis, des frères ayant épousé les deux sœurs. La belle-mère
Alija exerçant une sorte de droit de cuissage avec ses gendres. Cette séduisante
sorcière manigance dans l’ombre et sait profiter de la naïveté du pasteur. Une
femme libre que Waldemar aimera plus que Martha sa femme. Il se reprochera
souvent de n’avoir pas choisi la mère plutôt que la fille.
Migration
Longue marche d’abord pour
atteindre Riga, des jours en train ensuite pour se rendre à Hambourg sous l’œil
un peu méprisant des Allemands. Embarquement dans les cales d’un navire d’où
ils ne pourront sortir. Une traversée éprouvante à cause de la promiscuité, la
saleté et la chaleur. Des liens se nouent et se défont, des colères et des
querelles que le pauvre Waldemar aura toutes les misères du monde à apaiser.
Les migrants finissent par débarquer
à Sao Paulo, au Brésil, un pays qui n’a rien du paradis.
Le pasteur continue à répéter
que tout est possible dans cette forêt où chaleur et moustiques donnent une bonne
idée de l’enfer. Une tâche surhumaine les attend. Alexandr repartira vers Sao
Paulo pour travailler avec un groupe d’anarchistes, plutôt soulagé que sa jeune
épouse le quitte pour un ami d’enfance. Waldemar s’accrochera à son rêve et en
paiera le prix.
Ils seront tous fauchés ou
presque par la fièvre jaune et mourront en quelques jours. Les survivants oublieront
cette histoire au bout de quelques années. Les descendants garderont une vague
idée de leur origine et de la langue des parents. Même Ruben, le fils de
Waldemar, élevé par sa grand-mère, ne se souviendra guère de son père.
Un rêve grandiose qui tourne à
la tragédie, une épopée parmi d’autres en cette terre d’Amérique. Ils furent des
millions à imaginer un monde plus égalitaire et plus libre. Kokis évoque un
volet de l’aventure du Nouveau-Monde avec bonheur.
Un récit fascinant, des
personnages séduisants, particulièrement Waldemar, Alexandr, Alija et quelques
autres. Sergio Kokis y est à son meilleur et peint cette fresque avec une belle
tendresse. Parfaitement ancré dans une réalité que nous avons malheureusement
oubliée, l’odyssée de ces gens mérite d’être connue. Une belle manière de remonter
le temps pour se souvenir des origines. Kokis y est juste, direct et souvent
émouvant.
«Amerika» de Sergio Kokis est paru chez Lévesque
éditeur.
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