Un
an plus tard, il donnait une version revue et augmentée de ce récit. Il est
normal de revenir sur un événement qui a changé sa vie. Laferrière a eu beau
quitter Haïti il y a des décennies, ce pays ne l’a pas largué pour autant. Les
souvenirs, l’enfance et les racines sont là-bas, dans sa famille. J’y ai
retrouvé la mère, la tante Renée, le neveu et des personnages qui constituent
l’univers particulier de cet écrivain.
Dans
cette seconde mouture, les événements sont les mêmes. Ou à peu près. L’hôtel
Karibe où il se trouvait alors avec Rodney Saint-Éloi, l’éditeur et ami. Il
était 16h53 et le monde s’est fracturé.
«Un grand nombre de gens étaient
encore pris dans les embouteillages monstres qui paralysent Port-au-Prince aux
heurs de pointe. Toute cette agitation s’est brusquement arrêtée à 16h53. Le
moment fatal qui a coupé le temps haïtien en deux.» (p.17)
Une
nuit à la belle étoile avec la peur, l’attente, le doute. Le matin aussi, comme
une résurrection et la conscience de l’ampleur du désastre qui a soufflé la
ville et le pays.
«C’est le jour. On se réveille
lentement. Certains dorment encore. Surtout ceux qui ont veillé toute la nuit.
La nuit fait peur. Le jour rassure. On a tort, car c’est en plein jour que tout
s’est passé.» (p.21)
Distance
Dany
Laferrière, dans cette nouvelle mouture, repousse l’émotion pour tenter de
saisir ce qu’il y a de changé en Haïti. Des souvenirs s’imposent. S’il a quitté
rapidement après le désastre, il revient pour les funérailles de sa tante
Renée.
«Ma sœur m’annonce la mort de
tante Renée. J’achète un billet d’avion pour le lendemain. Je passe du virtuel
au réel. De la télé qui m’assomme à une réalité où je m’embourbe. Un petit
serrement de cœur au moment de l’atterrissage. Beaucoup d’avions américains sur
la piste. On dirait un pays occupé. Je vois par le hublot des tentes bleues un
peu partout. Les gens refusent de dormir dans les maisons qui sont peut-être
fissurées. S’ils dorment à l’intérieur ils gardent les portes ouvertes, avec
leurs effets personnels à portée de main. Ils se tiennent prêts à courir à la
moindre alerte.» (p.66)
Tout
comme si Laferrière ne s’était jamais éloigné de Port-au-Prince. La mort ramène
toujours aux origines. Le décès de son père provoquait un même parcours dans L’énigme du retour.
Famille
Ce
second séjour permet à l’écrivain de s’attarder auprès de sa mère qui fait face
à la vieillesse avec courage, cette tante qui vient de mourir. Une femme un peu
énigmatique qui préférait la vie dans les livres à la réalité. Elle portait un
amour inconditionnel à l’écrivain Stephan Zweig.
Une
belle manière de retrouver ceux qui ont vécu l’événement. Malgré le sinistre et
les morts, la vie continue. C’est ce qui fait que l’on rebâtira une ville sur
les ruines de l’ancienne, cherchant à retrouver la cité d’avant. Les humains
sont ainsi. Ils pensent réinventer le monde en corrigeant si peu les images
anciennes.
Une
nouvelle version fort intéressante, passionnante de justesse et de réflexions.
Pourtant, j’ai recherché tout au long de ma lecture l’urgence, le tremblement
intérieur de la première mouture, cette nervosité qui le faisait aller dans
toutes les directions. Cette magie est disparue pour laisser place à un homme
qui prend du recul même s’il a du mal à se contenir parfois.
J«’ai eu peur à la seconde
secousse, presque aussi forte que la première. Elle est arrivée juste au moment
où je retrouvais mon esprit. Juste à l’instant où je pensais m’être tiré
d’affaire, je reçus cette seconde secousse comme un coup derrière la tête. J’ai
compris alors que ce n’était pas du théâtre. Que les acteurs n’allaient pas se
relever pour les applaudissements.» (p.62)
Bien
sûr, ce nouveau récit vise plus large, creuse plus profond, mais…le désarroi
n’est pas le même.
Dany
Laferrière y reviendra peut-être. On ne voit pas son pays s’effriter sans être
profondément bouleversé. C’est comme si de grands pans de sa vie s’étaient
écroulés en quelques secondes.
«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est paru aux Éditions Mémoire d’encrier,
«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est paru aux Éditions Mémoire d’encrier,
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