Rémi, le père, ne tolère aucune manifestation d’indépendance chez ses filles et sa femme. Elles sont là pour servir et obéir sans ouvrir la bouche. Éva, la mère, souhaite une meilleure vie pour ses filles, mais ne lève jamais la voix devant son époux.
«Notre mère nous domptait, comme elle l’affirmait. Notre père attendait une aide de tous les instants dès le retour de l’école. Il était obéi au doigt et à l’œil. Personne ne rechignait ni ne grommelait. Au fur et à mesure qu’ils grandissaient, ses enfants devenaient de petits serviteurs, patients et malléables.» (p.11)
Cela n’empêche pas la mère de souhaiter que ses filles fassent des études.
«Elle s’attendait à ce qu’il fût le chef de la famille. Il l’était et ne l’était pas en même temps. L’économie, le portefeuille, était l’affaire exclusive de son mari. Elle, elle pensait aux principes qui orientaient une famille. À ce sujet, Rémi restait au-dessous de tout. Il se moquait des sages décisions de sa femme, de son désir irrésistible d’élever le niveau d’éducation familial au-dessus de la rue, selon son expression usuelle.» (p,12)
Soumission
Malgré ces propos et ces bonnes intentions, Éva louvoie et trahit en quelque sorte les espoirs qu’elle sème dans l’esprit de ses filles, surtout chez Évelyne qui rêve d’un monde où les livres occuperont toute la place.
«Je parlai des longues études que je ferais. J’écrirais aussi. J’exprimais ce qui était, ce que je percevais de l’avenir, ce que le sentiment de liberté me divulguait. Je traçais ma vie comme je l’imaginais.» (p.63)
La cadette trouve mari rapidement tandis que l’aînée poursuit des études envers et contre tous. Le père ne rate jamais une occasion de la ridiculiser, s’abreuvant des insanités répétées dans le journal «Vers demain» par Gilberte Côté-Mercier et Louis Evans. Ce n’est pas sans me rappeler la manière de faire de Mathieu dans «La femme du stalinien».
«Quand Rémi affirmait que le gouvernement mettrait de l’ordre dans la société, il en appelait au parti créditiste dont il promouvait les idées et les solutions. Il s’identifiait à ses chefs colorés et forts en gueule, à ces hommes venus de je ne sais où, illustres champions de la bêtise. Il le disait : les dirigeants commenceraient par les écoles. Les professeurs étaient trop jeunes. Ceux qui contestaient seraient congédiés. Ceux qui refusaient de se couper la barbe perdraient leur place. La barbe des jeunes gens l’obsédait.» (p. 102)
Résistance
Evelyne baisse la tête devant les outrances de ses parents, lit en secret des romans-photos où elle apprend certaines choses de l’amour, étudie chez les religieuses où la soumission et l’obéissance sont la règle. Elle pourra respirer en faisant son entrée à l’université.
Elle connaît la faim et la solitude. L’amour et la sensualité aussi. Un garçon l’écoute en silence et dissimule ses intentions, incarne le piège à lequel elle tente d’échapper depuis son enfance.
Évelyne deviendra écrivaine après la mort du père et une ultime confrontation avec sa mère Éva. Toutes les barrières tombent alors. Elle écrira en tremblant, marquée au corps et à l’esprit.
«Un trouble indicible m’étreint. Je suis désertée par la langue, dépossédée de mon désir, aveuglée par l’obligation de le surmonter. Après une lutte intérieure intense, j’émerge de mon abattement. Les mots viennent.» (p.118)
Libération
«Hôtel des quatre chemins» s’avère un long apprentissage de la liberté qui se fait sans cris et sans révolte. À l’image peut-être du Québec qui a su rejeter les diktats de la religion et s’avancer dans la modernité sans rien bousculer.
Un roman qui décrit parfaitement l’univers étouffant d’une certaine époque qui a précédé la Révolution tranquille, une société marquée par le catholicisme et des idées rétrogrades. Des propos que certains politiciens répètent actuellement au nom de la rationalité et de l’efficacité. À donner des frissons.
«Hôtel des quatre chemins» de France Théoret est publié aux Éditions de La Pleine lune.
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