Émilie Andrewes, dans « Les mouches pauvres d’Ésope » et « Eldon d’or », déroutait le lecteur qui aime retrouver un univers familier quand il suit la démarche d’un écrivain.
Avec « Les cages humaines », l’écrivaine désoriente complètement le familier, le plongeant dans Hong-Kong. Cette ville dont le nom signifie littéralement « port aux parfums » demeure une énigme pour les étrangers. On y trouve un mélange de modernisme et de traditions, une densité de population difficile à imaginer avec plus de sept millions d’habitants. Tous vivent dans des appartements réduits, la pollution et le bruit qui ne se calme jamais.
Lian effectue un travail routinier et peu valorisant. Il fait de la sollicitation téléphonique et s’y livre avec frénésie. Il est un peu dépendant du jeu et partage un appartement avec Fushi, un homosexuel qui a du mal à accepter sa sexualité. Travail, cafés, jeux et visites dans les maisons closes occupent les deux amis. Rien de particulièrement attrayant.
Jeu virtuel
Lian devient rapidement obsédé par un jeu virtuel où une fille se déshabille. Il faut payer pour qu’elle enlève une pièce de ses vêtements, mais jamais il n’arrive à la voir nue. Cette femme semble vivante et devient une véritable hantise.
« Son visage flou a envahi l’écran au complet. Elle avait un visage humain. Un magnifique visage humain. Et j’ai entendu sa voix. Je pouvais presque sentir la douceur de sa peau. Je l’ai entendu parler à quelqu’un, un homme je crois, puis elle s’en est allée, contrariée. J’ai l’impression que ce n’est pas une femme qui est représentée. C’est un millier de femmes. Une usine à femmes. L’usine de destruction des anges. La loi de l’enfant unique. Tous ces bébés de sexe féminin, noyés dans la cuvette, égorgés, abandonnés… Ils sont là. » (p.25)
Le joueur y laisse pratiquement son salaire hebdomadaire. Il a besoin de plus d’argent et il tente de séduire la chance avec les oiseaux. Ces volatiles, dans la tradition chinoise, attirent la fortune quand on trouve l’espèce qui convient.
Dans ses visites dans les maisons particulières, il rencontre Mei, une femme aux cheveux blonds. C’est plutôt rare pour une Chinoise. Il devient amoureux de cette danseuse qui flirte avec la prostitution dès le premier regard. Elle est aussi poursuivie par un médecin canadien qui séjourne à Hong-Kong. Il ne la lâche pas.
La chance
Mei est une fille évanescente, une image qui se dérobe sans cesse. On apprend qu’elle est violoniste. Pourquoi cette plongée dans un monde sordide quand elle a une vie plutôt bien, des parents aimants ? La jeune femme veut retrouver sa virginité par une opération chirurgicale qui s’effectue à Montréal. Ce métier de danseuse est la seule façon d’amasser de l’argent. Jouer du violon aussi pour remporter des concours. Elle s’y livre avec frénésie.
Lian et Mei se retrouveront à Montréal à la fin de l’aventure, exploitant un dépanneur.
Si le lecteur hésite un peu au début, il s’attache rapidement à ces personnages qui donnent du poids à leur vie, finissent par accepter leurs travers. Fushi vivra plus librement son homosexualité et Mei connaît le grand amour avec Lian. Oui, l’amour triomphe chez Émilie Andrewes.
« Mei danse pour Lian. Elle danse incroyablement bien. De ses hanches à ses seins, il voit des courbes profondes à la puissante destinée. Le garçon lui donne beaucoup d’argent. Tout son argent. Quand elle dit qu’elle danserait gratuitement pour lui, ailleurs, à un autre moment, il dit « non, non, non » en riant, ce qui rend Mei triste. » (p.105)
L’univers de ce roman est souvent dur, mais aussi plein de tendresse et de moments magiques. À Hong-Kong tout s’achète, même la virginité. Des personnages obsédés jusqu’à un certain point qui confient leur destin à un oiseau, s’abandonnent à la musique et aux parfums qui enivrent.
Une fable où les pulsions et les désirs font foi de tout. Il suffit de s’abandonner à cette écriture toute simple et envoûtante. Émilie Andrewes réussit là où plusieurs auraient trébuché. L’amour est possible en autant que l’on brise les barreaux de sa cage et que l’on fait confiance à l’avenir. Tout arrive alors.
« Les cages humaines » d’Émilie Andrewes est publié aux Éditions XYZ.
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