dimanche 17 janvier 2010

Bill Gaston fait découvrir tout un monde

Évelyne a connu le grand amour. Elle n’avait pas tout à fait vingt ans et son amoureux était un nomade, un Québécois débarqué sur la côte ouest après avoir pratiqué cent métiers. Il vivait d’expédients, se débrouillait dans la nature, ne refusait jamais une fête où l’alcool et les drogues surgissaient de partout. Un homme intense, brillant, excessif, capable du pire comme du meilleur. Ils ont eu un fils dont il ne s’est jamais préoccupé, un rebelle, un provocateur qui n’en a fait qu’à sa tête dès son jeune âge. Il s’est retrouvé vendeur de drogues, au milieu d’une guerre de gangs, a failli être tué et en garde des séquelles sérieuses. Il n’a plus donné de nouvelles à sa mère depuis une dizaine d’années. Il vit sur l’île Malcolm, observe les baleines, enregistre leurs chants et prend des photographies saisissantes de ces mammifères imprévisibles. 

Appel

Claude est mourant. Évelyne quitte son mari, sa vie bourgeoise, ses antidépresseurs. Elle va rejoindre son ancien amant, l’accompagne dans ses derniers moments. Tout bascule. Elle décide de partir à la recherche de son fils pour lui annoncer la mort de son père, se retrouve dans les parcs comme une sans-abri.
«Elle se redit qu’elle est ici à cause de Tommy. Ce qui n’a aucun sens. Claude lui a dit que Tommy observait les baleines dans le Nord. Non. Elle se rappelle : ses pilules. Elle a cessé de les prendre et n’a plus eu les idées claires depuis. En fait elle se sent parfois folle, complètement folle, même si ça va mieux.» (p.22)

Gore

Gore, un biologiste, décide d’échapper à sa vie ennuyeuse. Il prend sa retraite de l’enseignement et part à l’aventure. Il veut réinventer une forme de récit de voyage, s’intéresse à l’histoire de l’île de Vancouver, aux premières nations, aux colons européens et aux inventeurs de mondes qui sont débarqués dans les années 70. Des décrocheurs, des squatteurs et des utopistes. Ce n’est pas sans rappeler l’univers de Louis Hamelin dans «Le Joueur de flûte».
Gore croise Évelyne et ils remontent vers le Nord dans un kayak volé. Il est malhabile, gauche, souffre de la goutte et se paie des crises de vésicule biliaire. Il repousse l’ablation, s’entête. Le couple vit de pêche, de la générosité des campeurs. Il tente d’écrire, mais n’arrive à rien. La vie à deux s’installe, l’amour peut-être entre ces êtres blessés qui cherchent un nouvel ancrage.
Évelyne se refait une santé physique et mentale. Gore apprend à se débrouiller, rêve son récit en oubliant souvent la réalité.
Tour à tour les personnages prennent la parole. Gore, Evelyne et Tommy sur sa plage, envoûté par les baleines. Nous avons ainsi un puzzle qui se constitue et s’assemble lentement.
«Tom avait le casque d’écoute sur les oreilles quand les épaulards étaient arrivés. Il était plongé au plus profond de la respiration. La respiration de Dieu, simultanément inspiration et expiration. Il imaginait la peau d’une baleine bleue qui nageait lentement à un pouce de son visage, une muraille gris bleu qui bougeait, bougeait, bougeait, la balafre occasionnelle due à quelque barnacle, puis plus de gris bleu encore.» (p.462)
Gore, Évelyne et Tommy finiront par se retrouver sur l’île Malcolm, près de Sointula qui signifie harmonie en finnois. Le lieu a été baptisé ainsi par des Finlandais communistes et utopistes qui voulaient abolir les classes sociales, vivre le partage et l’amitié dans une vie réinventée. Ce périple devient une sorte d’épreuve, de retour aux valeurs fondamentales de la vie.

Belle aventure

La nature est omniprésente. Bil Gaston démontre une capacité formidable à décrire la mer, les changements de couleurs, le jeu des vagues, les déplacements des poissons et des baleines. Véritable voyage aussi dans l’histoire de cette partie du monde.
Un grand roman d’amour, d’amitiés, de folie et d’utopies. Tout nous tient en haleine, nous attache à cette histoire obsédante, à ces éclopés qui recherchent un sens à leur vie. Une découverte d’un monde où les utopies se sont croisées et peuvent toujours ressurgir. Comme si certains lieux étaient magiques. Les humains y retrouvent des comportements millénaires, possédés pour ainsi dire par la géographie, la flore et la faune. Une histoire qui nous plonge dans le temps et l’espace, une aventure de lecture comme on les aime.

« Sointula » de Bill Gaston est publié aux Éditions de la Pleine lune.

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