jeudi 18 septembre 2008

Hugues Corriveau oublie que l’art est vie

 Marc Rialto, peintre en panne d’inspiration entre dans une galerie de Montréal où l’on expose des tableaux de Louis-Pierre Bougie. Il est fasciné par cet artiste et perturbe la gardienne qui s’exerce «à disparaître», souhaitant ne jamais avoir à s’adresser aux visiteurs.
Hugues Corriveau, dans «La gardienne des tableaux», nous plonge dans un univers où l’art occupe une place prépondérante. Un monde où tout est équilibre, contrôlé et prévu.
«La surveillante, engoncée dans un tailleur de tweed grisâtre, ressemble à un personnage de Sarraute ou de Beckett. On pourrait croire qu’elle attend que la vie passe. Elle attend depuis tellement d’années au fond de cette galerie qu’elle n’a plus à apprendre l’immobile stratégie des muscles pour éviter la fatigue, elle n’a plus à apprendre comment redresser le dos, fermer les écoutilles, sombrer. Elle n’existe plus. Disparue derrière sa fonction. Quand il n’y a personne, elle croit parfois qu’on la paie pour empêcher les figures de s’enfuir, pour éviter le ballet des papillons et des mouches, pour empêcher la poussière de retomber.» (p.9)
Cette gardienne, Constance est-elle une femme? Pensons plutôt qu’elle est «œuvre de chair» qui se confond avec les toiles accrochées aux murs. Rialto la choisit parmi les tableaux. Toute sa sexualité retenue explose. Ils deviennent amants. Elle s’épanouit, découvre son corps, devient belle sous le regard de l’homme, comme une peinture qu’un connaisseur explique et anime devant une foule.

Voyage

Constance va rejoindre Rialto à Rome, pour vivre les exaltations de l’amour, se livrer au plaisir des vêtements extravagants et aux jeux de la séduction.
«Du bruit, juste derrière, et une toux brève, et des pas marqués, et une rotation de la poignée. Et lui. Là. Son invraisemblable brouhaha de présence, avec une spatule à la main! De la faim plein les yeux… et un silence à couper le monde en deux… des mains qui s’approchent d’elle… des mains qui la tirent à lui… des lèvres qui se posent… et ce silence d’homme qui la déshabille… d’homme qui se déshabille… Le grand silence des secondes qui suivent les pas rompus de Constance qui met la main sur la poitrine de Marc, qui s’avance jusqu’au sexe qu’elle prend… comblant l’absence de sexe…» (p.61)

Obsession

Dans la ville du pape, Rialto se remet au travail, obsédé par ce qui «habille les corps». Pendant que Constance échappe au cocon qui la momifiait, le peintre s’étourdit dans les rues, suit «une femme si belle, si pleine d’olives et de tomates dans le rire…» De plus en plus fasciné par la douleur et la souffrance des statues romaines, il enveloppe et masque, lacère et griffe, habillant ses tableaux pour les ligoter d’une certaine façon.
Le lecteur devient un voyeur. Pas facile d’accepter d’être repoussé et réduit à l’état de simple spectateur. Et puis le malaise s’installe. Nous éprouvons la sensation d’être dirigé par un magister qui cherche l’éclairage parfait, contrôle tous les gestes de ses personnages. Jamais de failles où se glisser. C’est pourtant un roman de passions, d’obsessions créatrices qui vont jusqu’au meurtre.
Même des écrivains chevronnés comme Hugues Corriveau peuvent se laisser prendre aux jeux de l’esthétisme et de l’art pour l’art. Ces romans me font songer à des installations que le moindre souffle risque de détruire. Tout n’est qu’équilibre et fragilité. Corriveau a réussi ce genre d’installation et cherche à faire vivre ses personnages dans l’espace restreint d’une œuvre picturale.
Malheureusement ou heureusement, la vie n’est pas un tableau où tout est mesuré, où tout répond à un jeu de forces qui se neutralisent. À trop peaufiner un texte on tue l’émotion et la vie. Corriveau sculpte son écriture, la brosse, la triture, force les images qui finissent par se vider de substance. Des expressions comme «le vif flambé de son âme», «des trouées sur le vide antérieur» «une léthargie sidérale», «les bruits désertés», font sourciller.
Le poète et critique oublie, ou refuse qu’une œuvre romanesque se construise avec les tripes, des pulsions inexpliquées et inexplicables, pas seulement avec des considérations esthétiques. Il faut des bouts qui dépassent et sentir la sueur et le sexe. Ce n’est jamais le cas dans «La gardienne des tableaux». Une réussite formelle, un bel objet mais un roman qui laisse indifférent.

«La gardienne des tableaux» d’Hugues Corriveau est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/87.html

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