Manque de temps, perte de temps, pas le temps. Tous nous courrons derrière une ombre qui s’éloigne de plus en plus. Tous happés par un métier ou une profession qui occupent les semaines et les mois. La carrière, les promotions et, parfois, un malaise dans le surmenage. Mais il faut continuer, faire comme si... La vie pourtant ne lésine pas sur les leçons. Il y a eu le décès d’un père, d’une mère ou d’une soeur. Un collègue de travail souvent. Ce fut le temps d’un arrêt, un pas hors du quotidien. Ensuite, il fallait retrouver la cadence folle des semaines. Jusqu’à ce que l’inévitable se produise. Le cœur ou pire encore, le cancer qui retourne le corps. Le temps se recroqueville, la respiration devient haletante, les minutes résonnent comme des coups de marteau.
Le terrible rendez-vous se profile, celui que nous avons tout fait pour oublier. Les gestes deviennent hésitants et demandent de plus en plus d’efforts. Il faut les calculer. Ce sont peut-être les derniers. Comme si nous étions expulsés des agitations des contemporains et qu’il n’était plus possible de faire confiance aux forces qui nous soulevaient.
Un sens à la vie
Esther Croft, dans «Le reste du temps», entraîne le lecteur dans ces espaces qui rétrécissent quand la maladie marque le rythme des jours. Tout ce que nous pensions futile devient l’essentiel. Ce que nous avons ignoré dans les rires et les excès s’impose avec une force difficile à imaginer. Ne reste que l’ici et le maintenant. Le soleil sur le dos des mains, la pluie qui tombe au bout de la galerie, la tasse de café qui réchauffe, le sourire de la personne aimée qui vous accompagne.
Tous les personnages du «Temps qui reste» se butent à cette heure fatidique. Ce peut être un moment d’une douceur remarquable quand une femme encore jeune, fascinée par Virginia Woolf, trouve le goût de l’existence quand sa fin devient palpable.
«Oui, elle a soudain envie de se retenir à deux mains pour s’empêcher de disparaître au bout de sa dérive. Comme elle l’a fait pour ses enfants. Avant de revenir sur ses pas, Manon jette au loin les derniers cailloux qu’elle avait encore au fond de sa poche.» (p.78)
Les personnages d’Esther Croft trouvent toujours le mieux face à l’inévitable. Ce peut aussi être une libération ou un moment de grâce. Ce «temps qui reste» permet de trouver le vrai et ce qui constitue l’essence de la vie. Chaque souffle devient un moment qui peut racheter une existence.
«Elle apparaîtra dans tous ses âges, à la fois semblable et différente, mais toujours forte et fière. Elle lui tendra la main comme elle l’a souvent fait, et lui apprendra comment on peut faire d’un seul instant de vie un pur moment d’éternité. Elle l’entraînera malgré lui hors de ses doutes et de ses inquiétudes et saura dissiper la tristesse qui l’a si souvent empêché d’exister. Pour lui, elle ne cessera de grandir à sa pleine mesure jusqu’à devenir à ses côtés la femme qu’il n’aurait pas osé espérer.» (p.101)
Recueillement
Les dix nouvelles d’Esther Croft sont une quête qui veut contrer l’absurde de la mort. L’agitation, l’insignifiance et les affolements s’éloignent. Ce peu de vie qui résiste permet de remettre l’être sur ses rails et de continuer avec une certaine sérénité. Curieusement, la mort semble vouloir calmer les vivants qui font tout pour s’en éloigner. Cet affrontement oblige les humains à se dépasser pour atteindre le meilleur d’eux. Bien sûr, il reste la douleur ou le bonheur qui mène vers le dernier soupir. Certains choisiront d’y faire face et d’autres préfèreront en finir rapidement.
Chacun des textes devient une méditation, une occasion de se retrouver et de connaître une forme de résilience.
Le lecteur touche à la dernière phrase avec l’envie de se tourner vers ses proches, de goûter à l’existence qui va de soi au temps des insouciances et des extravagances. Une réflexion qui fait du bien malgré la gravité du sujet. Avec Esther Croft, il n’est jamais trop tard pour s'ancrer dans la vie.
«Le reste du temps», d’Esther Croft est paru chez XYZ Éditeur.
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