«Les mouches pauvres d’Esope», d’Émilie Andrewes, entraînait le lecteur dans un imaginaire déroutant. Les images fusaient comme des feux d’artifices et crépitaient, empruntant des pistes peu connues. Ce n’était pas sans évoquer «L’écume des jours» de Boris Vian ou «Le souffle de l’Harmattan» de Sylvain Trudel.
Elle revient dans «Eldon d’or», son second roman, avec un long monologue, celui de Gratz qui explique le monde à son petit-fils Eldon. L’aïeul raconte sa vie et s’attarde aux pages familiales. Il a connu une enfance fabuleuse. Les parents aubergistes ne recevaient à peu près jamais de voyageurs, vivaient à la lisière du monde. Le père chassait et transformait les peaux dans une petite cordonnerie, le refuge du jeune Gratz. Un temps qui évoque les coureurs des bois, la nature sauvage et des aventures inquiétantes.
Gratz vivra l’amour total avec Mescée, une jeune voisine qui le quitte quand ses parents doivent partir. On croirait retrouver une chanson de Richard Desjardins.
Le jeune garçon se recroqueville dans une peine vaste comme l’univers. Il lui faudra des années pour cicatriser cette blessure, la rencontre de Flaune qui deviendra sa femme et un meurtre libérateur. Une histoire qui va au-delà de la mort et de la vie. Des passions qui embrasent et retournent l’être comme dans les fables et les contes.
Recherche du père
Le père de Gratz appréciait particulièrement la peau des «lies», un animal fabuleux qui vit au pays des femmes géantes. Gratz tentera de trouver son père disparu sans laisser de traces et apprivoisera ces femmes fascinantes. Il reviendra changé, avec plus de questions que de réponses. C’est le propre du voyage.
«Si j’étais là-bas, c’était pour me battre avec mon père, avec son absence en moi. Et quoi de plus biaisé et épuisant que de se battre contre des souvenirs. Valait mieux aller sur un nouveau territoire, idéalement où je n’avais pas à être, un lieu de son passage, par exemple, et chercher ce que lui, il y avait trouvé. Son absence, incarnée par un hululement, j’entendais un hululement humain, sa voix grave résonant dans le vide qu’il m’avait légué à sa mort.» (p.70)
Émilie Andrewes ne s’enfarge pas dans le plausible pour mon plus grand plaisir. Elle suit les pulsions qui poussent la vie dans ses derniers retranchements, les élans où tout peut arriver. Une écrivaine qui aime les situations extrêmes, les dangers où un faux pas risque de tout gâcher.
«La réalité se transforma en un bloc opaque, un objet duquel nous étions expulsés. À trop vouloir éloigner la vie de la mort, nous étions en train de la tuer. En voulant contrôler ce qui se dérobait, nous étions sur le point d’incarner ce que nous nous acharnions à vouloir faire disparaître.» (p.33)
Écriture fluide
Si dans «Les mouches pauvres d’Ésope», Émilie Andrewes recherchait un peu trop les effets, dans ce second roman l’écriture devient fluide et plus sobre. Elle contrôle mieux ses élans et laisse l’espace à cet imaginaire qui suffit à dérouter le plus aguerri des lecteurs.
«Autour des poignets et des chevilles, les lies ont des poches de vide, des chambres d’échos. Au cours d’un combat, les fragments d’os brisés s’y accumulent très rapidement. Alors plus l’animal est mal en point, plus la musique s’élève. Quand ils s’assènent des coups, les fractions d’os s’entrechoquent sous la peau, dans ses réservoirs d’air. Ainsi, la mort est proche, la douleur devenant atroce pour eux quand la musique devient trop belle pour nous.» (p.82)
Une écrivaine qui a un ton, une voix, un souffle, une fraîcheur et un imaginaire qui nous entraîne dans un monde onirique, ramène les archétypes et certaines pulsions animales. Un vrai plaisir pour ceux qui ne craignent pas de plonger dans des mondes qui sommeillent en nous, peut-être. Il faut cependant accepter d’abandonner ses balises sinon la lecture devient difficile.
Le plaisir est décuplé quand on lit «Les mouches pauvres d’Esope» et «Eldon d’or» d’Émilie Andrewes, l’un à la suite de l’autre. Un voyage au pays de l’imaginaire.
«Eldon d’or» d’Émilie Andrewes est paru chez XYZ Éditeur.
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