Une passion pour le cinéma héritée de sa tante Réjane, sa marraine. Toutes les deux regardaient «les belles vues» qu’elles pouvaient dénicher à la télévision. Des images, des scènes qui deviendront des références et soulèveront une foule de questions dans la tête de la petite fille.
«Mon amour du cinéma, je le dois surtout à cette Réjane dont le rêve aurait été d’incarner une tragédienne de la trempe de Sarah Bernhardt et qui, en compensation pour ce destin contrarié, gobait un film par jour. En tant que femme au foyer, maîtresse de ses horaires, il s’agissait pour elle, la plupart du temps, d’une activité de fin de soirée.» (p.60)
Parents
Des parents qui vivent ensemble sans vraiment l’être. Une jambe grugée par la gangrène pour son père et une mère qui a perdu un sein. Une mutilation des corps qui hante la fillette. L’organisme reste-t-il entier? Le corps peut-il se défaire?
«Puis je pensai à la jambe qui se bringuebalait dans le coffre et qu’on enroulait dans une couverture de laine comme si elle avait froid et je compris qu’il se vengeait pour ce gros morceau qu’on lui avait tranché. Ne pouvais-je, en retour, lui sacrifier ce petit bout de moi-même? À partir de ce jour, j’eus peur de l’étendue de ses représailles. Devrais-je toujours payer pour son amputation? En ce sens, je crois que sa mort m’a soulagée. (p.48)
Le monde qui se constitue par l’œil, les regards qui se recoupent, s’interpellent et deviennent des sémaphores en passant d’un film à l’autre. Une vie en porte-à-faux, des sourires de comédiens et de comédiennes qui ramènent vers soi. Comme si les films finissaient par devenir des miroirs où Réjane Bougé se scrute et s’analyse.
Elle isole des scènes, étudie des plans de caméra, scrute le jeu des comédiennes, examine la figure de ses idoles, leur manière de lancer une réplique peu importe le rôle qu’elles incarnent. Elle analyse Isabelle Huppert d’un film à l’autre, comparant les plis de ses lèvres, décortiquant son «jeu», comme si l’actrice, pendant toute sa carrière, n’avait incarné qu’un même rôle.
«Ainsi, avant même d’articuler une parole, Isabelle émet une sorte de ouais frondeur qui met tout son corps en retrait et la confirme dans cette position d’observatrice privilégiée.» (p.97)
Réjane Bougé explore Montréal tout en courant les nouveautés, fait revivre des cinémas démolis, nous entraîne à Paris et en Italie où elle séjourne quand sa peur des voyages s'émousse. Elle plonge dans des mondes étranges, revient quadriller son enfance, sa vie de jeune femme qui découvre la passion, la sexualité et l’érotisme par des scènes plus ou moins implicites.
Franchise
Réjane Bougé ne cache rien de ses traumatismes, ses névroses et raconte tout avec une franchise désarmante. Un petit bout de phrase, une évocation, un mot et le lecteur fige.
Des moments émouvants avec sa mère aux soins palliatifs. La dernière scène approche et la fille surveille la peur qui habite cette femme qu’elle regarde en étrangère. Le moment où le mot fin est presque sur l’écran. Elle surveille et c’est sa peur qui la regarde. Plus tard, par le détour de certains films, des documentaires, elle parvient encore à échapper à cette hantise.
Une écriture sobre, sans fioriture qui va à l’essentiel, une franchise que l’on rencontre rarement dans un récit. Un découpage qui ne laisse rien de superflus et qui montre la vie, à l’enfance et aux grandes obsessions existentielles. À ce métier d’écrivaine qui leste la vie et la rend possible.
Un véritable périple dans l’œuvre de Bergman, Bunuel, Cronenberg, Rossellini, Chabrol et Alain Cavalier, le réalisateur de «Thérèse». De Diane Létourneau aussi, la réalisatrice de l’admirable «Servantes du bon Dieu» qu’elle décortique avec les prudences d’un orfèvre. Un documentaire qui est sombré dans l’oubli.
Un livre inspirant, intelligent, qui donne le goût de revoir des dizaines de films qui ont marqué notre parcours. Et, peut-être, le film de sa vie, celui où l’on se retrouve à la fois comédien, réalisateur et scénariste. Le seul documentaire que nous ne pourrons quitter avant la toute fin du générique.
«Je ne me lève jamais avant la fin du générique» de Réjane Bougé est paru aux Éditions Québec Amérique.
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