mercredi 14 décembre 2005

L'aventure s'invite dans les ruelles de Montréal

Les ruelles, ces apparences de rues qui se faufilent entre les maisons de la ville, ces ouvertures qui permettent de plonger dans l’intimité des quartiers, d’y surprendre l’envers du décor, la vie de tous les jours, celle que l’on dissimule aux regards. Juste le titre de ce récit constitue une énigme. André Carpentier s’est fait rôdeur, marcheur et arpenteur pour sentir, voir et découvrir ce que les façades des grandes artères de Montréal masquent.
L’écrivain passe et repasse, noircit des carnets, surveille à gauche et à droite, vole des bouts de phrase, des appels, des mots qui se transforment en énigmes.
Carpentier a toujours eu un faible pour les récits intimes, les réflexions qui surgissent quand on s’exile dans ces pays où les balises s’estompent ou, plus simplement, quand on se colle au familier avec tous les sens en éveil.
Le marcheur a sillonné les ruelles de Montréal en toutes saisons. Les ruelles de son enfance où il a inventé des châteaux et ressenti les premiers émois de l'adolescence. Il y a trouvé le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, la neige, qui étouffe les ruelles et les transforme en bouts de campagne.

Intimité

S’aventurer dans les ruelles de Montréal, c'est surprendre un couple dans la fragilité de sa galerie ou une adolescente dans son mal-être. Les hommes et les femmes y dissimulent leurs extravagances, leur simplicité et leurs rêves.
«Dans les cours, il y a tout autant à voir: un bricoleur dans son garage qui recense ses outils, une femme au sourire de directrice des ventes qui passe son pouce sur une vaisselle ébréchée, un proprio qui cherche des fissures dans ses fondations, une gamine dans son maillot de cycliste en lycra stretch qui fait ses gammes au saxophone, une vieille qui, de sa main fragile, écarte les rayures de rideaux, un grand-père qui rapetisse, une grand-mère qui cède son autorité, un travailleur de nuit réveillé par l'effraction de la ruelle, qui peste contre la marche forcée au travail...  ... Un après-midi dans son cantique, quoi!» (p.35)
Jeunes, femmes seules, vieillards cloués sur une chaise comme un chat fatigué ou des adolescents qui foncent en bombant le torse. Beau temps mauvais temps, Carpentier hante des lieux, circule en amont et en aval, surprend les bonheurs de la lumière sur les murs de briques, des musiciens qui s’inventent une scène au fond d’un garage et des bricoleurs qui pourraient échafauder des cathédrales.

Les dangers

La ruelle a ses règles, ses habitués et ne s’y aventure pas qui veut. Carpentier devra s'expliquer avec les policiers. Situation embarrassante, amusante ou des moments plus inquiétants quand il fait face à des bandes agressives. Si certaines ruelles sont avenantes et bucoliques, d'autres se transforment en jungle. C'est le propre du flâneur que d’avoir les réflexes aiguisés et de savoir flairer le danger.
André Carpentier reprend sans cesse des croquis, élabore une sorte de palimpseste où la ruelle se livre dans toutes ses beautés.
«Des couleurs vives égayent le ciel de criardes rayures, ce sont des cerfs-volants qui se croisent et se frôlent et laissent échapper des flap-flap. Des ficelles à peine perceptibles les relient à des têtes de gamins aux regards parsemés d’étoiles, des gamins engagés à grandir sous l’effet des vents qui les tirent vers le ciel, eux qui veulent rester cloués au sol de l’enfance. Une femme des rues et des ruelles, perdue dans son délire, esquisse un temps un sourire béat devant ce spectacle, mais aussitôt rattrapée par une rage de fond, se reprend et fulmine contre ces méchants poteaux et fils électriques qui cherchent à attraper ces formes colorées qu’on dirait libres tant elles virevoltent, et elle crie et elle hurle et elle effarouche les enfants.» (p.123)
Un récit qui se savoure à petites gorgées et qu'on explore le sourire aux lèvres. Une belle façon de vivre l’aventure chez soi, de peindre la ville avec d’autres couleurs. Ça sent le B.B.Q, les sacs de poubelle éventrés, mais c'est formidablement humain. De quoi étonner et donner envie de partir, un matin de septembre, pour se perdre dans les sortilèges d’une ruelle.

«Ruelles, jours ouvrables» d’André Carpentier est paru aux Éditions du Boréal.

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