Oui c’est maladroit, souvent répétitif, redondant mais des bulles éclatent ici et là, douloureuses et belles de vérité et de vie. Il fallait s’y attendre. Caroline Paquin a prévenu le lecteur. Pas question dans «La chambre vide» de basculer dans les fioritures et les figures imposées.
«Des pages entières griffonnées à la hâte. Pour une fois, des répétitions, des fautes, des mauvaises métaphores, une absence totale de style. Une seule règle prime: l’urgence de dire. Pas la force de me relire. Juste le besoin violent de laisser sortir mon désespoir. On ne retravaille pas un cri de détresse.» (p.64)
Les hurlements ne sont jamais harmonieux, à moins de tout trafiquer et d’édulcorer.
Caroline Paquin tente ici de juguler sa douleur, sa peine immense comme le monde, la culpabilité et la honte qui risquent de la broyer. Comment accepter que l’enfant que l’on entendait depuis des mois ne survive pas!
Perte
Le récit de Caroline Paquin plonge le lecteur dans cet accouchement interminable, ce moment terrible où elle se retrouve avec le corps de son enfant mort dans les bras. Le don de la vie s’est fait acte de mort.
«Rien ne s’effacera. Je suis une vivante immobile, à l’état végétatif, qui respire et s’enracine dans un même et seul espace limité pour ne rien oublier.» (p.101)
Bien sûr, je n’ai guère l’habitude de fréquenter ce genre de témoignage, surtout que les lectures suggérées à la fin s’étalent sur plusieurs pages. De quoi inquiéter. L’idée de plonger dans un guide, un manuel de psychologie infantilisante ne m’a jamais attiré. Mais il y a plus ici. Caroline Paquin, tout en crachant sa peine, déchire des pages de sa vie familiale, dessine un père qui a quitté sa femme et ses enfants, une mère brisée et geignarde. Surtout, elle a le courage de secouer sa relation avec Pierre, son compagnon, le meilleur curriculum en ville pour être papa.
«On parle à Pierre aussi. Je l’observe, cet homme qui néglige sa propre peine pour s’occuper de celle d’autrui. Attentif, il écoute chacun bafouiller une maladresse après l’autre. D’où lui viennent-elles, cette patience et cette tendresse qu’il témoigne à ceux qui ne comprennent rien à rien ? Et j’ai honte, tout à coup, de ne pas arriver à aimer un être si aimable.» (p.65)
Toutes les étapes du deuil sont visitées, avec la volonté de triompher de la mort, de trouver un sens à la vie, de tenter l’aventure ailleurs et peut-être de tout recommencer.
Le drame
Douze chapitres coiffés d’un titre où le mot «chambre» apparaît comme le fil qui permettra de fuir le labyrinthe. Des citations d’écrivains aussi, des points d’ancrage. Peut-être qu’il faut franchir des espaces pour s’éloigner du drame. L’auteure, à la fin, au Chili comme pour s’installer en marge de sa vie, exprime sa confiance à un homme. Et peut-être aussi qu’elle parviendra à s’inventer un autre enfant qui profitera d’un grand bout d’avenir. Comment demeurer insensible devant un récit d’une si formidable franchise.
«Ainsi, pour la première fois, je vais d’abord goûter à l’amour, au risque de le perdre. Je vais prendre le temps de le construire, cet amour, au risque de le perdre. Et j’aurai peut-être ensuite, avec cet homme que j’aie parce que, pour la première fois, je n’ai pas peur d’aimer, un enfant, que j’aimerai autant que toi, au risque de le perdre.» (p.142)
Caroline Paquin montre sa passion pour les mots, démontre son véritable tempérament d’écrivain. Quand elle aura le temps de s’attarder, de peaufiner son écriture pour nous entraîner dans des romans qu’elle écrit «pour calmer sa profonde angoisse existentielle», elle pourrait surprendre.
Des pages touchantes qui explorent de l’intérieur un drame peu connu, celui de ces parents qui, en voulant donner la vie, retrouvent le visage de la mort.
Caroline Paquin, native de Chicoutimi, a remporté le Prix Abitibi Consolidated «Découverte de l’année 2004» du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec un premier roman intitulé «Trop de lumière».
«La chambre vide» de Caroline Paquin est publié aux Éditions de Mortagne.
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