vendredi 12 décembre 2003

Luc LaRochelle abandonne son lecteur

Il faut s’attarder à l’illustration de la page couverture de «Amours et autres détours» de Luc LaRochelle. Une femme nue, sur un lit, sexe en évidence s’offre au regard d’un jeune garçon. Le tout baigne dans une lumière rouge, crue. Un tableau d’Eric Fischl intitulé «Bad boy» devient l’affiche des récits de Luc LaRochelle. Un peu racoleur cette présentation qui ne correspond guère à l’ouvrage. Le «bad boy», je ne l’ai pas retrouvé dans cet ouvrage.Bien sûr, il est question de séduction, de ruptures et de fuites qui parsèment la vie. L’auteur s’attarde aux effleurements, aux regards qui marquent les contacts entre les hommes et les femmes, à cette pulsion toujours là et qui s’évanouit trop rapidement. Il y a des rencontres, des moments où il est possible de changer sa vie. Il suffit de dire oui.Malheureusement, LaRochelle esquisse sans jamais appuyer ou décrire ce qui constitue ces instants fugaces. Il ne restera que des petites blessures à peine perceptibles. Les rencontres sont toujours éphémères, de folles étincelles qui ne provoquent jamais les grandes flambées. LaRochelle nous laisse plus souvent qu’autrement dans les «détours de l’amour» quand on sent que tout pourrait basculer.
Abandon

Je me suis senti négligé et j’ai dû inventer des liens, tresser des nœuds et reconstituer les drames. Parfois, un contact avec une personne un peu étrange, comme ce voisin qui achetait des livres et en arrachait toutes les pages, a retenu mon attention. L’homme reliait des feuilles blanches à l’intérieur des couvertures. Une entreprise folle, obsessionnelle. Enfin je me suis dit, il va surgir quelque chose d’original et nous allons sortir de la banalité. J’ai déchanté rapidement. LaRochelle est déjà loin.
Des occasions ratées, il y en a des dizaines dans ces récits. La mort a beau frapper sans prévenir, rien n’y fait. L’écrivain reste obstinément l’observateur qui ne se compromet jamais.
«Quand je t’ai rencontré, je t’ai dit que je préférais le quart de nuit. Les souffrances endormies par les calmants, les confidences de la dernière nuit, qui ne sont adressées à personne. Puisqu’il n’y a ni parents ni amis. Pas de repas non plus. Je peux effectuer ma tournée sans être interrompue. J’aime le silence sur l’étage. La lumière tamisée. Et puis le matin, je quitte avant que les patients meurent.» (p.63)
«Je quitte avant que les patients ne meurent »… C’est bien là le problème de cet ouvrage et de cette écriture. Le narrateur n’est jamais présent ou agissant quand les vrais choses arrivent. Le lecteur est abandonné dans un monde anesthésié. Sommes-nous juste des corps qui se rencontrent, des désirs qui s’amenuisent et disparaissent? Sommes-nous condamnés au regret et à la nostalgie? Luc LaRochelle ne répond pas, on s’en doute.
La langue est efficace, sobre, bien contrôlée mais cette manière de faire défiler les hommes et les femmes a fini par m’engourdir. Si c’était là l’intention, l’auteur a parfaitement réussi.

«Amours et autres détours» de Luc LaRochelle est paru aux Éditions Triptyque.

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