jeudi 14 décembre 2000

Larry Tremblay ne cesse de scruter la société

Larry Tremblay est un créateur fascinant et dérangeant. Pour l'avoir vu faire ses premiers pas sur une scène, dans un spectacle hautement marqué par le kathâkali, je le sais capable de dérouter un spectateur et un lecteur. Heureusement, ses écrits restent sobres. Souvent évocateurs, ils parviennent à vous toucher par ce regard qu'ils posent sur le monde et les humains. Au théâtre comme dans le récit, l'écrivain s'intéresse à ses semblables.
Dans ce très court récit qu'est «Piercing», Larry Tremblay plonge dans l'univers d'une adolescente qui décide de voir le monde. Elle s'enfuit de son Chicoutimi natal où elle a l'impression de pourrir comme une baleine échouée sur les berges du Saguenay, à la hauteur de Sainte-Rose-du-Nord. La mort du père déclenche tout. Elle partira, fera un grand «X» sur sa vie, sa famille, cette ville pour vivre enfin.
«Elle s'était coupé les cheveux à grands coups de ciseaux. En trois secondes, elle s'était débarrassée pour de bon de son petit côté poupée aux joues rondes. Elle s'était coupé les cheveux à grands coups inégaux, sans miroir. Les cheveux de Marie-Hélène tombaient sur le plancher pas très propre de la cuisine, tombaient sur la tombe de son père, tombaient sur les rides mouillées de sa mère, tombaient sur le silence écoeurant du salon d'où parvenait encore l'odeur de cigarettes que son père fumait en regardant la télévision, tombaient sur la pluie qui n'en finissait plus de se mélanger aux ordures de cette ville où elle avait eu la malchance de naître.» (pp.5-6)

Montréal

Tout est dit. Nous la retrouvons à Montréal, dans un appartement de la rue Drolet avec Serge et Tony. Parcours habituel de toute une jeunesse qui doit fuir les régions périphériques pour connaître la grande ville, y travailler ou étudier.
Marie-Hélène se retrouve du côté des paumés. Pouvait-il en être autrement? C'est la faim, le froid, les rapines, la prostitution, les poubelles et parfois un mécène un peu étrange, un Kevin qui aide ces jeunes errants. Tony et Serge ne jurent que par lui.
Nous suivons Marie-Hélène, la belliqueuse, la têtue, la téméraire mais aussi la tendre, l'idéaliste qui ne demande qu'un signe et qu'un geste. Elle veut s'arracher à la grisaille, aux habitudes somnifères pour connaître un idéal, l'amour peut-être, un élan qui fera qu'elle changera le monde et surtout sa vie.

Le monde de Kevin

Peu à peu, nous comprenons que ce petit monde tourne autour de Kevin qui a aménagé ses quartiers dans une ancienne église d'où il édicte ses lois. C'est lui qui décide que Serge est un ange qui doit offrir son corps à tous les quémandants; lui qui proclame que Tony a tout à apprendre des chiens errants. Un gourou qui marque ses disciples. Marie-Hélène voit apparaître des petites boules métalliques sur ceux et celles qui s'abreuvent des «bulles» de Kevin.
Larry Tremblay décrit très bien la dérive d'une jeunesse en quête d'absolu et que notre société a larguée. Il suffit d'un mot, d'une petite phrase. C'est le détail qui surprend, la petite remarque qui bouscule l'univers et nous fait basculer. L'écriture de Larry Tremblay devient incantation, rythmes qui nous entraînent dans les rues, la neige et le froid. Un texte plein de colère refoulée à l'image de Marie-Hélène qui voudrait secouer le monde mais qui ne réussit qu'à se faire mal. Un récit dérangeant, une belle réusssite.
Les dix-sept photographies de Petra Mueller présentent des routes, des stations de métro où les gens vont, viennent, passent et peut-être changent au gré des jours et des élans. Il y a ces taches aussi que la photographe ajoute comme pour montrer la vanité de la vie, le mouvement, l'éphémère et le futile de nos agitations. C'est peut-être le lien qu'il faut faire avec le texte de Larry Tremblay. Tout passe, tout est mouvement et rien ne peut arrêter cette course contre la mort.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Dazibao.

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