mercredi 8 juin 2022

UN QUÉBEC LIBRE TRÈS DÉPRIMANT

DANS VIES PARALLÈLES, Benoît Côté nous plonge dans une utopie politique fort intéressante. L’écrivain suppose que le oui l’a emporté lors du référendum de 1995 par une faible majorité. Le Québec est devenu un pays. Tout a changé dans la Belle Province pour le pire on dirait, même si j’ai eu du mal à me faire une idée précise de la situation. L’auteur nous plonge dans un monde familier et étrange. Tout ce que nous connaissons du Québec de maintenant s’est désintégré. Ce n’est pas la première fois qu’un romancier se risque dans ce genre d’uchronie. Jean-Michel David, dans Voir Québec et mourir, fonçait dans cette direction et décrivait un nouveau pays qui naissait dans des conditions pénibles. Nous vivions une véritable guerre civile. Une chronique de 2012 s’attarde à ce roman.

 

Le Canada accepte mal que le Québec quitte la fédération. Le contraire me semblerait étonnant. Le gouvernement réagit brutalement en chassant tous les élus québécois des Communes. Jean Chrétien doit rentrer la tête basse dans ce Québec souverain qu’il a combattu avec acharnement. Des centaines de fonctionnaires ont dû prendre la même direction. Les Québécois ne sont plus les bienvenus de l’autre côté de la rivière des Outaouais. 

BBenoît, le narrateur, travaille dans une banque et s’occupe des investisseurs russes. Il croise un certain Vladimir Poutine, un peu baveux et sûr de lui. Côté n’avait pas prévu l’invasion de l’Ukraine, cette guerre intempestive du président russe qui a poussé la Russie hors de toutes les instances internationales.

C’est la grande vie pour Benoît, les voyages, les hôtes de luxe, les rencontres particulières, les beuveries. Comme on s’en doute, son couple claudique. Le banquier tente d’oublier et se laisse porter par l’appât du gain même s’il a du mal à composer avec son passé.

 

INTÉRÊT

 

Ce ne sont pas tellement les déboires sentimentaux et économiques de Benoît qui m’ont intéressé. L’homme s’abandonne aux circonstances et ne décide rien. Peut-être que l’écrivain voulait faire de son homonyme le prototype du Québécois qui pratique «le chialage» en virtuose, mais subit les événements sans jamais rien faire de concret. Il préfère suivre le courant du fleuve et laisser les autres choisir à sa place. Un personnage qui va de mal en pis. Benoît doit revenir sur sa vie, son passé, les idéaux qu’ils partageaient avec des amis et une peine d’amour qui a très mal guéri.

Ce qui m’a captivé surtout, c’est le décor ou le territoire du Québec après la victoire du oui. Côté se contente de grands traits. Jean Chrétien retombe vite sur ses pattes et devient le premier président de la République du Québec. Bien sûr, nous naviguons dans une fiction, mais de vrais individus agissent dans ce roman et l’auteur s’amuse en leur faisant dire des propos particuliers. 

«Et les jours après : d’un bord, l’attente de reconnaissance des autres pays qui   arrivait pas; de l’autre, la réaction du Canada anglais. La déclaration unilatérale, puis la condamnation pour insurrection. Le bannissement de Chrétien, de Charest. La dispute entre Bouchard, Parizeau, Dumont. Les milices dans le West Island, les centaines de barrages routiers devant les réserves. Ça a jamais viré complètement violent, mais la tension était là. Après, les mois, les années de négo, l’embargo sur le pétrole de l’Ouest, la suspension du libre-échange. Tu sais qu’avant de revenir s’installer ici elles sont parties, les usines?» (p.57)

Avec le réchauffement de la planète, ce paysage «industrialisé» n’augure rien de bon. 

 

POLITIQUE

 

Le Québec vit sous un régime présidentiel. On aurait pu croire que Lucien Bouchard en deviendrait le premier président, mais ce n’est pas le cas. Jean Chrétien, chassé d’Ottawa, transfuge et caméléon, capable de porter tous les uniformes, sera le champion des Québécois. 

De quoi frémir!

La situation financière s’est détériorée et la violence a failli s’imposer sans pour autant dégénérer comme dans le roman de Jean-Michel David. 

Tout le tissu social et économique du Québec de maintenant a disparu. «Bien entendu, la vue vers les autres Montérégiennes au loin m’était moins agréable, avec les banlieues sans fin qui se confondent avec les usines de gaz naturel et, finalement, avec les nombreux puits de gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent.» (p.50)

Tout ce sur quoi repose notre fierté ou notre société distincte dans un Canada imprévisible s’est envolé. 

Les Québécois vivent dans un état où le plus fort l’emporte et où les entreprises étrangères s’emparent de tout. Certains en profitent, mais la grande majorité de la population subit un capitalisme pur et dur. Tout le filet social s’est défait. Hydro-Québec est passée aux mains du privé et la Société des alcools également pour satisfaire les exigences du Fonds monétaire international. On extrait le gaz de schiste partout dans la vallée du Saint-Laurent et les éoliennes poussent plus drues que les épinettes qui semblent faire partie du folklore. C’est l’éden de l’exploitation sauvage, des aventuriers et des oligarques russes qui trouvent ici une terre de prédiction pour s’enrichir. 

Le président Roux tente de se maintenir au pouvoir. Une certaine madame Bombardier risque de remporter les élections. Il ouvre la porte aux étrangers fortunés en leur promettant un paradis où ils pourront prospérer sans devoir payer de taxes et voter en débarquant de l’avion.

Le Québec devient le pays idéal pour l’évasion fiscale et le gain rapide. 

La population paraît vivre dans la misère. Les centrales syndicales ne sont plus qu’un souvenir. L’écologie est un mot qui n’existe plus dans la nouvelle république.

 

UN PAYS

 

À vrai dire, je n’aurais pas tellement envie de vivre dans le Québec indépendant de Benoît Côté. Il décrit avec un certain cynisme un monde âpre, sauvage ou des investisseurs sans âme font la loi. 

Pour le reste, l’aventure de Benoît qui se voit forcé d’écrire un texte de fiction sur un Québec qui aurait voté non en 1995 est plus ou moins intéressante. 

Bien sûr, les entrevues avec Jacques Parizeau, Richard Desjardins, Michel Tremblay et Dédé Fortin attirent l’attention. Ces personnages connus agissent dans cette fiction, mais les déboires du narrateur et sa descente aux enfers s’étire un peu trop. Et ce journal intime rédigé en 2002 prend beaucoup trop d’espace.

Reste que c’est intéressant d’imaginer l’avenir en s’appuyant sur la conjoncture économique et la situation dans le monde. Jean-Michel David et Benoît Côté me semblent particulièrement pessimistes. Les deux prévoient la violence et la dégradation des conditions de vie des Québécois, sans parler du saccage écologique et du démantèlement du filet social. 

Étrange que l’on préfère toujours le pire au meilleur.

Le Québec ne parvient jamais à vivre autrement, à utiliser adroitement ses richesses dans ces scénarios. Pourquoi sans cesse la catastrophe

J’aimerais bien qu’un écrivain se risque de ce côté de l’utopie pour nous offrir une situation moins déprimante. Jacques Parizeau ou Lucien Bouchard deviendrait logiquement le premier président de la République. Il pourrait nationaliser la forêt, les ressources minières et l’eau pour s’adonner à une exploitation responsable de l’écosystème. Imaginons un pays vert et accueillant. Et toute une jeunesse qui se consacre à sauver la planète et aide les éclopés du monde pour créer une société différente 

L’uchronie d’un Québec indépendant qui soulève l’enthousiasme reste à inventer. Mais quand on s’attarde à ce qui se concocte dans les partis politiques actuellement, il s’avère difficile de demeurer optimiste et de se comporter comme le Pangloss de Voltaire qui ne voyait que le bon côté des choses?

 

CÔTÉ BENOÎTVies parallèles, Éditions du Boréal, 416 pages, 32,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/vies-paralleles-2827.html

vendredi 3 juin 2022

LA GUERRE DES FEMMES CONTINUE


CATHERINE MORENCY 
vient de publier un quatrième livre de poésie, Le jour survit à sa chute, un recueil fascinant par son propos et sa présentationL’ouvrage comprend sept parties ou moments qui permettent à la narratrice de passer de la servilité à la liberté, tout comme le matin triomphe de la nuit s’imposant à l’aube. Chacun de ces moments offre des similitudes dans la texture même du poème. Les textes reposent sur quatre mouvements de deux segments la plupart du temps. Et à la troisième poussée, la poète se restreint à quatre vers. Et après, dans la montée vers la lumière, la parole s’appuie sur trois strophes, le triangle qui indique la stabilité et l’équilibre. Un travail d’orfèvre remarquable. 


Les interprétations symboliques me fascinent, surtout avec les nombres et les signes qui dévoilent les archétypes. En ce qui concerne le chiffre quatre, plusieurs constats étonnent. «Dans la plupart des philosophies et religions, le nombre quatre suggère le carré, la Terre, la totalité de l’univers manifesté, créé et révélé. C’est le domaine du concret, du limité». Ça se moule très bien au poème qui présente une formidable unité qui témoigne de la réalité des femmes. «Le chiffre quatre évoque aussi l’organisation, l’équilibre et la perfection. Il invite l’individu à mieux se connaître et à prendre sa place dans le monde. Il illustre quelques-unes des règles universelles fondamentales : les lois de correspondance, des cycles, celle d’équilibre et d’harmonie…» 

Voilà qui coïncide bien avec la démarche de Catherine Morency. Comme si la poète travaillait ses textes avec une équerre, cherchant une forme géométrique qui épouse parfaitement son propos.

 

«Il est temps de t’habiller de clarté

   ranger la couverture qui te servait d’effroi.» (p.9)

 

«S’habiller de clarté», de lumière pour se libérer des forces obscures et devenir visible en plein milieu du jour, se défaire de toutes les contraintes qui étouffent les femmes depuis la nuit des temps. 

 

DÉPART

 

Nous sommes fixés dès le premier mouvement. L’ordre retentit, le hurlement. «Tu vas la fermer!» La voix de l’oracle s’élève et répète les diktats des dieux. La femme doit obéir, se tenir dans le monde des objets et des choses.

 

«Les coups tombent

 

   exangue un corps

   niche dans ses abîmes

 

   tu vas la fermer

   je te jure

 

   expire la décence

   la blancheur devient cri.» (p.13)

 

La femme n’est plus qu’un corps blême qui a perdu beaucoup de sang. Des voix lui intiment de se taire, celles de ces dieux qui régissent l’ordre de l’univers. Toute recroquevillée, réduite à un gémissement et un hurlement, elle entreprend de se rapailler pour se donner une existence.

 

«tes membres se disloquent

   errent entre les tranchées» (p.15)

 

Cette violence tutélaire met le corps en charpie. Ses membres bougent entre les tranchées d’un champ de bataille où les armées se font face. Leur cible : la femme. Les opposants mènent une même guerre contre elles et se partagent les dépouilles. 

C’est troublant. 

La femme se traîne au cœur de ces combats et de cette barbarie absurdeElle doit confronter le meurtre, le viol, les mutilations et les pires atrocités. Nous le vivons en Ukraine depuis cent jours. Les militaires agressent les femmes et les adolescentes avant de les exécuter ou de les laisser pour mortes. Toutes devenues butin de guerre que l’on rejette comme de vieux sacs après usage. 

 

«Une claque puis une autre

 

   des astres pleuvent derrière les tempes

   t’ament pour des luttes souveraines

 

   le vrai combat commence

   quand tu cesses de croire

 

   sur le seuil

   un masque de renard roux,» (p.20)

 

PARE-BALLES 

 

«Deux lignes bleues apparaissent». Voilà la femme enceinte, envahie par l’embryon. Son corps va-t-il perpétuer la violence, la soumission, cette guerre qui ne prend jamais fin? Doit-elle fermer les yeux et rêver à l’amour et à une tendresse impossible? Son refus claque comme une porte. L’avortement devient geste de libération, d'appropriation. Pas question de s’abandonner à la maternité dans ces conditions.

 

«Un bruit

   une succion

 

   confirment 

   le tarissement

 

   ne croîtra plus

   en toi

 

   que l’engramme

   du germe.» (p.36)

 

Premier pas dans la reconquête de son corps, de soi, la libération, le combat toujours à refaire. Nous le voyons aux États-Unis où l’on bannit ce recours dans plusieurs états. Il ne restera que cette trace dans la mémoire d’une vie qui aurait pu advenir, différente et aimante.

 

«Des lumières nous brisent

   d’autres nous effacent

   entre ton sang et le nôtre

   germe un escalier.» (p.43)

 

CHEMINS

 

L’affirmation peut prendre bien des formes et des directions. Tout commence par la parole, la conscience de soi. Ça suffit les coups, les cris étouffés et l’obéissance à l’oracle qui impose sa loi depuis toujours. Tout change quand elles se redressent et prennent possession de leur espace, «en plein midi soleil» comme l’écrivait mon amie Nicole Houde.

 

«Fini le temps des filles

   couche-toi là

 

   prends ma main

   frotte mon sexe

 

   nous ne sommes plus vos chiennes

   rompues au domestique

 

   nous prenons poing

   sur un sentier plus juste.» (p.65)

 

Enfin la libération, la conquête de la planète du corps et l’affirmation dans tous les aspects du jour. La vie réclame toutes ses dimensions et ses désirs. 

 

«J’enfourche une monture

   rejoins la plaine dans ton front

 

   tu délies la langue

   voles le feu aux hommes

 

   les grands faunes ressurgissent

   sous un autre pelage.» (p.76)

 

Un cri fait tomber les carcans et les frontières établies par la société des mâles. C’est « le vol du feu », la survie et l’être qui peut faire face à toutes les situations. L’élan abat les murs et repousse les ordres qui ont toujours réduit les femmes au silence et à l’obéissance.

 

«Il n’existe pas de pays

   pas de terre qui ne te soient natals

 

   dans le silence une eau étroite

   reprend ses droits

 

   ouvre des veines sous ton torse.» (p.91)

 

Voilà une poésie qui s’ancre dans le réel et propose une démarche exigeante d’affirmation et d’espoir pour échapper à une dictature que nous avons encore bien du mal à contrer. Les femmes restent la cible de cette violence aveugle, de meurtres sordides qui frappent aussi les enfants. Les médias nous gavent de cette démence quotidienne. Partout, elles se débattent entre les tranchées, arrivent tant bien que mal à se faire justice quand elles se révoltent et attaquent les murailles derrière lesquelles se réfugient les combattants mâles. Une poésie sentie, poignante et exigeante, sans artifices s’impose après bien des arrêts et des pleurs. 

Je me suis longuement attardé sur les textes de Catherine Morency pour en voir toutes les facettes. Les répétant à voix haute pour en saisir la cadence et la pulsion. J’ai eu l’impression de polir un diamant qui montre toute sa beauté et sa valeur après bien des efforts. Le lecteur doit s'attarder sur chacun des mots pour s’imbiber de l’univers de cette poète qui parle juste, reprend un grand cri de libération qui s’avère encore et toujours nécessaire. 

Voilà une tentative remarquable de concision et de retenue; un élan du cœur et de l’âme qui transforme le monde, le lave de ses obsessions et de ses violences.

 

MORENCY CATHERINELe jour survit à sa chute, Éditions LE LÉZARD AMOUREUX, 100 pages, 22,95 $.

 

https://www.groupenotabene.com/publication/le-jour-survit-à-sa-chute

lundi 30 mai 2022

SIMON ROY TENTE D’APPRIVOISER LA MORT

SIMON ROY a fait les manchettes récemment avec Ma fin du monde, un ouvrage qu’il présente comme sa dernière publication. L’écrivain souffre d’un cancer incurable au cerveau. La tumeur perturbe le langage, l’outil privilégié de cet enseignant et auteur. Il a rédigé son essai rapidement sous l’effet d’un médicament qui provoque des insomnies. Son passage à Tout le monde en parle a touché bien des gens et son bouquin a trouvé ainsi nombre de lecteurs. Voilà un homme qui signe son ultime livre, il le répète. Mais quelle surprise lui réserve la vie? Avec lui, on croise les doigts, l’accompagnant vers un rendez-vous que tous souhaiteraient éviter. Brûler ses dernières cartouches et décider de tout arrêter si la douleur devient intolérable. Roy a fait appel à l’aide médicale à mourir même s’il ne sait pas s’il va en arriver là. Un témoignage bouleversant.

 

Simon Roy me semble un homme courageux, lucide qui tente de vivre les jours qui lui restent avec le sourire. J’étais curieux de lire le fruit de ces nuits d’insomnies, sachant que le temps lui était compté, qu’il s’enfonçait dans un sentier de plus en plus étroit. «… car, comme l’écrit Yvon Rivard dans Le Dernier Chalet, “on ne peut écrire en se disant que le livre qu’on écrit est le dernier […] car on ne peut écrire qu’en faisant inconsciemment le pari qu’écrire retardera et même repoussera indéfiniment la mort, que l’écriture, comme la prière, est une sorte de rétrécissement, semblable à la mort, qui conduit non pas à une autre vie, mais à l’élargissement de celle-ci.” (p.10)

Que peut-on dire quand nous voilà debout et tremblants dans un ultime virage, à un âge où tout peut encore arriver? Simon Roy nous offre une forme de testament littéraire. 

 

PARCOURS

 

Je me suis arrêté après quelques pages. Déboussolé. Que me proposait l’écrivain? Pourquoi parler de la fameuse émission réalisée par Orson Welles, La guerre des mondes, une adaptation radiophonique du roman de H. G. Wells, diffusée le 30 octobre 1938? Et pourquoi s’attarder à Stephen King? Évoquer Les ailes du désir de Wim Wenders, un très beau film que j’ai visionné à quelques reprises, me rassurait un peu. Je m’avançais en terrain connu avec ces anges qui accompagnent des errants dans leurs désespoirs et leurs découragements. 

J’ai tout recommencé en pensant que Simon Roy faisait peut-être un détour pour cerner son angoisse, apprivoiser la vie et surtout la mort. « L’œuvre d’épouvante s’attache à cultiver des émotions qui comptent parmi les plus primitives de l’être humain. La peur est multiple. Tout le monde a peur. Pas besoin de monstres ou d’entités surnaturelles pour la provoquer. » (p.19)

Et j’ai compris, page 20, quand il énumère les formes que prend la frayeur. Comment ça marche la peur et pourquoi nous tremblons devant des monstres, des événements inéluctables, sa fin qui approche à grands pas? Qui n’éprouverait pas d’angoisse en luttant avec un cancer du cerveau? La tumeur le prive de mots et l’éloigne de l’écriture. 

La terreur a donné naissance aux mythes, aux légendes, aux contes pour se rassurer un peu. Les religions aussi. Les dieux se moquent de cette fin inexplicable. Roy s’attarde à Welles et King pour tenter de saisir les mécanismes de la crainte, de la panique qui fait perdre ses moyens. En comprenant peut-être comment ça marche, Simon Roy pourra apprivoiser ses hantises si l’on peut dire. 

 

COMPRENDRE

 

Chasser la peur devant l’inconnu quand on sent son corps s’échapper. Comment s’empêcher de basculer dans l’irrationnel lorsque tout s’enraye? Peut-on apprivoiser la mort, la fin de son monde et de sa conscience? Pourquoi craignons-nous les extraterrestres, comme si tout ce qui peut vivre en dehors de notre petite planète n’attendait que le moment de nous envahir et de nous dominer

La bombe atomique, dans les années 50, a fait angoisser des populations. Et, certains souffrent maintenant d’anxiété devant les changements climatiques, surtout des jeunes. Qu’est-ce qui déclenche ces réactions déraisonnables? « La peur s’accroche, tenace. Une fois qu’elle s’est pointée, impossible de faire comme si elle n’avait pas traversé notre esprit tant elle est vicieuse. La peur contamine tout. Comme une spirale, elle part en vrille en s’éloignant du noyau de la sérénité. La peur dissout dans sa chute les structures sous-jacentes tout comme la confiance la mieux ancrée. » (p.70)

 

TÉMOINS

 

Simon Roy tâche d’étourdir ses terreurs et de calmer ses angoisses en s’attardant à certains témoignages. Des femmes et des hommes ont vécu des expériences particulières en échappant à leur réalité pendant de longues minutes. Ils ont flotté hors de soi, voyageant si l’on veut en orbite autour de leurs corps. Ils ont ressenti une forme de sérénité difficile à atteindre lorsqu’on se débat dans le quotidien. 

Cette attirance pour la vie après la mort fascine depuis la nuit des temps. L’oncle de Simon détient des pouvoirs, semble-t-il. Il peut arrêter la douleur tout comme l’écoulement du sang quand on se blesse. Un don. Simon Roy aimerait percer son secret. D’où ça vient? Qui transmet ce pouvoir de guérison? Y a-t-il une présence, un esprit hors de la dimension des humains auquel certains auraient accès? Comment cerner son soi, le prendre dans le creux de ses mains pour l’examiner sous toutes ses coutures ? Des preuves pour éloigner la peur et nous raccrocher à une forme de continuité ou de certitude. « Lorsque je parle de mon rapport à la mort avec des amis, chacun écoute attentivement avant d’y aller de son témoignage lié à des phénomènes particuliers. Notre esprit nous a tous, un jour ou l’autre, fait dévier vers des croyances saugrenues, ne serait-ce que pour les rejeter au final après réflexion où le rationnel l’emporte. » (p.76)

La raison refuse de basculer dans le néant, de s’enfoncer dans un trou noir où tout se replie sur soi. « Penser à sa fin prochaine, se demander de loin en loin s’il y a un autre monde après. Pour dire la vérité, j’y songe chaque jour, plusieurs fois.» (p.76) Personne ne souhaite devenir un nom dans un registre ou un tiret entre la date de sa naissance et celle de sa mort sur une pierre tombale.

Comment faire face? Vivre intensément, oublier le passé et le futur pour se blottir dans le présent, cet instant qui s’écoule. Comment s’ancrer dans une bulle qui libère de tout?

 

RENCONTRE

 

À la toute fin de son ouvrage, Simon Roy se retrouve avec un proche. Ils discutent dans un endroit paisible où la vie prend ses aises. Les deux se livrent. Pas de cachotteries. Ils tentent de cerner l’être, cette étincelle qui allume le corps et permet de respirer, d’être une conscience dans un certain espace. Échanger avec son ami qui reste attentif, présent comme jamais. « J’aimerais juste être fixé sur comment ça va se passer. Est-ce que je vais choker juste avant la piqûre finale? Je suis assez en paix avec la mort. Avec la mort elle-même. J’suis même curieux de savoir si y a quelque chose de l’autre côté. Sauf la peur de faire une autre crise d’épilepsie, de pus en revenir autrement que comme un fou qui attend de rendre l’âme, de pus savoir parler, communiquer, perdre la raison, quoi? » (p.115)

Le temps se recroqueville quand ils se regardent dans les yeux et c’est tout ce qui importe. « Dernière balade avec mon ami » touche par sa simplicité et sa profondeur. Je l’ai relu trois fois pour ne rien manquer, pour que tout demeure bien vivant. Et peut-être que la vie doit se mouler à la mort pour recommencer. Mais cela ne rassure pas, bien sûr. Il reste toujours des questions qui dépassent et qui se terminent avec de terribles points d’interrogation. 

Bonne route, Simon Roy, respire le plus longtemps possible et continue à écrire pour éloigner tes peurs.

 

ROY SIMONMa fin du monde, Éditions du BORÉAL, 136 pages, 22,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/fin-monde-2837.html

mardi 24 mai 2022

L’APPEL DE LA ROUTE RESTE TOUJOURS TRÈS FORT


PHILIPPE PLANIFIE un voyage en Europe avec Paul. Les deux amis vivront quelques mois en Europe, un an peut-être, avant de rentrer et d’amorcer leur vraie vie dans le travail et en fondant une famille. Une tâche exigeante chez un vignoble d’abord et après Paris, des séminaires à la Sorbonne avec Roland Barthes et surtout le hasard qui risque de bousculer les voyageurs. Difficile de prévoir son itinéraire quand on décide de quitter sa ville et son pays pour foncer dans l’inconnu et que l’on s’abandonne au hasard et aux facéties du destin.

 

Paul ne sera pas de l’aventure. Son père se meurt. Un cancer incurable. Philippe part seul en Suisse et s’installe dans un établissement viticole. Un travail pénible, difficile pour le jeune homme, mais un peu d’argent s’accepte bien quand on débarque à l’étranger. Il y a aussi les nouveaux amis, des rencontres surprenantes et surtout Paris qui l’attend. 

Après, un émerveillement en entrant en gare de Lyon. Une belle Italienne aborde Philippe. Chiara. C’est le coup de foudre, l’aventure amoureuse comme il s’en vit dans les romans et les films. «À la fois étonnés et saisis d’une irrésistible attirance, les corps se découvrent dans l’intimité, tantôt lentement, tantôt frénétiquement : les caresses parlent un langage débridé de plaisirs à donner et à recevoir…» (p.24) 

Les mains, les lèvres, les yeux se cherchent, se subjuguent, s’apprivoisent, se trouvent dans une danse qui fortifie le cœur et l’âme. Tout cela même si Philippe ne veut pas s’attacher et qu’il entend bien profiter de sa liberté. «Pas question de se laisser piéger par l’amour exclusif.» (p.14)

Et la belle disparaît comme elle a surgi sur le quai de la gare après des jours et des nuits intenses, abandonnant un mot et un livre. «Graziella d’Alphonse de Lamartine, édition de 1927.» (p.26), la promesse de se revoir. Y a-t-il un message à déchiffrer dans cette fiction? Philippe va tenter de comprendre en feuilletant l’ouvrage. 

Le jeune homme est ébranlé, perdu, mais il reste l’espoir de retrouver celle qui est entrée dans sa vie comme un tsunami et s’est envolée aussi rapidement qu’un rêve qui laisse pantois au réveil. Il vient de vivre des moments magiques où les corps, dans la gestuelle amoureuse, permettent de croire à l’éternité. 

 

ATTENTE

 

Commence alors la véritable errance, les jours qui poussent Philippe dans Paris et le font aller comme une bille de billard qui roule sur le tapis vert. Impossible d’oublier Chiara même si le hasard lui réserve des surprises. Il se fie à son instinct et ne dit jamais non à une aventure. 

Une femme étrange l’aborde. Une complicité improbable naît. Dominique s’avère être un homme qui l’invite dans sa famille en Normandie, à Fécamp, la ville de mon ami Philippe Porée-Kurrer, un excellent écrivain. Et une excursion en Espagne suit avec une Allemande, Ingrid, une fonceuse dotée d’un grand sens de l’humour. Le voyage dans toute sa quintessence et sa splendeur nous emporte alors. Retour en France. Et pourquoi ne pas bousculer les choses, se rendre en Italie, débarquer dans l’île de Procida où Chiara réside?

Voilà Philippe dans un vrai drame cornélien. La belle Chiara est mariée avec un homme plutôt inquiétant qui contrôle tout sur l’île. Le Québécois doit sauver sa peau. Rien de moins. La rencontre, les retrouvailles, les éblouissements du corps n’auront pas lieu. Philippe nage en plein drame, blessé au cœur et à l’âme. Plus, il a l’impression qu’un personnage louche le suit partout et il craint pour sa vie.

John, un Américain qui a fui les États-Unis comme nombre de ses concitoyens, pour ne pas faire la guerre au Vietnam, le secoue. Plusieurs de ces pacifistes se sont installés à Montréal alors. Pourquoi ne pas accompagner ce grand bonhomme sympathique aux Indes où il rêve d’harmoniser son être et son esprit, le cœur et la raison avec le yoga et la méditation? Même les Beatles, à l’époque, n’ont su résister à cette mode qui promettait de donner un nouvel ancrage à sa vie en allant vivre dans un ashram sous la tutelle d’un gourou. Et c’est la destination que tous les routards semblent emprunter. 

Tout se terminera rapidement. 

Le mari de Chiara meurt et elle donne naissance à un bébé. Ce poupon est peut-être l’enfant du Québécois. Philippe décide d’éclaircir les choses. «Je veux en avoir le cœur net. Bien que je n’aie jamais sérieusement envisagé la paternité, je ressens une vive émotion à l’idée que cet enfant puisse être de moi. Comment le savoir? Je dois absolument revoir Chiara.» (p.180) Rien ne se passera comme prévu. 

Philippe rentre au Québec l’esprit en miette et en peine d’amour. Meurtri, il doit retrouver des repères et gagner sa vie.

 

INTÉRÊT

 

J’ai aimé les réflexions sur certains romans et les toiles de Jérôme Bosch en particulier. Le jardin des délices hante Dominique qui souhaite s’en inspirer pour un spectacle. Ce sont les moments forts de ce récit et la véritable aventure, peut-être, le contact avec l’ailleurs. Une œuvre peut ébranler et bouleverser. Dans mon cas, ce fut la découverte de L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse qui a changé ma façon de voir. Les livres ont toujours eu ce rôle dans ma vie et m’ont permis d’effectuer bien des virages.

Parce que voyager, c’est apprendre à lire des lieux et trouver un autre sens à ce que l’on vit. C’est se donner des yeux et un regard sur le monde. «Plusieurs tableaux de Bosch contiennent des mandragores, une plante psychotrope, le LSD de l’époque médiévale. Ça peut expliquer les hallucinations. À moins que ce soit l’effet du datura stramoine que le peintre consommait selon l’avis de certains experts.» (p.78) 

J’en suis sorti étourdi et un peu déçu, il faut le dire. L’impression que la route venait de s’effondrer devant Philippe et mettait fin abruptement au rêve. 

Le quotidien de notre héros deviendra terne à son retour au pays. Le hasard encore une fois le plongera dans le monde du cinéma. Il y fera sa place, même si on a l’impression qu’il marche «à côté de lui». Et l’amour sans les soupirs et les élans qu’il a connus avec la belle Italienne, celle qui savait si bien mettre le feu à son corps et à son âme, viendra le happer. 

Très intéressant, cette plongée dans l’esprit des années 1970 avec la musique et certains livres populaires alors, les groupes et ces rencontres toujours étonnantes et marquantes. Ce milieu d’idéalistes qui m’attirait tant. Tous refusaient la société de consommation et cherchaient une autre réalité. Des proches ont pris la route comme Philippe en se fiant au hasard et plusieurs sont revenus très rapidement. L’un en particulier s’est installé en Europe, tentant de devenir écrivain, chanteur et interprète.

Au lieu de suivre les pistes du Maroc avec mon ami, j’ai préféré rentrer dans mes terres pour m’inventer une existence différente. Le hasard m’a ouvert les portes du journalisme où j’ai connu des moments fabuleux.

J’ai adoré les évocations, les lectures, les réflexions sur l’art, la sexualité, l’amour et le désir. Ces personnages m’ont replongé dans des périodes exaltantes de ma vie, des fantasmes et les longues soirées où la société n’avait qu’à bien se tenir. Bachand fait le point entre son passé et le présent, avec ses épiphanies et des années plus paisibles. C’est toujours comme ça. Arrive le jour où nous devons choisir entre le rêve et la réalité. Et c’est souvent le banal qui l’emporte, même si on souhaite l’aventure qui va nous étourdir et faire de nous un héros. 

 

BACHAND DENISL’appel de la route, Éditions L’INTERLIGNE, 216 pages, 26,95 $.

 

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