vendredi 12 avril 2019

LE BEAU GRAND VOYAGE D’ETTA

J’ARRIVE À LA FIN du roman d’Emma Hooper et traîne sur les pages d’Otto et Etta. J’aurais aimé que cette histoire ne s’arrête jamais, j’aurais voulu accompagner la vieille femme près de la mer, au bout de sa traversée du continent et me bercer dans les vagues avec elle. Il y a des livres comme ça qui vous hantent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. La route du lilas d’Éric Dupont par exemple avec ses histoires épormyables. À la toute fin, je ne savais plus où j’en étais, ayant perdu l’odeur de ces fleurs pour me noyer dans des digressions qui sont autant de romans dans le roman. Une sorte de cube Rubrik qui vous laisse avec le sentiment d’avoir tout raté d’une aventure qui aurait pu être grandiose. Je me sentais, après avoir refermé La route du lilas, comme le Petit Poucet qui ne reconnaît plus les cailloux qui devaient le guider.

Dans Les chants du large, Emma Hooper permettait à ses personnages de voyager entre l’Ouest canadien et la Nouvelle-Écosse. Les parents devaient abandonner leurs enfants pour s’exiler pendant des semaines pour gagner des sous. Un va-et-vient constant qui porte l’intrigue et devient les pulsations de cette aventure fascinante.
Cette écrivaine semble séduite par l’espace canadien et les deux romans que j’ai lus d’elle sont de véritables tentatives d’appropriation de cet immense territoire. Le déplacement est une manière d’effleurer le bout de soi et de ce qui marque son existence.
Etta décide d’aller voir la mer qu’elle n’a pu qu’imaginer. La vieille femme a vécu dans un pays où la poussière s’infiltre partout et peut même vous faire perdre la voix. Ce lieu où l’eau et la terre se rencontrent lui a volé sa sœur qui est partie chez les religieuses pour dissimuler son état de fille enceinte. Les personnages d’Emma Hooper sont souvent secoués par d’étranges obsessions ou lubies. Ils agissent de façon toujours étonnante et inattendue. Je pense à la jeune Cora, dans Les chants du large, qui squatte les maisons abandonnées des voisins pour recréer les pays lointains, ces contrées qu’elle a étudiées dans les livres et dont elle rêve. Une manière de plonger dans les pages des encyclopédies pour vivre autrement une réalité désolante et échapper à un quotidien qui ne cesse de se détériorer.

MARCHE

Etta, avec ses 83 ans, n’est plus une jeunesse, mais elle a du ressort et surtout une volonté à toute épreuve. Certainement qu’elle a atteint une étape de sa vie où l’on peut se permettre toutes les folies. Elle plonge dans l’envers de l’aventure des découvreurs, de ceux et celles qui sont partis dans les grandes plaines pour s’installer dans un coin de paradis disait-on, inventer le monde et peut-être secouer la paix et l’amour. « Elle veut voir la mer » comme chante Michel Rivard, ce pays du bord de l’eau, remonter l’histoire en marchant vers l’Atlantique. C’est la seule direction qu’elle pouvait prendre, Otto le sait.

Si elle choisissait l’est, Etta aurait trois mille deux cent trente-deux kilomètres à parcourir. Si c’était l’ouest, vers Vancouver, mille deux cent un kilomètres. Mais elle irait à l’est, Otto le savait. Il sentait la peau sur sa poitrine se tendre de ce côté. Il remarqua que son fusil avait disparu du placard de l’entrée. Il restait une heure environ avant le lever du soleil. (p.8)

Elle se tient loin des routes et des villages, encore plus des grandes villes. Elle ne quitte pas le monde sauvage qu’elle connaît et qu’elle a côtoyé toute sa vie dans ces terres arides où il faut mettre des gouttes dans les yeux des vaches jour après jour pour qu’elles ne deviennent pas aveugles. Ce pays de poussière qui colle à la peau, s’infiltre partout. Marcher dans les champs et la forêt pour éviter de se retrouver devant un autre et des questions qui exigent des réponses quand il n’y en a peut-être pas.

Elle marchait à l’écart des routes, à travers les champs précoces. Elle savait que les fermiers n’aimeraient pas ça, mais sur la route les camions voudraient s’arrêter, la saluer, lui demander où elle allait et ce qu’elle faisait, alors elle marchait à travers les champs en essayant de ne pas trop écraser les pousses. (p.25)

Nous suivons cette femme courageuse et fort sympathique qui chante à tue-tête, dévoile peu à peu des épisodes de sa vie, parce qu’elle a le temps pendant ces journées de marche de ressasser des moments importants et surtout tout ce qu’elle n’a pas vécu avec son voisin Russell, un garçon qui a fait partie de la famille d’Otto, tout en demeurant un étranger. Une histoire familière, mais racontée de façon si singulière. Un triangle amoureux qui m’a tenu en haleine. Je me suis surpris à imiter la démarche un peu difficile d’Etta, l’accompagnant dans les collines, près d’un ruisseau où elle se rafraîchit, lui souhaitant tout le bien possible et imaginable quand elle s’installe sous un arbre pour dormir.

VIE RUDE

Elle a eu une vie particulièrement exigeante, faite de travaux toujours répétés et de tâches qui permettent de traverser le jour, des semaines, des mois et des années. Des gens sympathiques, ça semble une caractéristique d’Emma Hooper. Jamais méchant, formidablement patient, capables de dureté, mais jamais insensible ou revanchard. Tous habités d’un formidable don de résilience et de retenue, d’une empathie et d’une bonté plutôt étonnante.
Etta est arrivée dans ce pays pour y enseigner. Elle a connu la famille Vogel, Otto qui avait à peu près son âge et venait à l’école un jour sur deux. Tout comme Russell. Les deux sont attirés par la jeune femme, on s’en doute, mais ils possèdent peu de mots et surtout, ils ont tant à faire. Et il y a la guerre où tous les garçons rêvent d’aller. Partir pour revenir différent certainement.

ÉCRITURE

Étrangement ou je devrais dire heureusement, tout repose sur le papier et l’écriture dans cette histoire même si nous n’avons pas affaire à des gens qui ont hanté les couloirs des écoles. Etta apprend l’alphabet à Otto et sa correspondance, pendant qu’il est à la guerre, devient des leçons. Elle corrige les fautes de son ami et lui retourne ses missives tout en lui racontant sa vie. Une bien belle façon de se rapprocher, de se découvrir l’un l’autre. De véritables bijoux avec la censure que l’armée exerce dans les propos d’Otto pour ne pas livrer d’informations qui auraient pu nuire aux militaires et les mettre en danger.
Et comme dans les contes, Etta rencontre un coyote après quelques jours de marche qui va l’accompagner tout en discutant avec elle et la prévenant de certains dangers. C’est peut-être le même qui a causé l’accident de tracteur qui a fait que Russell est boiteux maintenant.

Et bien, fit Etta, je ne sais pas si tu me veux comme animal de compagnie ou si tu attends de me dévorer pendant mon sommeil, mais puisque tu es encore là, je peux aussi bien te donner un nom. Le coyote suivait deux pas derrière elle. Elle l’entendait sans le voir. On t’appellera James. Ils poursuivirent leur route. (p.68)

La marcheuse fait les manchettes  parce que les médias et les journalistes s’emparent de son histoire et la livrent à tout le monde, elle qui ne voulait déranger personne et passer inaperçue. C’est comme ça de nos jours. Comment réaliser certaines choses sans avoir la présence des caméras et des photographes ? Le privé devient de plus en plus public.
Elle fait la Une et une foule de curieux la suivent et l’attendent. Otto achète des centaines d’exemplaires de ces journaux et commence à bricoler des animaux avec du papier et de la colle. Comme s’il se servait de l’aventure de sa femme pour inventer une animalerie qui attire les familles des alentours et fait de lui une vedette que les gens veulent rencontrer et aider. Otto se hisse ainsi au rang d’Etta pour être digne d’elle et de son retour.

Et Otto ne dormait pas et créait, créait. Une chouette, un moineau, un narval, un gaufre brun, deux ratons laveurs, un renard, une oie, un écureuil, un serpent à sonnette, un bison qui lui des nuits et des nuits, un lynx, une poule, un coyote, un loup, une ribambelle de toutes petites et délicates sauterelles. (p.244)

J’ai retrouvé dans ce roman la fraîcheur et le merveilleux des contes qui vous happent complètement et vous subjuguent.
Impossible non plus de s’éloigner de ce monde qu’Emma Hooper crée dans des dialogues qui semblent échapper à l’histoire pour avoir une vie autonome et vous pousser dans une autre dimension. C’est ravissant. Une sorte de partition qui fait songer à un air de violon ou de piano qui vous fait sourire et être parfaitement bien. Emma Hooper nous entraîne dans une symphonie minimale, une musique à la Philip Glass qui finit par vous subjuguer. Je suis maintenant un lecteur inconditionnel de cette jeune écrivaine et je suis prêt à la suivre dans toutes les inventions de son imaginaire, même à traverser le Canada à pied pour l’écouter me raconter la plus folle des histoires.  


ETTA ET OTTO (et Russel et James), ROMAN de EMMA HOOPER publié aux ÉDITIONS ALTO, 2019, 408 pages, 17,95 $.




mardi 2 avril 2019

LA MORT NOUS COUPE DE TOUT

JOSÉE BILODEAU, dans Au milieu des vivants, aborde un sujet qui nous touche tous, qu’on le veuille ou non. La mort. Pas la sienne qu’on tente de repousser le plus loin possible et de biffer de nos pensées, mais celle d’un compagnon qui était le soleil autour duquel la narratrice gravitait. Un coup de vent, une neige nouvelle, un claquement des doigts et l’homme de tous ses désirs flanche à l’urgence, à l’hôpital où on est censé sauver tout le monde. Le cœur. Véritable coup de couteau entre les omoplates, la femme n’arrive pas à comprendre, foudroyée par la douleur. Comment peut-elle respirer encore, habiter un corps qui ne sait plus rien de la vie ?

Peut-on s’habituer à l’absence de l’être aimé ? J’allais écrire à la réalité de la tragédie qu’est la mort. Il faut certainement parler du vide terrible que creuse cette disparition, de l’hébétude qui se niche dans la tête quand cela vous heurte, de façon subite ou après une longue maladie. Cet autre, cette présence, ce regard qui vous permet d’avancer à peu près correctement dans les rues du jour, n’est plus. La mort d’un frère, d’une sœur, du père ou de la mère, c’est être amputé d’un grand bout de son histoire, de sa propre conscience. Tous ces amis qui vous accompagnent pendant des années et qui brusquement, un matin, sont aspirés hors du temps. Et l’après, ce proche devenu un corps étranger flottant dans l’indifférence.
J’ai affronté souvent la mort. L’impression qu’une fatalité frappait aveuglément à gauche et à droite dans ma famille. Comme si elle m’arrachait un pan de mon âme et que j’étais privé d’une partie de mon vécu, éloigné des chemins que je fréquentais.
La mort, on peut arriver à l’apprivoiser quand la maladie pousse vers ce saut inéluctable, mais il y a la fin que personne ne prévoit. Cet homme si présent il y a quelques heures à peine et qui disparaît dans le claquement d’une porte.

BASCULE

Une seconde, le temps d’un soupir et l’univers bascule. L’amoureux n’est plus, ne reviendra jamais et c’est la dérive sans aucune chance de s’accrocher à quoi que ce soit.

J’apprends sa mort brutale un soir de décembre. La première tempête de l’hiver a transformé le paysage, les voitures ensevelies. Pas un chien ne traîne dans la rue, les bruits de la ville sont étouffés par la neige dans la nuit qui tombe. Tout est si blanc déjà. (p.13)

Tout s’arrête dans la ville et c’est comme si la narratrice était poussée à l’écart. La Terre cesse de tourner et l’air manque. Le jour, lui enlève son homme et ces instants privilégiés, la prive de ses regards, de ses gestes et de ses mots. Pas un cri ne peut changer cette réalité, pas une larme ne peut provoquer le retour en arrière. Le monde s’écroule. Comment respirer encore, demeurer debout dans les abîmes du jour ? Un trou noir l’aspire, lui arrache la peau du cœur et de l’âme.
Que faire avec son corps, cette mécanique souffrante, cette apparence de femme qui va au bout de son souffle ? Celui qui l’animait, la réveillait, la stimulait, la caressait et la faisait se sentir si vivante n’est plus, ne reviendra pas, ne lui montrera plus jamais qu’elle est belle quand il la découvrait avec ses mains.

Le monde, désormais, n’a plus la même texture. Les gens, les repas, les heures sont de papier sablé. Une guerre éclate et je frémis à peine. Je ne sais plus lire ; tout m’est opaque. Les jours passent sans me toucher. L’hiver, le printemps n’arrivent plus à m’émouvoir. (p.17)

Comment s’accrocher à des mots et avancer sur les chemins du quotidien ? Quels bouts de phrases peuvent apaiser la douleur, l’absence, l’amputation de l’être ? Comment écrire ce qui étouffe, broie la poitrine, vous abandonne dans les murmures d’une résidence mortuaire où la famille ne sait plus où se tenir. Que faire devant ce corps fossilisé, cet étranger maquillé et méconnaissable ? Quelle mutation les responsables ont imposée à cet homme si proche et si présent il y a quelques heures à peine ?

SITUATION

Elle était l’étrangère, celle qui menaçait l’équilibre de cette famille, celle qu’il abandonnait souvent, celle du deuxième paragraphe, de l’autre chapitre. Il était le compagnon de cette épouse et le père de ces enfants, elle attendait sa présence, ces éclaircies qui permettaient un bout de chemin ensemble. La maîtresse est privée de tout, même de sa douleur et de ses larmes dans ce lieu funéraire où elle est un fantôme que tous évitent.
Quelques semaines après cette tragédie, n’en pouvant plus, elle s’éloigne de ce décor qui la pousse seconde après seconde vers ce qui ne peut plus être. Elle s’exile pour retrouver son corps, mettre une distance, respirer mieux peut-être.

Il existe au Mexique des fils apparents et des passeurs pour l’autre rive. La mort, là-bas, a quelques visages auxquels on peut s’adresser, la Catrina, la Santa Muerte, la Pelona. Les Mexicains célèbrent leurs morts — avec respect, avec excès, avec joie. Ils leur dressent des autels magnifiques pour partager encore un repas, boire un autre verre avec eux. (p.21)

Une réfugiée de l’amour, une convalescence pour donner du temps à son corps et peut-être apprivoiser ce moment qui l’a foudroyée. Revenir en elle, se tenir la tête hors de la douleur, respirer dans le chaud du monde.

IMPUISSANCE

Nous sommes si gauches avec nos disparus, ne savons plus comment nous en séparer, quoi dire depuis que les rites de la religion catholique sont devenus désuets. Et quand on les sort des boules à mites, ces formules, elles sonnent si creux. Je l’ai vécu récemment lors du décès de mon neveu. Des textes répétés machinalement, des mots qui roulent comme des billes sur un plancher de bois franc. Des phrases qui ne touchent plus personne. Et que faire de celui qui entreprend le voyage sans retour ? Les cendres dispersées à tous les vents pour ne plus jamais y penser, annihiler une présence dérangeante. Ou encore ces salons dans les funérariums, ce mur qui ressemble aux casiers de la poste que jamais personne ne viendra ouvrir. Tout pour éviter les cimetières, le recueillement, la méditation devant une pierre tombale où un nom résiste aux intempéries, entre deux dates qui coincent une existence, compresse une vie longue ou courte.
Les heures font leur chemin. Le corps se faufile dans les méandres du jour. Peu à peu, la narratrice retrouve le petit espace de son être et peut se tenir droite après un séjour dans ce pays du Mexique où la mort est une fête, où l’on invite « les morts à table » pour paraphraser Léo Ferré. Il faut bien revenir à soi un jour, rentrer à la maison, reprendre sa place, parcourir sa rue et retourner au travail.

Je pense à la vie qui m’attend, aux espérances si élevées des gens, aux souvenirs partagés qui forment la texture du temps. Je pense à ses cendres qui virevoltent quelque part loin d’ici, mêlées aux feuilles mortes, aux tourbillons de poussière, éparpillées dans le bruissement des arbres et le chant des oiseaux. Nos secrets n’habitent qu’en moi. D’en être la seule dépositaire les rend moins réels et plus blessants. Je ne sais pas où vont les sentiments des morts, ni leur mémoire, s’ils n’existent que dans l’esprit de ceux qui restent derrière, déformés et grotesques. Je suis fatiguée. (p.113)

Josée Bilodeau nous fait vivre un voyage dans le pays du deuil et de la perte, d’un amour kidnappé en plein jour, dans la beauté d’une première neige. Que dire devant un tel récit, sinon se recueillir et baisser la tête. Les mots peuvent si peu quand la mort frappe autour de vous. Réfugiée du silence, l’écrivaine retrouve le souffle pour continuer son métier de femme. La vie est plus forte que tout, nous le savons et nous devons secouer des souvenirs qui deviennent flous, hésitants avant de n’être plus qu’une photo ou une lettre qui jaunit. Nous semons des artéfacts qui s’éloignent peu à peu de leur signification et il faut certainement cela pour s’avancer à son tour vers le dernier rendez-vous.

Je fais toujours ce rêve. Il vente à écorner les bœufs. Je marche en tenant fermement contre moi son urne funéraire. Arrivée au bord d’une falaise, j’ouvre l’urne et l’offre au vent. Nos secrets s’éparpillent, se transforment en flocons fous dans lesquels les oiseaux se perdent. Ils vont un à un s’écraser sur le roc de la falaise. (p.139)

Une bourrasque, un souffle, des souvenirs qui s’effacent peu à peu et le chemin se replie derrière et devant. C’est la vie, le temps des terribles expériences. Nous ne pourrons jamais gagner sur cet adversaire qui vous guette dans l’ombre. C’est la tragédie du vivant et sa fascinante beauté. Josée Bilodeau est poignante dans ces pages lues tout doucement, avec dévotion pour communier je dirais avec cette douleur, ce courage patient qui la pousse à réinventer ses jours. Elle m’a fait me retourner vers mes morts si nombreux qui viennent me visiter parfois, dans un matin de grands vents, quand les pensées bondissent dans toutes les directions avec les corneilles qui se plaignent de la longueur des heures. Un récit, des confidences, une entreprise de survie, une avalanche devant la perte et l’absence. Toute cette souffrance qui noie le cœur et l’âme. Un texte bouleversant, nécessaire. Oui.


AU MILIEU DES VIVANTS, ROMAN de JOSÉE BILODEAU publié aux ÉDITIONS HAMAC, 2019, 150 pages, 17,95 $.
  

https://www.hamac.qc.ca/

mardi 26 mars 2019

DONALD ALARIE EXPLORE SA VILLE

DONALD ALARIE, depuis son entrée en littérature, reste fidèle à la poésie tout en faisant des incursions du côté du roman, de la nouvelle et du récit. Il partage ainsi sa passion pour les mots entre plusieurs genres et, il faut le préciser, pour l’avoir suivi depuis 1980, ses débuts presque, il excelle en tout. Je ne sais comment, j’ai mis la main sur l’une de ses publications. Un hasard, une attirance pour un titre, les chemins de la lecture sont souvent étranges. Arpenteur du quotidien est son dixième ou onzième recueil de poésie à paraître aux Écrits des forges, maison fondée par le regretté Gatien Lapointe, un homme qui a marqué l’imaginaire avec son Ode au Saint-Laurent, ce long texte qui nous donnait le pays dans toutes ses grandeurs. « J’ai pris souffle dans le limon du fleuve » me résonne encore dans la tête et c’est certainement une découverte qui m’a poussé vers la publication de L’Octobre des Indiens.

Arpenter, dans le sens d’explorer un endroit pour en connaître la topographie, le relief et peut-être aussi pour s’y retrouver dans toutes les dimensions de son esprit. Un homme sillonne la ville, un parc en particulier, les rues chaque jour, devenant une ombre que plus personne ne remarque, un marcheur qu’on ne voit plus. Donald Alarie, pourtant, vibre, entend, surveille les lieux et les gens qu’il rencontre.

Le passant se console avec des miettes de rêves qui nourrissent sa flânerie.

Quelques souvenirs lui allègent le cœur, l’aident habituellement à traverser les saisons moins fraternelles sans trop balbutier.

Un banc public devient pour lui un havre de paix où se reposer.

Le vent dans les arbres ne le déçoit pas. (p.11)


Le point de vue de ce poème témoigne de la démarche de Donald Alarie. Le marcheur devient objet d’attention et sujet d’exploration. Ce n’est pas seulement la ville que nous allons découvrir par les yeux du narrateur, mais surtout ce que l’homme en mouvement ressent, ce qu’il éprouve et ce qu’un événement ou une rencontre provoque en lui. Les arbres, le vent, la pluie viennent le surprendre, permettent la montée des rêves et des souvenirs. Comme si quelqu’un surveillait le marcheur, parvenait à entendre ses pensées et ses réflexions.

EXPLORATEUR

Et le voilà qui part beau temps mauvais temps pour prendre le pouls de la ville et peut-être aussi surprendre les agitations des femmes et des hommes qui tournent dans leurs activités ou qui luttent avec le temps qui file. Il se tient en marge et n’a plus à courir du matin au soir pour « gagner sa vie ». Que je déteste cette expression. J’ai toujours eu du mal à penser que l’on devait gagner sa vie quand il suffit de la vivre tout simplement. Comme si respirer se calculait au montant d’argent que nous recevons pour effectuer un travail.
Et le voilà dans le vaste monde qui prend la dimension d’une ville. Les trottoirs usés par toutes les courses des humains le portent, les bruits connus et parfois exécrables, les édifices, les restaurants et les commerces. Le promeneur mesure le jour. Il est celui qui vient, celui qui va, celui qui voyage dans sa tête et traverse les rues pour mieux se surprendre.

De l’autocar tout neuf, descendent des marcheurs hésitants.

Des regards fatigués, devenus tout à coup presque joyeux, persistent malgré les tremblements.

Demain, il sera trop tard pour la chasse aux images.

Ils retiennent ce qu’ils peuvent. On ne leur en demande pas plus.

Le passé est sur le point de se déliter.

Le futur ne tient plus qu’à un fil. (p.21)

Des gens âgés descendent péniblement d’un autobus et cette scène anodine devient une aquarelle. Le passant baisse la tête pour revenir à soi, tenter de cerner ce qu’est la vie, le temps qui bondit, nous emporte et s’avère impitoyable pour tous. Des voyageurs s’accrochent à des sourires, au groupe pour voir si le corps peut encore suivre dans un moment d’oubli et effacer les marques qui font plier l’échine.
Notre arpenteur circule bien plus dans ses réflexions que dans la ville qu’il ne quitte guère. Ce n’est pas un marcheur qui recherche le bout de soi, carbure aux exploits qui permettent de gravir une montagne ou traverser des parcs sauvages. Il aime ses habitudes, a ses endroits de prédilection pour faire face à ses pensées et ses questionnements pour bousculer les heures qui filent sans jamais réussir à le retenir. Il va et vient, solitaire et silencieux, un peu distant, n’étant souvent qu’une oreille ou un regard, toujours à la recherche d’un instant qu’il laisse rebondir dans sa main comme une balle.

Le passant connaît bien le but ultime, mais il préfère l’oublier.

Il dit : je ne sais rien.

Chaque pas est un gain sur l’immobilité. Ça, il le sait.

Chaque pas est comme un mot sur le bout de la langue qui sort enfin au grand jour.

Une petite promenade peut devenir l’occasion d’une phrase, réussie ou même d’un paragraphe lourd de signification. (p.28)

Le passant jongle avec les mots, un bout d’histoire ou encore une image qu’il polit et peut insérer comme une brique dans l’ouvrage qu’il est en train de mijoter. Ce peut être une nouvelle ou une scène d’un roman. Les écrivains sont souvent des marcheurs qui vont et viennent dans des lieux familiers et dans leur texte. Il faut arpenter des phrases pour battre la cadence, garder le rythme qui permet de s’avancer dans l’espace d’un poème ou rencontrer un personnage. Tout comme le musicien qui accorde son instrument avant de se lancer dans l’interprétation d’une pièce de Debussy.
Je ne fais pas autrement quand je perds la route ou n’arrive plus à secouer le mot juste. Je pars souvent courir, skier ou marcher, pédaler l’été dans le parc de pointe Taillon et je trouve immanquablement la petite fenêtre, la porte par laquelle me faufiler.
Je pense à Gaston Miron qui « ruminait ses poèmes » et les reprenait sans cesse afin de les peaufiner jusqu’à ce que ça sonne parfaitement à l’oreille. Gilbert Langevin ne faisait pas autrement et savait ses poèmes par cœur et pouvait les réciter sans rien oublier. Il possédait une mémoire phénoménale que je lui enviais. Il faut le voir dans Paroles du Québec, émission réalisée par Télé-Québec en 1981. Il parle comme ça, naturellement, comme s’il découvrait les mots en même temps qu’il les dit.

EXPLORER

Donald Alarie aime les lieux connus et souvent fréquentés parce qu’ils lui permettent d’explorer les dimensions d’un projet d’écriture. Il lui faut ce mouvement, ce parcours dans la ville pour se rassurer, se retrouver au milieu des mots qu’il surprend comme des pigeons qui tournent sur les pavés, s'envolent pour revenir.

Deux vieillards, canne à la main, pieds fatigués dès le matin, sont prêts malgré tout à vivre jusqu’au soir.

Le parc s’éveille. Le passant s’en réjouit.

Et si ce n’était qu’un rêve ? (p.40)

Je ne sais pourquoi, je pense à Baudelaire, à son poème Une passante. Ce si beau texte que j’ai tenté d’apprendre par cœur sans y parvenir. J’ai une mémoire pleine de trous.

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Il va et vient dans l’agitation et les activités de la ville, se retrouve souvent devant un miroir où il surprend un individu qui lui ressemble étrangement.

Marcher est sa façon de commencer le monde. (p.51)

C’est ainsi que j’ai accompagné Donald Alarie dans ses promenades où il mesure le jour dans toute sa largeur et sa hauteur. J’ai tout fait pour ne pas le perturber. Je me suis fait discret, comme son ombre pour le suivre parce qu’il a du souffle et de l’endurance, me faufilant derrière des buissons pour l’entendre respirer et le voir pencher la tête, pour assister au jaillissement de l’écriture, aux oscillations de la pensée et de la réflexion.

Des pages de journal bousculées par le vent. Le monde est un visage froissé qui a mal voyagé.

Les catastrophes en d’autres lieux se multiplient.

La Terre n’est qu’un jouet fragile trop souvent confié à des mains sournoises.

Fermer les yeux n’est d’aucun secours. (p.64)

Et je pars sur mes skis, dévale la dune et glisse dans la blancheur du lac qui me fait toujours penser à une immense page que je dois réécrire sans cesse parce que le vent y efface toutes les empreintes nuit après nuit. C’est le travail de l’écrivain, c’est la tâche de Donald Alarie quand il s’éloigne dans les rues de la ville pour la sentir dans sa tête et dans ses jambes. Nous arpentons tous le quotidien, des lieux, des espaces pour respirer, voir en nous et en extraire des bouts de phrases qu’il faut polir avec la patience de l’orfèvre. Belles promenades avec Donald Alarie, un guide formidable. Des sujets que nous n’arrivons jamais à distancer et qui ne nous laisseront jamais en paix, surtout si on jongle avec les mots et des images qui peuvent muter en poème ou en nouvelles. Une réflexion, bien plus, une méditation sur la vie, la mort, le temps qui file devant soi et les souvenirs qui s’accrochent à nos talons. Une délicatesse, une finesse rare. C'est pourquoi j'aime Donald Alarie.


ARPENTEUR DU QUOTIDIEN, POÉSIE de DONALD ALARIE publiée aux ÉCRITS des FORGES, 2018, 78 pages, 15,00 $.

mardi 19 mars 2019

L’EXPLORATION DE L’AUTRE CANADA

                                 Heather O’Neill


Une version de cette
chronique est parue dans
Lettres québécoises,
printemps 2019,
               numéro 173.

Enfant, j’adorais les inventions de mes oncles et des conteurs qui s’arrêtaient parfois à la maison pour nous surprendre dans notre quotidien. Tous avaient quelque chose à raconter et les forêts qui se déployaient dans les montagnes devenaient des espaces où l’aventure était possible. Dès que j’ai su lire, j’ai commencé à rêver de découvertes et de rencontres inoubliables. Mon Histoire du Canada était alors la principale source de mes jongleries avec les exploits des coureurs des bois qui buvaient dans les rivières de l’Amérique, dormaient sur le sol, voyageaient jour après jour pour voir derrière les collines ou encore le bout d’une plaine sans fin. Et il y avait les expéditions punitives des Canadiens (les premiers migrants venus de France à s’installer en terre du Canada) contre les Anglais avec l’aide de leurs amis indiens, des alliés indéfectibles qui effarouchaient tout le monde. Ils semaient la terreur dans les villages de la Nouvelle-Angleterre. De quoi secouer le jeune garçon qui se prenait pour un guerrier quand il enfonçait une plume de dindon dans ses cheveux déjà clairsemés et qui partait dans une mer de trèfle. La découverte alors se cachait dans les écores de la rivière aux Dorés et la petite forêt de trembles au bout des champs de mon père.

Après la Conquête de 1760, l’aventure s’est recroquevillée, comme si quelqu’un avait coupé le cordon qui nous reliait au continent américain, aux grandes plaines de l’Ouest et aux montagnes qui nous isolaient des plages du Pacifique. Il nous restait les Pays d’en haut, au nord de Montréal, pour patauger dans une paroisse semblable à celle où je suis né. Séraphin et Donalda n’avaient rien d’exotique. Alexis Labranche parlait parfois du Colorado, Bill Wabo nous rappelait les autochtones, ceux et celles qui vivaient à Mashteuiatsh, mais que nous ne fréquentions pas et que nous regardions avec curiosité quand ils traversaient le village pour aller bivouaquer dans le parc de Chibougamau. En fait, mon premier contact avec les Cris se fit beaucoup plus tard, lors d’un été où je travaillais en Abitibi. Il y avait un camp tout proche du chantier et les relations étaient tendues, violentes même. Les Blancs se comportaient en envahisseurs et ne respectaient rien. L’horreur. J’ai raconté ces histoires dans La mort d’Alexandre.
Et nos manuels scolaires ne signalaient jamais les aventures de ces francophones exilés aux États-Unis, de ces fous toujours en mouvement qui ont inventé le rêve américain que l’indomptable Serge Bouchard nous a fait connaître dans la plus belle des fiertés. Depuis, je suis un admirateur d’Émilie Fortin et de Nolasque Tremblay, ces découvreurs qui n’avaient peur de rien, ces chercheurs d’or, ces inventeurs de pays qui sont nés dans la même région que moi. Comme quoi l’histoire est au coeur d’un débat étrange au Québec. Il y a des aspects qu’on tait et qu’il ne faut pas raconter. Il semble que maintenant, on ne l’enseigne plus, ou presque pas ce passé.

HORIZON

J’étais en huitième année et lisais à peu près tout ce que je pouvais trouver dans la petite bibliothèque de l’école de monsieur Baillargeon. C’est comme ça que j’ai eu entre les mains Les engagés du Grand-Portage de Léo-Paul Desrosiers. Ce roman a secoué des frontières et m’a ouvert un horizon auquel je ne pensais pas. Un beau livre de la collection « Nénuphar » de Fides, l’édition de 1958. C’était comme si cette histoire me rebranchait avec ce qui m’avait fasciné enfant et que je retrouvais dans les aventures d’Aigle noir à la télévision.
Toutes les vies devenaient possibles au-delà du grand lac Supérieur, dans les plaines sans fin ni commencement de la Saskatchewan et du Manitoba. Une lutte féroce s’y déroulait pour le monopole de la traite des fourrures. Les Pieds noirs, les Sioux, les Gros ventres me faisaient imaginer les plus folles expéditions. Nicolas Montour, le personnage principal de monsieur Desrosiers, est une charogne prête à vendre sa mère pour réussir, un homme sans foi ni loi qui prend tous les moyens pour faire fortune. Il semble que les choses n’ont pas tellement changé quand on s’attarde à l’actualité. Les aventuriers, les manipulateurs sont partout pour engranger les profits, même au détriment de la planète.
Je me souviens surtout des descriptions des cascades, des lacs sauvages, des plaines immenses et des rencontres avec des peuples étranges. Ce livre m’a fait rêver pendant des mois et j’ai tenté de m’avancer dans des histoires similaires, mais mes héros trébuchaient sur les premiers bouillons de la rivière Ashuapmushuan et rentraient après s’être butés aux rapides du Fer à cheval. Cinq pages et je restais là, muet, sans mots, le crayon paralysé, l’imagination en berne. J’ai eu longtemps la certitude que rien ne pouvait arriver entre les maisons de mon coin de pays et les forêts qui étouffaient un peu la paroisse. Comme s’il n’y avait pas de place pour l’écriture à La Doré, au bout du rang Saint-Eugène.

MADAME GABRIELLE

J’ai lu Gabrielle Roy peu après mon arrivée à Montréal. La petite poule d’eau et plus tard Ces enfants de ma vie. Bonheur d’occasion aussi, bien sûr. J’ai l’édition publiée chez Beauchemin en 1966. Ce fut une révélation. Je savais bien qu’il y avait de grands espaces là-bas, par delà les montagnes de l’Abitibi. Des familles, des voisins, des cousins étaient partis pour y fonder un autre pays. Ils revenaient parfois pour des vacances, un mot que mon père ne connaissait pas, et ils nous impressionnaient avec leurs expressions anglaises.
Ce fut Roch Carrier, avec La guerre yes sir en 1968, qui m’a fait me souvenir de la présence de ces Canadiens. La figure de l’anglophone surgissait dans Kamouraska d’Anne Hébert et même chez Philippe-Aubert de Gaspé que j’ai lu alors, mais j’avais tendance à hausser les épaules et à passer rapidement. Je pouvais croiser des juifs hassidiques dans ma rue d’Outremont et me demander d’où ils pouvaient venir, mais c’est une autre histoire. Il y avait tout un espace que je ne connaissais pas, toute une partie de l’Amérique qui demeurait mystérieuse et comme inaccessible, comme si en 1760, les vainqueurs avaient planté une grande affiche tout près de la rivière des Outaouais en y écrivant : terres interdites aux francophones.
Un personnage fantomatique rôdait dans mes livres et restait insaisissable, un passant, une rumeur, une sorte de présence peu réelle. Il était là, dans Menaud maître-draveur, ce rodeur qui hante les forêts et les montagnes qui ont happé Joson. Quand ai-je lu Félix-Antoine Savard pour la première fois ?

AUTRE CANADA

Un jour, je ne sais trop pourquoi, j’ai voulu lire les écrivains de l’autre Canada. Ma fascination pour tout ce qui est imprimé sans doute. Il faut dire que j’avais voyagé aux États-Unis avec Faulkner, Caldwell, Steinbeck, Hemingway, Miller et Kerouac, mais j’avais ignoré l’Ouest canadien, encore plus le Nord. Il était temps d’explorer le pays de Louis Riel et de Gabriel Dumont.
Celle qui titilla ma curiosité d’abord fut Margaret Atwood avec ses souvenirs d’enfance, des étés en Abitibi. C’était mon monde. Elle utilisait mes images pour raconter ses découvertes. Ce fut alors le début d’une nouvelle aventure de lecture. Je suis devenu un fidèle de madame Atwood. Des gens qui ne parlaient pas ma langue se débattaient dans une même réalité et décrivaient leur vie avec mes mots presque.
Et aussi Robertson Davies, puis Timothy Findley et Bill Gaston ce prosateur formidable. Je vous conseille son roman Sointula, cette tentative de changer la collectivité et de vivre autrement au Canada. Une commune où tout est à tous. Ça m’a fait penser à l’installation des premiers défricheurs du Lac-Saint-Jean, à Hébertville. Tout y était communautaire avec le curé Nicolas Tolentin Hébert qui dirigeait tout. On ne parlait pas de socialisme près du lac Kénogami, c’était un mot interdit. Et aussi les aventures de la coopération à La Doré. L’épicerie du « syndicat » comme on disait, un chantier forestier qui est à l’origine de la scierie qui emploie une grande partie du village et qui appartient maintenant à Résolu. Ce groupe de volontaires, ces travailleurs aux idées différentes et le dévouement inlassable de Louis-René Dallaire avaient fait en sorte de s’occuper nous-mêmes de la coupe du bois et de sa transformation.

Après, ce fut une nécessité de rendre visite à ces collègues inconnus. Lawrence Hill, Liza Moore, Margaret Laurence et combien d’autres. J’aime leur liberté, leur souffle et ils me donnent toujours l’impression d’être chez moi dans leur pays de mer ou de grandes plaines venteuses. Que dire des essais percutants de Thomas King ? L’Indien malcommode est à lire absolument. Plusieurs ouvrages de John Saul aussi, dont son oeuvre incontournable Les bâtards de Voltaire et De si bons Américains.

J’ai de la tendresse pour le roman de Richard Wagamese. Cheval indien nous plonge dans la vie d’un jeune Objiwe qui fait son chemin difficilement dans la société des Blancs en s’adonnant au hockey. Il se démarque par ses habiletés, mais a du mal à se défendre contre le racisme et l’exploitation sous toutes ses formes. J’ai n’ai pu que penser à Arthur Quoquochi, un Innu de Mashteuiatsh qui excellait dans tous les sports. Lui non plus n’a pu faire sa place dans ce monde particulièrement dur. Je l’ai affronté comme gardien de but et son lancer était foudroyant.

 

REGARD

 

Somme toute, mes excursions du côté des écrivains de l’autre langue du Canada ont toujours été intéressantes. J’y ai appris beaucoup de choses, notamment avec ces prosatrices formidables que sont Alice Munro et Kathleen Winter qui m’ont emporté dans une magie de bord de mer et le rêve du Grand Nord.

Je viens de succomber aux Chants du large d’Emma Hooper. Une histoire de dépossession et de pertes, d’exploitations aveugles, l’entêtement d’un jeune garçon qui tente de réparer des siècles de négligence. Un roman porté en français de façon admirable chez Alto. Et aussi son tout premier que l’on a traduit. Etta et Otto raconte l’expédition impossible d’une vieille femme qui veut voir l’océan et qui traverse tout le Canada à pied. Un conte fabuleux.

Je ne sais comment sont accueillis ceux du Québec et de la francophonie d’Amérique quand leurs ouvrages sont présentés dans l’autre langue. Cela ne m’est jamais arrivé. Il me semble que ça reste discret et que les tirages sont fort modestes. Certains deviennent de véritables succès pourtant. Aminata de Lawrence Hill a fait ouvrir bien des yeux. Et faut dire que le dernier numéro de Lettres québécoises, où la première mouture de ce texte est publiée, m’a permis de comprendre bien des choses.

Il existe encore un mur entre les écrivains des deux Canada et il n’est guère facile de parvenir à se lire avec toute l’attention nécessaire et la générosité que cela demande. Je m’y exerce souvent. Que je le veuille ou non, c’est un reflet de moi que je trouve dans ces ouvrages, un regard nouveau, revigorant.

Je viens de me laisser séduire par Heather O’Neill, son roman Hôtel Lonely Hearts que j’ai dévoré. Une fabuleuse jongleuse avec des images envoûtantes, des histoires impossibles que l’on aime croire et réinventer. Et j’avoue bouder Mordecaï Richler pour toutes les mauvaises raisons du monde, mais c’est comme ça...  Et comme je le dis souvent quand je termine un conte, c’est ça qui est ça.