mercredi 6 mars 2019

EXISTER DANS L'OEIL DE L’AUTRE

LE TITRE D’UN ROMAN est souvent une piste à suivre ou encore une tentative de mystification. Le lecteur y trouve une invitation, comme s’il regardait une affiche qui indique le chemin à parcourir et le nom de la ville ou du village qui s’annonce. J’ai toujours adoré des titres comme La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy ou Les Yeux bleus de Mistassini de Jacques Poulin. C’est quasi un poème ou une forme de slogan qui résonne longtemps en vous. Je dois avouer qu’avec Fanie Demeule, je me suis demandé où elle voulait m’entraîner et dans quoi elle cherchait à m’attirer. Roux clair naturel est demeuré une abstraction jusqu’à ce que je comprenne, après quelques pages, qu’il était question de cheveux.

Les roux n’ont jamais eu bonne réputation dans l’histoire humaine. On a souvent associé ces personnes à la passion, la violence, la sexualité et aux maléfices du diable. Plus, les traites et les vilains au théâtre et au cinéma sont souvent des roux. Cette couleur pilaire au Moyen Âge était celle du renard pour montrer la ruse et la bestialité de ces femmes et ces hommes que le hasard avait marqués au fer rouge. Même que Séraphin dans la nouvelle mouture des Belles histoires des pays d’en haut est un roux. Homme passionné, étrange, manipulateur, cruel, capable du pire comme du meilleur, il correspond au cliché.
Fanie Demeule, bouscule et nous met le nez devant l’image qui hante notre société. Tout tourne autour de cette fameuse teinte qui obsède le personnage qui veut être rousse envers et contre tous, même si elle est plutôt brune ou ce que l’on nomme blond vénitien, un blond avec des reflets de rousseur. Me voilà qui me pose en expert, moi qui ne me suis jamais intéressé à ce sujet. C’est peut-être aussi une question qui fascine plus les femmes que les hommes. Je ne sais pas. En tous les cas, je n’ai jamais fait attention à ce genre de problème. Dans ma vie, il y a ceux qui ont des cheveux et les autres, comme moi, qui les cherchent avec une loupe.
Être rousse pour la narratrice (c’est écrit au je et la tentation est forte de l’associer à l’auteure) c’est atteindre un idéal et elle fera tout pour tromper son entourage, sauf sa mère qui ne rate jamais une occasion de lui répéter que ce n’est pas sa vraie couleur.

Je nais rousse. Ma tête blonde jette des éclats fauves, hésitant entre le cuivre et l’or, un mirage qui mystifie la parenté. On veut les toucher, les palper, voir s’ils sont chauds, soyeux, réels. On les photographie, les dessine au pastel. Ma mère s’évertue à faire taire ceux qui m’appellent rouquine. Pour elle, je suis strictement blonde. Même si on insiste, même si on lui dit que mes cheveux sont d’un beau blond vénitien. Ma mère n’aime que les choses précises. (p.15)

« Chaque regard qui se pose sur moi me fait exister davantage. » Nous voilà devant la question du paraître, ce à quoi il faut correspondre pour incarner la beauté, la sensualité ou la virilité. Nous vivons et périssons par l’image dans le monde du selfie et des médias qui définissent les normes. Être rousse pour l’héroïne de Fanie Demeule, c’est respirer et exister

DRAME

Bien sûr, c’est un drame contemporain que ce monde obsessif qui vit et périt par l’image, où l’on passe son temps à scruter son téléphone intelligent pour exister sur les réseaux sociaux et devenir quelqu’un peut-être. Je n’ai jamais compris pourquoi des gens, surtout dans les festivals d’été, se photographient tout au long du spectacle et se regardent en tournant le dos aux musiciens et à la scène. L’important est-il de dire : « J’y étais, vous me voyez là ! J’existe devant une vedette. J’étais de l’événement. » On en oublie de participer à la fête et il semblerait que c’est devenu un cauchemar pour les comédiens, surtout au théâtre. Les hommes et les femmes n’arrivent plus à se détacher de leur téléphone qui est greffé à leur main gauche. Ils n’écoutent plus et se surveillent, ne vivent plus, mais existent dans l’image et le monde virtuel.

Lorsque ma grand-mère m’embrasse, je sais que je ne suis pas la seule à qui elle destine ses baisers. Dans le regard affectueux qu’elle pose sur mon visage, je perçois la tendresse dédiée à sa mère écossaise. Sa mère morte puis ressuscitée, sa mère-petite-fille à qui je ressemble, selon elle, trait pour trait, jusque dans la rousseur. Je suis sa revenante chérie. (p.17)

Voilà le drame de ce personnage qui tente par tous les moyens de correspondre à des fantasmes et à ceux de son copain qui ne pense qu’aux rousses. Une véritable fixation.
Rapidement, elle devient prisonnière, se débattant dans un jeu où elle doit tricher pour faire croire à tous qu’elle est une « vraie rousse ». Elle devra utiliser la magie des teintures, se livrer à des séances de plus en plus fréquentes pour avoir toujours le bon reflet dans le miroir et l’oeil de son amant qui ne le voit pas, mais l'imagine comme un symbole et un mythe.

IMAGES

Fifi Brindacier, la petite aux couettes volantes qui a fasciné nombre d’enfants dans les années cinquante fait son apparition. La jeune rousse incarnée par Inger Nilsson a subjugué la narratrice.  Fifi vivait en adulte dans une grande maison en attendant son père qui était toujours parti sur les mers si je me rappelle bien. Je me souviens d’un cheval, je crois. Une fillette entreprenante qui pouvait tout réussir et d’une force physique peu commune. Pas question de la mère cependant, du moins je ne sais plus.
Le personnage de Fanie Demeule devient l’audacieuse sans peur et sans reproche, le symbole de la sexualité et la femme de feu. Il y a aussi ces rousses qui brûlent l’écran sur les sites pornographiques que son homme fréquente. Elle cherche à être mieux que ces icônes, à les surpasser pour incarner tous les fantasmes.
Étrange spirale de tricheries et de mensonges. Nous traversons le miroir avec Alice et découvrons la réalité, les obsessions, les traumatismes, les craintes et les angoisses qu’affronte celle qui veut être une autre et se nie de toutes les façons possibles.

J’entends le soupir que pousse ma mère lorsque je me lève. Une fois assise sur la cuvette, j’inspire, expire, inspire, expire. Je ne reviens à la table que lorsque je sens que la discussion est passée, que le danger est écarté. Je me promets qu’au besoin, je tomberai au sol, simulerai une crise de panique, appellerai une ambulance. Je pourrais aussi faire accidentellement chuter une chandelle allumée sur le tapis. (p.61)

Nous sommes dans le monde de l’anorexie qui se prive de tout pour atteindre un objectif de minceur, correspondre à un idéal que l’on ne cesse d’afficher partout. La dictature de l’image que l’on impose grâce aux médias et au matraquage publicitaire. C’est aussi l’univers de la transformation physique qu’aborde Nelly Arcand. Celui de Karoline Georges dans son roman bouleversant qu’est De synthèse. La chirurgie plastique permet de corriger un visage, de se glisser dans un corps de rêve et vivre en dehors de soi. Ça peut aller jusqu’à changer de sexe en prétendant que la nature s’est trompée.

EXISTENCE

Tout repose sur cette apparence pour la narratrice qui sait que son homme va la délaisser si elle ne titille plus ses fantasmes, si elle n’est pas digne de celles qu’il examine sur son écran d’ordinateur.
Je ne pensais jamais me passionner pour un tel propos. Au-delà de la couleur des cheveux, c’est un drame terrible, celui de chercher à correspondre ou à se mouler à un standard à la mode, le refus de soi pour s’imaginer autre.
Pour la jeune femme, ça veut dire s’éloigner de sa famille parce qu’ils ont des photos et qu’ils peuvent la démasquer. Ce problème somme toute anodin devient une véritable névrose qui plonge le personnage dans des angoisses qui lui font perdre contact avec sa réalité.

Avec le plus grand sérieux, tu entreprends de m’expliquer qu’une rousse, on ne la laisse pas partir. Jamais, et sous aucun prétexte. C’est une chose trop rare, trop précieuse. Si elle fait mine de s’éloigner, il faut la retenir. Je veux que tu me retiennes à tout prix. (p.55)

Une double vie s’impose. Comment faire en sorte que son passé ne la trahisse pas, arriver à poser ses pas dans ceux de sa grand-mère qui s’est inventé des origines écossaises quand elle était Belge ? Il semble qu’il n’y a pas que la couleur des cheveux dans ce roman qui est héréditaire. La spirale se referme et la narratrice tourne en rond, obsédée, se surveillant pour ne pas échapper à son image.

Mes cheveux m’en veulent. Ils poussent de plus en plus vite. Chaque soir, je vois une ombre se former près de mes tempes. Chaque dimanche, je brasse les substances, fait taire la noirceur qui émane de mon crâne. Chaque lundi, mes cheveux brillent d’un éclat renouvelé, impeccable. Tellement naturel, tellement vrai. (p.83)

Madame Demeule nous plonge dans l’angoisse d’une névrosée qui échafaude des manœuvres pour éloigner ses proches et s’enfoncer dans son mensonge qui devient de plus en plus lourd. Elle étudie son reflet dans un miroir, son allure, sa démarche, s’enferme dans une prison d’où elle ne peut s’échapper. Drame terrible et insupportable.

J’ai peur que tu ne les détectes et que les mots de ma mère te reviennent à la mémoire. J’ai peur que tu fasses le lien, tous les liens. J’ai peur que tu saches depuis le début et que ce soi toi qui me fasses marcher. D’un jour à l’autre, tu pourras t’en aller, me laisser tomber et partir avec cette histoire pour la répéter à qui veut l’entendre. Tu pourrais me détruire. (p.102)

VÉRITÉ

Dire la vérité, c’est saborder un univers que l’on a mis des années à inventer. Il ne reste que l’acte ultime, le geste sans retour qui va faire tout basculer. J’en suis demeuré médusé, incrédule et un peu claudicant dans ma tête. Pourquoi sommes-nous dépendants de l’image, obsédés par notre apparence ? Pour ne pas voir les bouleversements climatiques, les gouvernements qui se transforment en comètes inaccessibles ? Pour oublier peut-être les débats, les confrontations sur le port des signes religieux, de vêtements qui deviennent des enjeux politiques et sociétaux ?
Une écriture efficace qui ne vous laisse jamais un moment de répit. À vous faire désespérer de la nature humaine et à vous rendre terriblement méfiant devant vos rêves et vos fantasmes. Je me suis mis à regarder autour de moi et à chercher les petits mensonges que j’invente pour projeter une certaine idée de ma personne, les efforts que j’effectue pour demeurer visible dans l’oeil de mes proches. Je pense que personne n’échappe à ce désir de vouloir corriger sa vie, à dissimuler des épisodes de son passé que nous aimons plus ou moins…
Le roman de Fanie Demeule m’a fait m’attarder devant un miroir, pour me surprendre dans ce que je suis et tel que les autres peuvent me voir. Surtout quand on emprunte régulièrement le chemin de la fiction. C’est peut-être une image que nous poursuivons et que nous cherchons à imposer dans des intrigues plus ou moins personnelles, de gros livres aux titres évocateurs.


ROUX CLAIR NATUREL, roman de FANIE DEMEULE, publié chez HAMAC ÉDITEUR, 2019, 162 pages, 19,95 $.


https://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/roux-clair-naturel-897.html

mercredi 27 février 2019

L’AMOUR AU TEMPS DU QUOTIDIEN

J’AI AMORCÉ MA LECTURE d’Un lien familial de Nadine Bismuth, tout doucement, sur la pointe des pieds, me laissant emporter par une histoire où les couples se défont. Les héritiers sont ballottés entre les parents qui se perdent, se détestent, doivent se voir parce qu’ils partagent la garde de leur progéniture. Des problématiques quotidiennes, des gestes qui remplissent le jour du matin au soir. Soins aux petits, l’école, le gardiennage, les lunchs, les maladies, les mensonges, le travail qui vous aspire, la grisaille que l’on accepte au nom de l’enfant et peut-être aussi par lâcheté. Il reste à se stimuler dans une aventure avec une collègue ou un proche quand on n’a pas le courage de prendre la situation par les cornes et de tout bousculer. Et puis après une centaine de pages, j’ai décroché, un peu par lassitude, n’arrivant pas à m’émouvoir avec Magalie, Mathieu, Sophie, Guillaume et les enfants. Même si Monique, la mère de Magalie, se met de la partie avec un nouvel amoureux après des années de veuvage.

Des semaines plus tard, j’ai recommencé ma lecture, me disant que j’avais peut-être raté un grand moment. Un peu partout dans les médias on parlait de ce roman avec des qualificatifs qui prenaient des proportions inquiétantes. Une histoire toute simple pourtant, banale qui aurait pu être la mienne ou celle d’un proche. On le sait, maintenant, les couples sont faits d’argile et il suffit d’une bourrasque pour que tout vole en morceaux.
Peut-être aussi parce que les joies du quotidien, les cachotteries, les mensonges pour vivre une double existence, les exigences de la nouvelle flamme qui demande toute l’attention me poussaient dans en terrain mille fois exploré en littérature. Et cette Magalie qui fait comme si de rien n’était, qui se tait par lâcheté, qui trouve toutes les raisons du monde de ne rien dire. Bien sûr, il y a sa fille Charlotte, mais elle tient surtout à protéger sa vie bien douillette. C’est gentil, sympathique, que je me répétais, mais il me semble qu’il faut plus quand on décide de s’aventurer dans une fiction. Un roman est-il une copie collée de la réalité ?
Nadine Bismuth ne lève jamais la tête, prend plaisir on dirait à noter minutieusement ce qui arrive à ses personnages, en se collant à eux pour leur souffler dans le cou. Une sorte de roman-réalité comme on le fait à la télévision. En général, ce genre de prose m’ennuie. J’aime un espace où me faufiler, me perdre, rêver, réinventer le monde en suivant une écriture qui s’aventure hors des sentiers battus. Un texte qui vous accroche comme ma chatte qui enfonce ses griffes dans l’écorce d’un arbre.
J’ai recommencé ma lecture, mettant les pieds dans les empreintes de ma première tentative, pas trop convaincu, essayant de trouver un élan et ce plaisir si précieux que je vis souvent avec les romanciers et les poètes.
Les cent premières pages sont grises et monotones comme les sanglots longs d’un certain monsieur Verlaine. C’est peut-être la fausseté que je déteste par-dessus tout, la duperie dans laquelle les personnages de Nadine Bismuth baignent pour protéger leur petit confort et leur carrière. Les enfants ont le dos large dans cette couardise. Elle aurait pu choisir comme titre : Les lâchetés au quotidien.

Je n’en peux plus des cachotteries, des mensonges, des noms de code ésotériques sur nos écrans de cellulaire, quand on se texte ou qu’on s’appelle. C’était excitant au début, mais plus maintenant. Je veux être avec toi tout le temps, Mathieu, devant tout le monde, et c’est ce que tu dois vouloir toi aussi puisque tu dis que tu m’aimes. (p.11)

Cet ultimatum est lancé par Sophie qui présente l’intrigue du roman dans une sorte de préface. La maîtresse de Mathieu, un personnage secondaire qui restera toujours dans les coulisses et à qui l’écrivaine ne s’intéresse guère. Une drôle de manière de nous pousser dans ces histoires. Et puis j’ai commencé à aller de l’un à l’autre, comme dans ces soirées mondaines où l’on trinque sans jamais pouvoir amorcer une conversation, comme si chacun donnait sa version des faits et plaidait sa cause devant un conseiller matrimonial qui est là pour aider à voir clair, à réparer les pots sans qu’il y ait trop de dommages collatéraux. 

ANNABELLE

Et il y a une femme qui fait les manchettes. Une certaine Annabelle Juneau disparaît. Des gens l’ont vue avec un homme et tous imaginent le pire. On connaît le dénouement de ce genre de catastrophe. La télévision est friande de ces tragédies et nous matraque de témoignages et de larmes pendant des jours quand un drame intime devient national. Agression, meurtre, viol, l’actualité nous a habitués à de tels scénarios. Cette femme, grâce aux médias, hante un peu tout le monde.
Pendant ce temps, Monique la mère de Magalie vit un nouvel amour avec André. Mathieu trompe Magalie avec Sophie et Magalie en fait autant avec son partenaire de travail. Dans une rencontre familiale, Guillaume, le fils d’André, policier de son état, séparé de Karine est attiré par la belle Magalie. Il est facile d’imaginer le reste.

La fille de Monique, Magalie, est une grande brune, mince et jolie. Elle porte une robe noire dont elle a roulé les manches jusqu’aux coudes et des ballerines léopard. Ses joues sont parsemées de taches de rousseur et elle a les traits un peu fatigués, mais derrière ses cernes bleutés, son regard gris perle est vif et intelligent. (p.41)

Un chassé-croisé d’aventures, d’attirances, de ruptures, de retrouvailles, de duperies, tout va dans le même sens et tous cherchent une forme de bonheur tranquille qui semble avoir la queue bien glissante pour reprendre la belle formule d’Abla Farhoud.

PIÈGE

J’ai fini par me prendre au jeu de Nadine Bismuth. À suivre les turpitudes de la vie de ces couples qui font jour de partout. Pas de grandes surprises. Guillaume fait tout pour revoir Magalie, faisant même rénover sa cuisine en y laissant des dizaines de milliers de dollars.
Et puis tout s’effrite, comme si tous se donnaient le mot. Monique rompt avec André en apprenant un bout de son passé, Magalie va en faire autant avec Mathieu, vivra un moment  torride avec Guillaume, mais rien ne peut plus arriver. Comme dans un jeu où toutes les quilles finissent par se retrouver par terre. On a beau vouloir s’accrocher, rien ne peut arrêter cette glissade.

Bref, les signes d’un pardon me semblaient s’être manifestés, et c’est pourquoi lorsque Mathieu,  une fois de retour à l’appartement, avait poursuivi le remplissage de sa valise, ma confusion avait été encore plus grande. Après tout, ne prétendait-il pas m’avoir choisie, moi, et non elle, et cela pas plus tard qu’avant hier ? Pourquoi ne voulait-il donc pas me pardonner un comportement semblable au sien ? (p.239)

Et me voilà empêtré dans le tricot de ces couples qui pourraient être mes voisins. Tout se défait, s’écroule, même l’entreprise où travaille Magalie parce qu’ils n’ont pas pris au sérieux le message désespéré d’Annabelle Juneau qui a inventé tout un scénario pour masquer son suicide. Étrange comme manipulation, comme mensonge, mais elle devient une héroïne et un symbole… On peut faire ça maintenant avec les réseaux sociaux.
Et me voilà à souhaiter que tout clique entre Guillaume et Magalie, mais ce serait trop simple. Nadine Bismuth tape sur le clou de l’effritement des couples et pas question d’avoir une embellie, un nouvel amour qui lève la tête. Tous foncent à des vitesses variables dans le mur.
Comment dire ? L’écrivaine ne m’a guère secoué, mais elle est parvenue à me retenir avec tous les petits rebondissements de cette histoire qui se donne une portée sociale avec la détresse d’Annabelle Juneau.

Plusieurs femmes n’ont pas tardé à s’identifier au drame d’Annabelle Juneau ; en quelques heures, celle-ci a cessé d’être l’illuminée du Carrefour Laval qui avait mis en scène sa disparition pour devenir le symbole de toutes ces mères épuisées et écrasées par les idéaux auxquels il est impossible de se conformer. (p.296)

Il faut dire que Nadine Bismuth possède l’art des aquarelles et qu’elle vous emporte avec ces petites doses qui finissent par créer une forme de dépendance. C’est un travail particulier, certainement, une pratique d’écriture difficile que je n’aurais pas l’habileté de mener à terme. J’ai aimé somme toute m’étourdir dans les affres de la vie ordinaire avec Magalie et les autres, dans les turbulences de ces couples qui posent le genou au sol. Et puis, il faut le dire, ce n’est pas le genre de roman qui vous bouleverse et vous remue. On partage les jours des personnages et on passe à autre chose, en espérant connaître de grands moments de lecture, un peu comme Magalie peut-être quand elle part en vacances avec sa mère pour tout mettre derrière elle… Nadine Bismuth est une habile tricoteuse du quotidien et elle finit par vous happer avec tous les petits drames de la vie ordinaire.


UN LIEN FAMILIAL, roman de NADINE BISMUTH, publié chez BORÉAL ÉDITEUR, 2018, 329 pages, 27,95 $.



jeudi 21 février 2019

LE CERCLE DE MARIE-ANDRÉE GILL

MARIE-ANDRÉE GILL signe un troisième ouvrage à La Peuplade. Un beau titre : Chauffer le dehors. Je me rappelle ma mère qui nous sermonnait lorsque nous tardions à repousser la porte par les jours de grands vents. Elle répétait dix fois par jour en janvier : « Fermez la porte ! On chauffe le dehors ! » Elle voulait dire qu’il fallait tout faire pour laisser le froid à l’extérieur, garder son énergie et ne pas gaspiller du bois qui se consume en pure perte. Elle souhaitait ainsi nous protéger des dangers de l’hiver en particulier. Certainement aussi, préserver ce milieu de vie où l’on pouvait respirer, rêver au milieu des fureurs de la neige et des poudreries. Cette affirmation évoque chez moi la chaleur du gros poêle, la lenteur et les rêveries devant une fenêtre qui se recouvrait de givre.

 Marie-Andrée Gill attire les regards avec ses recueils d’une simplicité souvent désarmante. Une langue proche du parler populaire, des mots que l’on utilise tous les jours pour décrire des tâches qui sont toujours à recommencer. Des expressions si familières qu’il devient facile d’imaginer que le temps les a usées et qu’elles arborent des pièces aux coudes et aux genoux comme de vieux vêtements dans lesquels nous sommes tellement à l’aise.

L’amour c’est une forêt vierge
pis une coupe à blanc
dans la même phrase (p.11)

J’aime qu’un poème forme un cercle parfait, qu’il se présente bien lisse comme un œuf ou une pomme. Ce n’est pas tout à fait le rond, mais plutôt un ovale, comme deux bouts d’existence qui se croisent. Le texte se replie sur lui et sonne comme un accord de piano qui s’impose et s’incruste dans votre mémoire. Des vers qui ne s’éparpillent pas dans une abstraction qui masque souvent une indigence d’expression. Gaston Miron avait une formule fort jolie pour résumer ce que je tente d’expliquer. « Il faut qu’il n’y ait qu’un seul poème, dans un poème », lançait-il de sa voix de stentor. Malheureusement, beaucoup de celles et ceux qui s’essaient au genre oublient cette grande leçon.
Quand je pars sur la pointe des pieds dans un nouveau recueil, je passe mon temps à souligner ce qui déborde, les vers qui sont plaqués ou qui se présentent comme une greffe qui alourdit inutilement le propos. Il suffit d’enlever tout ça et l’ensemble s’en porte mieux. L’écriture d’un poème est l’apprentissage de la précision et de la finesse. Il m’arrive souvent d’être poussé hors du texte avec ces excroissances ou des images qui se referment sur elles comme des coquillages. Heureusement, ce n’est pas très fréquent avec Marie-Andrée Gill. J’ai lu Chauffer le dehors avec bonheur, me sentant interpelé au plus profond de mon être.

J’aurais voulu qu’on se braconne encore un peu,
que tu me recouses la fourrure avec tes mitaines,
que tu me twistes le cœur correct tsé comme on
remet un cadre droit ; je t’aurais montré que je sais
sourire avec ça moi la carcasse du mot anxiété. (p.15)

Bien sûr, j’ai hésité devant quelques poèmes. Il y a encore des mots qui dépassent ou des vers qui s’égarent dans  un chemin de travers et qui font perdre la cadence. C’est là que Gaston Miron et à sa formule unique peut nous aider. Comment résister à la tentation de prendre ses aises pour respirer et ne pas se faire mal ? La peur aussi, peut-être, de passer à côté de ce que l’on veut toucher en soi ou chez celui que l’on aime. La plupart des strophes s’élancent magnifiquement dans une belle simplicité qui montre le désir, la perte et l’absence. 
Je continue et m’attarde à la page dix-sept. La fin est particulièrement juste, capable de survivre sur la grande surface blanche. Il y a un poème au début, avec un genre de pont au centre et un autre poème pour terminer.

Quelque chose en moi garde sa lampe allumée -
une déchirure, pas tout à fait une blessure, plutôt
comme quand les nuages s’ouvrent là au milieu,
entre les poumons - une envie qui peut pas
s’empêcher de chercher le trouble, provoquer
la rencontre, essayer n’importe quoi tout à coup que. (p.17)

Ce segment respire parfaitement et je lui aurais volontiers cédé tout l’univers d’une page pour qu’il vibre et résonne dans toutes ses dimensions. J’arrête là ces tatillonnages. Je ne veux surtout pas me transformer en donneur de leçons. Ce n’est surtout pas ce qu’il faut retenir de l’ouvrage de madame Gill. Je n’ai pas fait mieux avec L’Octobre des Indiens dans une époque bien lointaine. Je bondissais sur tous les sentiers par peur de me trouver peut-être. Nous sommes tous des bêtes folles quand nous nous lançons dans l’écriture et comment résister à la fascination de courir derrière tout ce qui bouge en croyant que c’est la seule manière de changer le monde.
Je m’attarde à Marie-Andrée Gill depuis ses débuts en 2012 et elle s’égare de moins en moins, même s’il lui arrive encore de céder à la tentation des « deux poèmes dans le poème ». J’aime la retrouver parce que je trouve chez elle une sensibilité rare, un univers qu’elle habite avec toutes les aspérités de son corps et de son âme. Et après deux ou trois lectures de Chauffer le dehors (il faut toujours revenir sur un texte poétique, souvent plusieurs fois pour s’en imprégner) je me rends compte qu’il y a de moins en moins de bouts qui dépassent.

CHEMINEMENT

Marie-Andrée Gill s’étourdit autour d’un amour qui ne peut s’enraciner et fleurir. L’attirance est forte. Un homme la retourne comme un gant. Ils se croisent, s’éloignent, se touchent du regard, ne peuvent se permettre les chemins de la grande jubilation. Ils sont des comètes qui s’enflamment quand la gravité les pousse l’un vers l’autre. Il suffit de si peu pour couper le souffle et vous figer dans l’instant. Un mouvement et voilà que le dépanneur vibre dans un commencement du monde. Et c’est toutes les promesses de l’aurore dans un sourire. Comment résister à l’attraction des corps, à ces carrefours où tout peut basculer ?

C’est quétaine de même
j’ai eu beau faire trente brassées
je suis pas capable de faire partir
les traces de tes doigts (p.59)

Que j’aime cette simplicité et ce mal qui se dit dans les gestes quotidiens. Ces instants où l’on devient l’aurore boréale et après, le souffle et une larme peut-être dans la dure réalité.

Je laisse le territoire m’éparpiller comme les oiseaux
migrateurs savent pas se perdre. (p.80)

J’aime ce recours à tout ce qui crie, chante, vole, court, bondit dans la forêt et habite les rivières et les lacs.
Marie-Andrée Gill portage sa peine au milieu des arbres et dans l’éclatement des sabots de la vierge au printemps, ces fleurs magnifiques que l’on dit impossibles à transplanter. La femme est ce corps en attente d’un pays, peut-être le Nitassinan qui reste un rêve à concrétiser. Une symbiose avec tout ce qui fait que nous franchissons le jour lentement, cheminant du matin au soir.

C’est dans le sacré d’un lever de soleil
la musique de nos animaux rescapés
et la douleur de ce qui brille

dans tout ce que la lenteur permet
par-dessus mon respir croche

que je laisse le temps
accorder sa guitare
comme du monde  (p.85)

J’ai refermé Chauffer le dehors tout doucement en imaginant une fleur qui se replie quand la chaleur du soleil n’arrive plus à la faire frissonner. Le temps fait son travail, permet de se calmer dans la pâleur du jour et de ressentir un petit pincement au cœur alors qu’on allait esquisser un sourire.

Si vous me cherchez, je suis chez nous
ou quelque part sur Nitassinan,
toutes mes portes et mes fenêtres sont ouvertes

je chauffe le dehors. (p.84)

Des chuchotements, des confidences qui se partagent à voix basse, pour ne pas briser le recueillement. Marie-Andrée Gill m’a touché comme ce papillon qui vole de manière imprévisible au chaud de l’été et s’approche pour voir si vous êtres toujours du côté des vivants. Ses images offrent des moments intenses qui vous figent devant leur simplicité. Une façon de respirer autrement malgré la peine qui se transforme lentement en nostalgie que l’on rejette d’un haussement des épaules, quand la vie a fait ce qu’elle devait faire. Certainement le recueil le plus réussi de cette jeune poétesse.


CHAUFFER LE DEHORS, poésie de MARIE-ANDRÉE GILL, publiée chez LA PEUPLADE, 2019, 104 pages, 19,95 $.



jeudi 14 février 2019

LE MONDE D’ARIANE LESSARD

UN AUTRE ROMAN qui me pousse dans un monde en décrépitude et traversé par la démence. J’allais écrire une communauté de barbares où la force et la bêtise des hommes écrasent toutes les femmes. Une plongée dans un village où des familles se côtoient depuis toujours et protègent des secrets, des haines et des rancunes qui les rongent et les entraînent souvent dans les pires démences. Pour échapper à un tel milieu, il reste la fuite. Et comme partout où la violence règne, ce sont d’abord les femmes qui subissent les obsessions des mâles qui leur piétinent l’âme et le corps. Elles doivent faire face aux ravages de l’alcoolisme, à la rage qui peut aller jusqu'au meurtre.

Pas facile de se retrouver dans cette histoire où toute une population témoigne, agit et obéit à la loi imposée par le plus fort. Tous les personnages viennent à la barre pour livrer leur version. Comme lecteur, j’ai vite su que je devrais reconstituer le puzzle pour apprendre ce que dissimulait cette campagne en apparence tranquille. Comme j’aime les secrets de famille que l’on évite d’aborder dans les fêtes et les rencontres, je me suis lancé dans l’aventure avec une certaine fébrilité.

Un village de fous au bout du trou de l’enfer. Je n’ai jamais compris ce qui m’avait attiré ici. Je cherchais seulement un endroit isolé, un endroit perdu. Oui, c’est ça, je suis venu ici pour me perdre et elles m’ont trouvé. (p.25)

Tout y est. Abel, celui venu d’ailleurs, le survenant qui débarque dans un monde où tout est carencé et pourri. J’ai encore une fois eu l’impression de retrouver l’univers de William Faulkner. Oui, le grand Américain que j’aime tellement. Il me semble que je l’évoque un peu trop souvent dans mes dernières chroniques. La fameuse descendance du colonel Sartoris qui se noie dans l’alcool et se lance sur les routes du comté Yoknapatawpha à une vitesse folle pour trouver la mort à la première courbe un peu trop prononcée. Un monde qui a connu ses heures de gloire, mais qui s’est défait, rongé de l’intérieur par on ne sait quel cancer.

Avant nous, les anciens propriétaires, feu les grands-parents de ma mère, se sont enrichis avec les champs. À leur mort, elle a reçu un gros héritage. C’est de cela que nous vivons, depuis. Je ne les connais pas. Ils sont sur les vieilles photos brûlées dans le salon. Ma mère ne travaille pas. Elle a du mal avec les gens. Ceux qui la regardent pour la juger, les mêmes qui disent qu’elle n’a pas sa place dans les petits cadres brûlés sur les murs du salon. Nous vivons grâce au labeur des morts. Feu leur labeur oui. (p.14)

Les descendants de ces fondateurs misent sur un héritage pourri, vivent du travail de ceux qui étaient là avant et qui ont bâti le pays. Ce sont des survivants, des spectres en quelque sorte. Inactivité, oisiveté, démence et ivrognerie, tout ce qui s'impose dans une vie sans boussole.
Une malédiction étouffe ce village où les familles se haïssent tout en maintenant des relations troubles. On déteste pour ne pas aimer, comme on respire, pour se donner une raison de vivre ou de refuser de voir ses problèmes pour les régler. Rien de nouveau sous le soleil ! Même le grand William, dans Roméo et Juliette, s’approche de deux clans qui se combattent par hérédité.
Les hommes boivent du matin au soir, agressent les femmes, les épousent pour les séquestrer dans leur maison jusqu’à la mort. Les adolescentes doivent se protéger tant bien que mal des mâles qui se pensent irrésistibles quand ils sont ivres. Toutes ces jeunes filles finissent par travailler au restaurant de Jefferson, un endroit où tous les camionneurs s’arrêtent. Elles servent aux tables et ouvrent les cuisses sur le siège arrière des gros véhicules. C’est la règle. Toutes sont des marchandises offertes aux passants. Pas étonnant que plusieurs d’entre elles sont mères d’un enfant né de père inconnu et qu’elles doivent se débrouiller toutes seules.

LECTURE

Et je tourne les pages pour savoir qui est qui, suivre surtout la jeune Virginia qui raconte le monde à sa manière et devient pour ainsi dire l’oeil qui perce tous les secrets. Elle n’est plus une enfant, mais pas encore une jeune femme qui réveille les hommes et c’est ce qui lui permet de circuler partout, de s’installer dans l’ombre pour surveiller tous les agissements. Abel est particulièrement fasciné par elle.
Je me suis un peu égaré avec tous ces personnages avant de comprendre le canevas de ces gens qui se bousculent et s'agressent souvent. La folie et la démence possèdent tout le monde dans ce coin de pays où les visiteurs passent sans s’attarder.
Les filles à vingt-cinq ans sont déjà vieilles et décident souvent d’en finir, n’en pouvant plus d’une solitude qui devient génétique. Feue au féminin prend peut-être ici tout son sens.

Oui, mes enfants sont précieux, mais non, ils sont pas la plus belle chose qui me soit arrivée. S’ils avaient été conçus dans l’amour je dis pas, mais j’ai aimé aucun des hommes qui me les ont donnés. Sûr que je les aime, mes petits.  Mais je peux pas m’empêcher de les regarder parfois, et de me dire qu’ils me rappellent pas grand souvenirs heureux. J’ai jamais voulu les abandonner, mais dès qu’ils sont majeurs, je me tue. (p.80)

Les individus ne comptent pas dans un monde de brutes, de pulsions et de gestes irraisonnés, surtout si vous êtes une femme. Elles profitent de la pleine lumière quand elles s'échappent à peine de l’enfance, mais perdent rapidement leurs attraits et leur pouvoir de séduction. L’impression de découvrir des bêtes en rut où l’inceste est de mise, les agressions, l’alcoolisme des fous s'imposent par la force de leurs poings. Tous sont des corps à la dérive et personne n’arrive à secouer la fatalité et les secrets qui étouffent cette population.

PARALLÈLES

Un peu l’impression de me retrouver dans un roman tout proche de ceux d’Audrey Wilhelmy, celui de Bêtes en particulier où les gens ne sont que pulsions. Les marginaux de madame Wilhelmy vivent dans un lieu retiré où les mâles se partagent les femmes. Et, jusqu’à un certain point de Lise Tremblay, l'univers de La Héronnière où les citoyens étouffent de terribles secrets. Les étrangers sont à peine tolérés dans l’île, surtout pas quand ils menacent de secouer l’ordre établi depuis des décennies. Le monde de L’habitude des bêtes aussi où le chasseur Stan Boileau impose sa loi.

Ses parents avaient beau être riches, c’taient pas des anges. J’imagine qu’y faut des parents dérangés pour faire des filles dérangées. A r’fait juste la même roue. Quand une famille est dans l’vice, ça reste pris là, ça s’encrasse comme un peigne qui ramasse la saleté. (p.103)

Je me suis souvent demandé pourquoi une jeune écrivaine se lançait dans une direction semblable et portait un univers si lourd. Et je me suis revu au début de mes aventures romanesques, m’attardant dans des histoires de violence, de viols et d’obsessions alcooliques. Ce monde que j'explore dans La mort d'Alexandre et particulièrement dans Les Oiseaux de glace. Et quand on ose faire ses premiers pas sur les routes de la fiction, nous avons sans doute besoin d’affronter des démons et les folies qui ont marqué notre entourage d’une manière ou d’une autre.
Abel n’arrive pas à se déprendre de ce milieu qui ne sait que les mêmes mots et les mêmes horreurs. Il le comprend, mais trop tard. Le monde est pourri, impossible à changer. Que pouvait-il ? Il le réalise après sa fuite, dans un restaurant où il trouve refuge pour reprendre ses sens. Les hommes restent partout des prédateurs, la véritable menace.

Elle était à la fois Virginia et sa mère. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai su qu’elle était sa mère. Même si je n’avais aucune image d’elle en mémoire. Plus grande, plus forte, plus féroce. Son corps noirci. Ses yeux comme des tombes. Mais elle ne bougeait pas. En fait, elle était assise le long du tronc, comme appuyée. J’ai voulu la soulever pour ne pas la laisser là, près du feu, mais on s’est rué sur moi. Je suis tombé, le poids d’un homme m’a coupé le souffle. (p.191)

Une histoire particulièrement trouble, je le répète, mais comment ne pas donner raison à Ariane Lessard quand on voit où la société en est avec les médias qui ne cessent de nous abreuver de faits sordides ? La misère, la violence, les viols règnent partout sous les dictatures et même dans nos caricatures de démocratie. Le monde resplendit sur le fumier et la pourriture. Ariane Lessard m’a touché là où c’est le plus douloureux.
Un milieu qui implose et va finir par disparaître faute de combattants. Une fiction qui affronte la bête humaine qui prend tous les visages. Feue pour la femme, celle qui subit tout et qui survit par miracle ou par entêtement, ou qui se suicide parce qu’elle n’en peut plus ; celle qui donne la vie sans jamais pouvoir décider de ses jours et de son destin. C’est à pleurer. Oui, à brailler. Une fiction étouffante et rude qui vous laisse dans vos derniers retranchements. Un monde de démence et d'excès qui corrode l’âme. Comme si respirer devenait une aventure impossible et que l’espoir ne peut prendre racines chez Ariane Lessard. Une écrivaine à surveiller.


FEUE, roman d’ARIANNE LESSARD, publié chez LA MÈCHE ÉDITEUR, 2018, 192 pages, 23,95 $.