vendredi 6 octobre 2017

CAROLINE VU REVIENT SUR SA VIE


CAROLINE VU, dans Palawan, revient sur la période difficile de son enfance. Comme plusieurs de ses concitoyens, elle a fui le Vietnam après le départ des Américains en 1973. Un voyage risqué sur des bateaux en mauvais état. En plus, il y avait toujours la hantise des pirates qui abordaient ces embarcations, violaient les femmes après avoir dépouillé tout le monde. La mort rôde. Kim est poussée sur un bateau par sa mère et navigue vers l’ailleurs. Elle veut se rendre en Californie où vit une tante, se retrouve à Palawan, dans un camp de réfugiés, doit se débrouiller avec la famille de tatie Hung, survivre dans des conditions terribles. La rencontre avec un médecin français va changer sa vie.  

Le père est parti avec les Américains. La petite Kim est certaine de l’avoir vu s’accrocher au dernier hélicoptère à s’envoler. Sa mère travaille sans arrêt à son restaurant pour nourrir tout le monde. Une cuisinière hors pair qui n’a pas de temps pour la tendresse. La vie est rude avec l’arrivée des communistes. Un peu tout le monde rêve de partir en Amérique. Des gens peu scrupuleux entassent les réfugiés sur des rafiots. Ils vivent souvent les pires sévices ou encore disparaissent sans laisser de traces.
Kim se retrouve sur une de ces embarcations qui pourraient couler à la prochaine vague. Sa mère l’a confiée aux soins d’une voisine qui migre avec sa famille. Elle se retrouve dans un camp de réfugiés et doit trouver à manger, des brindilles pour le feu, aller chercher de l’eau. La vie est difficile, mais il y a l’espoir de partir dans le paradis des Américains. Tous rêvent de se rendre là-bas et de faire venir leurs proches pour tout recommencer, toucher enfin au bonheur.
Kim devient traductrice auprès des autorités médicales puisqu’elle parle français. Une solide amitié se noue entre le docteur Jacques et la petite fille qui fait tout pour venir en aide aux siens.

MENSONGE

Et arrive la chance de partir. Kim ment, se fait passer pour une autre et migre aux États-Unis. Elle répète le geste de son père, ce qu’elle a cru voir à la télévision. Il a repoussé une vieille femme, a pris sa place dans l’hélicoptère.
Kim débarque à Derby au Connecticut, dans une famille qui la dorlote et fait tout pour la rendre heureuse. Une mutation, un changement de corps presque.

Une femme joyeuse et volubile se détacha du groupe. Elle gesticulait, toute excitée, en venant à ma rencontre. Elle portait des lunettes fumées orange, des boucles d’oreilles roses, ballantes, et un chapeau rouge. Une écharpe violette s’ajoutait à son manteau bleu vif. Cette femme haute en couleur se présenta elle-même ; Mary Thompson. Elle serait ma mère d’accueil en Amérique. Sa gentillesse apaisa quelque peu mes inquiétudes. Mais sa tenue vestimentaire excentrique me fit un peu peur. Et si c’était une sorcière ? (p.136)

Son adaptation à la vie américaine se fait bien, même si elle sait qu’elle a pris la place d’une autre qui est peut-être morte de faim. Cette question la hante malgré des études, la vie facile et l’attention de sa nouvelle famille. Qui est-elle ? Une Américaine ou une Vietnamienne ? Une tricheuse. Cette question obsède bien des immigrants. Les enfants de ces réfugiés ne se souviennent de rien et ne veulent souvent rien savoir de leur pays d’origine. Ils font tout pour passer inaperçus.
Kim Thuy a bien fait ressentir ce malaise dans son roman Vi où elle retourne au Vietnam, ressentant un étrange malaise dans le pays de ses origines. Elle sait qu’elle est une étrangère et tout le monde lui fait ressentir qu’elle n’est plus des leurs malgré les apparences. Un choc, un refus de ce qu’elle croyait être profondément.

QUÊTE

Kim cherche à savoir ce qui est arrivé à ceux et celles qui attendent encore, gardent espoir, tente de mettre des images sur sa traversée dont elle ne se souvient pas. Une véritable hantise. Après avoir fait médecine à Montréal, elle tente de retrouver cette tante mythique en Californie, se rend compte du subterfuge de sa mère. La tante américaine n’existe pas. Elle retourne à Palawan comme médecin pour démêler des fils.

Oui, je renonçais à Claude pour un projet dans le Sud-Est asiatique. J’échangeais l’amour d’un homme contre la poursuite de ma destinée. Ou peut-être pour suivre les traces d’un autre homme ? Comme une criminelle qui revient sur la scène de son crime, cela me démangeait de retourner sur les lieux qui m’avaient transformée en menteuse. Derrière mon masque de médecin se cachait une jeune immigrante illégale qui aurait pu être déportée. Je devais l’assumer. (p.265)

Et la voilà dans le rôle du docteur Jacques qu’elle n’oublie pas. Elle écoute les histoires des réfugiés qui ne demandent qu’à raconter leurs pérégrinations. Certains disent la vérité, d’autres inventent une histoire pour se rendre intéressants, pour réussir peut-être à partir. Elle retrouve un garçon, son premier amour qui est devenu proxénète. Un choc. Dans la misère, il y a toujours quelqu’un pour exploiter les plus misérables. Elle se rend au Vietnam pour boucler la boucle, retrouve sa mère dans sa ville d’origine. L’infatigable, la travaillante souffre de la maladie d’Alzheimer et ne reconnaît pas sa fille.

Dans la chambre qu’elle partageait avec cinq autres patients, ma mère me regarda, déroutée. Ses cheveux en broussaille, sa bouche qui bavait et l’odeur de sa couche qui n’avait pas été changée me prirent complètement au dépourvu. Ce n’était pas de la dépression. C’était de la démence précoce. (p.327)

Une rencontre pénible. Kim ne retrouve pas la mère volontaire, celle qui décidait de tout dans cette vieille femme qui la regarde étrangement. C’est le choc. Et peut-être aussi que pour survivre, pour oublier son malheur, il vaut mieux oublier.
Kim se rend compte de la futilité de sa démarche. Les histoires qu’elle écoute ne changeront jamais son passé. Elle a beau compatir avec cette petite fille forcée de se prostituer, rien ne peut la rassurer, rien ne peut changer dans sa vie, dans ce qu’elle a fait et est devenue. Le passé est tout autant une fiction que la réalité et l’avenir.  Elle apprend que son père n'a jamais quitté le Vietnam. Son imagination a tout fait. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas se souvenir, tout effacer comme sa mère afin de mieux respirer. Il y a des vies si lourdes, si terribles, qu’il vaut mieux fermer les yeux et s’éloigner tout doucement.

SOUVENIR

Kim finira par se rappeler du voyage qui l’a fait passer du Vietnam à Palawan. Elle a connu l’horreur. Le capitaine a violé tatie Hung à répétition devant tout le monde pendant cette traversée. Des gestes d’une barbarie incroyable. Devant tous les réfugiés pour les humilier. Son mari faisait semblant de dormir pendant ces agressions sauvages. Des souvenirs douloureux. Comment tatie Hung a-t-elle pu survivre à cette horreur ?

Pendant toutes ces années, j’ai ressassé ma perte de mémoire. Je me rends compte aujourd’hui que cela n’a plus d’importance. Me rappeler mon trajet en bateau n’aurait rien ajouté à ma vie. Vous, vous avez oublié une vie entière ; que sont mes deux semaines d’oubli en comparaison de vos cinquante années d’amnésie ? (p.337)

Cette question d’identité m’a touché particulièrement. Qui on est quand on vit au Canada tout en croyant appartenir au peuple du Québec ? Bien sûr, nous n’avons pas connu l’horreur de ces Vietnamiens qui ont fui en risquant leur vie et en subissant toutes les humiliations. Kim comprend que l’on survit en acceptant sa vie, en la racontant pour le meilleur et le pire. L’écriture sert à ça peut-être, se donner une mémoire, une autre mémoire. Ce qui est important, ce n’est pas tant la vérité que ce fil qui permet d’avancer et de trouver sa place.

« Vivez l’instant présent. Ne regardez ni en arrière ni en avant. Ne regrettez pas le passé et ne craignez pas l’avenir. Ce sont les paroles du Bouddha. » (p.355)

La quête de Caroline Vu m’a beaucoup touché même si on hésite tellement à parler d’identité au Québec. Le passé est ce qui constitue un individu et tous nous devons avoir une histoire pour respirer dans le moment présent. Nous devenons celui que nous voulons être, celui que nous cherchons en se faisant médecin ou encore écrivain. C’est peut-être la meilleure façon de se réinventer que de s'attarder à une phrase, raconter son histoire pour se dissimuler et changer de peau.
Un roman qui en dit beaucoup sur ces gens qui doivent fuir pour ne pas mourir, qui s’installent dans un pays tellement différent de celui qu’ils ont quitté. Ils restent souvent coincés entre deux mondes, ne sachant trop qui ils sont. Ils changent leur histoire, oublient leur passé ou tentent de le secouer pour avancer sans trop claudiquer. La vie exige ça. La vie d’un humain demande une histoire, un récit. Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va. Et c’est peut-être la plus étrange des fictions qu’une vie, particulièrement pour ceux et celles qui partent par une nuit particulièrement sombre, sur une embarcation où les pires atrocités peuvent arriver. Caroline Vu n’oublie pas, écrit pour respirer, être, se tenir bien droite. Elle y réussit parfaitement.


PALAWAN de CAROLINE VU est paru aux ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE.

                                                                                                                                          

http://www.pleinelune.qc.ca/titre/459/palawan

mercredi 20 septembre 2017

CATHERINE ÈVE GROLEAU DÉRANGE

CATHERINE ÈVE GROLEAU m’a d’abord dérouté avec Johnny. Dans le premier chapitre, je me suis demandé dans quel piège je m’aventurais. J’avançais lentement, méfiant, prêt à refermer le livre. Et puis une sorte de renversement, d’embellie, je ne sais trop, s’est produit. Comme si tous les nuages qui alourdissaient le texte s’évaporaient. Valentine abandonne ses enfants et son mari. Elle fonce sur l’autoroute vers Québec, pour surprendre le fleuve, retrouver ses repères, respirer dans tout son corps. Elle trouve refuge chez sa tante, un certain temps. Le calme, la paix dans une grande maison silencieuse. Valentine a tout perdu dans l’aventure du mariage avec Johnny, surtout ses illusions, son rêve d’échapper à l’univers étouffant de sa mère.

Ça commence mal. Je l’ai dit. Une écriture pleine de détails inutiles, de répétitions, d’images maladroites.  « …des toiles d’araignée liquides sur les portes… », « …à force de kilomètres et de gaz en direction est… », « … les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques…» L’impression de claudiquer quand j’aurais voulu foncer aux côtés de Valentine jusqu’au bout de l’horizon.
Dommage ! Ce roman aurait pu être un grand roman si seulement l’écrivaine avait su maîtriser ses élans, décrire simplement la vie de Valentine et Johnny sans chercher à faire littéraire. Ce tic m’a agacé tout au long de ma lecture. Pourquoi maquiller son écriture quand l’action est forte et que les personnages vous aspirent dans leur sillon ?
Johnny est né à Odanak, la réserve des Abénakis. Une enfance rude. Un solitaire qui s’initie à la chasse, hésite entre l’héritage du grand-père et la misère des siens. Il part, ne peut que partir, changer de corps, s’installer à Montréal, devenir un Italien. Valentine est rebelle et veut échapper à la grisaille du quotidien. Tous les hommes veulent s’en approcher, la toucher, la posséder. Elle plaît. En rencontrant Johnny, elle croit échapper à l’attraction terrestre.

Juste à la voir marcher sur l’estrade, Johnny avait su en un coup de poing qu’elle était comme lui. Ils allèrent au drive-in avec sa Maserati noir décapotable, le soleil se prenait sur le capot. Les cheveux blonds de Valentine brillaient, il la regardait trop, il n’était pas gêné de la fixer. Les gars de Ville-Émard la scrutaient du coin de l’œil, rougissaient et détournaient les yeux quand elle les regardait ; là Valentine était celle qui évitait les regards et le fixait quand il ne la voyait pas. (p.27)

Johnny fait des livraisons, transporte des substances illicites pour la petite pègre, aime les vêtements dispendieux, les bijoux et les cigares, les grosses voitures. Il est la coqueluche de toutes les filles qui se prostituent dans les bars qu’il fréquente.

JUMEAUX

Amour, promenades, restaurants chics, beaux vêtements. Le piège se referme sur Valentine. Johnny en fait la mère de ses enfants. La voici dans une vaste maison luxueuse, esclave de ses enfants et de son homme. Tout pourrait aller avec l’amour, mais il y a les mensonges de Johnny, ses tricheries et ses infidélités.
Elle part jusqu’au bout de la route, jusqu’à l’épuisement pour retrouver qui elle est. La rêveuse, la volontaire prête à tout pour vivre une vie différente, traverse le Québec, jusqu’au Bas du Fleuve où tout peut recommencer.

Elle remonta dans l’auto, soulagée de fuir son image, d’avancer. Drummondville passa, encore une heure et demie jusqu’à Québec, ensuite deux heures pour atteindre L’Isle-Verte. Les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques, elle en avait  pour trop longtemps. Malgré le café chaud, elle n’y arriverait pas. Elle verrait bientôt le fleuve, le vrai, pas celui de Montréal. Le fleuve plein de sel, d’odeurs d’algues, celui qu’elle avait vu sur des cartes postales dans le bureau de poste de Ville-Émard, le Bas du fleuve à l’eau pure, aseptisée par le sel. (p.10)

Bien sûr, la fuite ne permet pas d’échapper à son enfance, à ce que l’on est. Louise Desjardins l’illustre très bien dans son roman L’idole. Évelyne a voulu couper tous les ponts en s’installant à Buenos Aires, mais des moments d’enfance la bousculent, la ramènent là-bas, en Abitibi.
Johnny a beau jouer les Italiens, il reste indien. Valentine a beau retourner aux études, elle demeure celle que toutes les femmes détestent. Elle est la menace qui aimante tous les hommes. Comment fuir son destin, échapper à soi et à son image ? Comment s’empêcher de plaire ?
Johnny boit pour ne pas penser, incapable de donner un coup de barre et de reprendre sa vie en mains. Il recommence ses livraisons pour rencontrer ses enfants. Malgré ses efforts, il reste un errant dans sa tête et son corps, incapable de quoi que ce soit.

RECOMMENCEMENT

Les personnages sont prisonniers de l’univers qui les a vus naître dans le roman de Catherine Ève Groleau. Valentine, malgré ses études, ne peut empêcher les hommes de tourner autour d’elle. Elle est condamnée à être une femme fatale. De mère aussi. Elle cherche à s’effacer en cultivant des légumes au bout d’un rang pour n’être personne.
Ses enfants sont marqués par cette fatalité qu’ils ont en héritage. Eux non plus ne pourront s’imposer comme humains libres de tous les choix et de toutes les réussites. Angie a reçu la beauté et ce besoin irrépressible de séduire. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Nelly Arcand qui a fait de sa beauté une obsession. Franco tente d’échapper au carcan familial en s’intéressant à l’astronomie. Le fils aime la discipline militaire pour obéir, pour ne plus être soi. Il cherche à sortir de lui comme son père et sa mère l’ont fait avant lui.
Johnny, au volant de son camion, ne sait faire que ce qu’il a fait la veille et qu’il répétera le lendemain. Le choc survient quand il surprend sa fille dans le salon avec un voisin. Elle est aimantée par les hommes, ne peut que donner son corps pour attirer l’attention. Un manque d’amour terrible. Un vide impossible à combler.

Elle attendait de se faire prendre derrière les conteneurs. Johnny, avant de brûler dans le ciel de la Mauricie, lui avait dit que c’était une ostie de traînée. Elle était venue le voir l’été avant qu’il s’explose la cervelle, Valentine l’avait laissée partir tout le mois d’août, ne sachant plus quoi faire avec elle. Johnny l’avait prise à se faire rentrer dedans en plein milieu du salon ; le voisin avec son pantalon avachi sur ses chevilles, penché sur elle en grognant comme un porc suant. Il avait tiré le gars par les cheveux, avait traité Angie de crisse de plotte ; le lendemain, il ne lui avait rien dit sur la route en la ramenant à Valentine. (p.198)

Quel roman dérangeant. Les personnages sont enfermés dans leur vie et ne peuvent changer. C’est peut-être le destin des Indiens qui n’ont plus d’avenir et qui ne peuvent s’accrocher à leur passé obsolète. Tous des errants qui troquent leur identité, marqués par leur enfance et un destin qui les casse. Valentine ne fera jamais oublier sa beauté même en faisant tous les efforts. Une fatalité terrible les broie peu à peu.
Cette forme de malédiction est particulièrement dérangeante. La quête d’identité est troublante, difficile et impossible. J’ai eu souvent envie de hurler. Signe que madame Groleau présente ici un univers singulier et percutant. Un très bon roman malgré certains travers d’écriture.


JOHNNY de CATHERINE ÈVE GROLEAU est paru aux ÉDITIONS du BORÉAL.


                                                                                                                                         

mardi 12 septembre 2017

ALEXANDRE Mc CABE REDONNE ESPOIR

ALEXANDRE Mc CABE publie un second roman avec Une vie neuve. On constate rapidement que ce romancier a de la suite dans les idées. Il y est encore question de la famille, c’était le sujet de Chez la reine paru en 2014. On retrouve avec bonheur sa passion pour l’actualité politique et littéraire. Ce que beaucoup d’écrivains préfèrent ignorer. Je garde en mémoire une scène de son roman Chez la reine où l’on assistait à une confrontation épique entre le grand-père indépendantiste et un oncle fédéraliste lors d’une fête familiale. Elle illustre parfaitement le déchirement que les Québécois vivent sans être capables de se brancher. Une magnifique façon d’aborder les grandes questions identitaires sans devenir pédant. Le politique finit toujours par se faufiler dans le privé.

Les trois frères Leduc et leur sœur sont bien installés dans la vie. Tous ont fait leur chemin et chacun a sa conception de la société et de ce que doit être l’avenir du Québec. Ils n’ont plus de liens entre eux et ils sont devenus des étrangers. Philippe est avocat et décide de l’avenir du haut de sa tour, travaille pour une élite qui s’approprie toutes les richesses et tire toutes les ficelles. Il doit céder cependant devant sa belle-fille qui veut la tête d’un jeune contestataire. L’impression de revivre le drame de Judith devant Holopherne. L’ombre de Gabriel Nadeau-Dubois se profile. Inutile de chercher à faire des associations avec des personnages connus. Il faut seulement se laisser porter par le récit. 
Philippe est de ceux qui font en sorte que notre démocratie sert les intérêts d’une clique. Cette première partie fait écho à la contestation étudiante du printemps érable de 2012, aux carrés rouges qui ont fait retenir le son des casseroles partout dans Montréal.

Forts de leur expérience dans les firmes de relations publiques et grâce à une plateforme léchée ainsi qu’à une diffusion facilitée par les contacts dans les salles de presse, ils avaient trouvé écho chez des journalistes complaisants qui prophétisaient l’essor d’une nouvelle garde. On leur avait offert une tribune pour des textes présentés comme polémiques. Ceux que Philippe avait lus lui avaient toutefois paru insipides et l’avaient rendu nostalgique de cette époque où il lisait Cité libre. S’il se réjouissait de voir la prochaine génération, qu’on disait apathique, s’investir dans le débat public, il s’inquiétait de la vacuité de ces jeunes loups plus occupés à briller qu’à penser. (p.19)

Peut-être que Mc Cabe a ressenti un certain malaise devant ce personnage qui me semble loin de ses préoccupations. Les dialogues un peu longs grincent un peu, mais comment incarner des ombres qui mangent à tous les râteliers.

L’ERRANT

Et arrive Benoît. Après une peine d’amour, il choisit de se refaire une santé morale et physique en se lançant sur les chemins de Compostelle. Bien des jeunes retraités entreprennent de parcourir l’Europe à pied pour se retrouver dans leur corps et leur tête. Même Sergio Kokis a succombé aux charmes des randonnées au long court.
Benoît travaille dans les médias et rêve d’accéder aux ligues majeures de la radio et de la télévision à Montréal. Et le voilà qui s’essouffle derrière la belle Clara qu’il suit comme son ombre. Nous plongeons dans un carnet de voyage où les dialogues sont écrits à la manière théâtrale. Des rencontres, des discussions et surtout cette fille comme un soleil. Benoît complète son trajet et tourne les yeux vers une autre femme. C’est ainsi. Notre homme est un amoureux de l’amour comme il dit. Le rythme est soutenu et on s’attache à cet individu qui a du mal à vivre. Il illustre bien une certaine jeunesse qui n’arrive pas à s’installer dans la vie.

VRAI DÉPART

Mc Cabe m’a accroché avec le témoignage de Jean, un sociologue qui a vécu la Révolution tranquille. Il a croisé des êtres d’exceptions et a toujours cru que l’émancipation personnelle ne peut que coïncider avec l’indépendance du Québec. Il livre ses derniers propos, sachant que sa vie en est au dernier tournant. Un penseur qui tente de prévoir comment le Québec va réagir quand il deviendra un pays. Un regard assez percutant sur les hommes politiques qu’ont été René Lévesque, Pierre Bourgault, Jacques Parizeault, Jean Lesage, Georges-Émile Lapalme et le général de Gaulle. Des propos d’une intelligence vive. J’ai ressenti un immense soulagement à lire ces pages, à le voir secouer des lieux communs, bousculer l’histoire contemporaine et notre époque. Sans doute des affirmations que les critiques n’aimeront pas. Les littéraires ont tellement de mal avec les idées au Québec. Longtemps, trous ont condamné les œuvres de fiction qui osaient effleurer la question politique ou encore citer des penseurs et des philosophes. On préférait l’ignorance et le ti-cul qui s’enfarge dans la misère, la drogue et la bière. Alexandre Mc Cabe me rassure. Je répète un peu ce que je disais en parlant de son premier roman. Il est de ces jeunes qui tentent de voir clair dans la situation embrouillée du Québec. Enfin quelqu’un qui échappe au selfie et qui émet des idées. Je suis prêt à pardonner bien des faiblesses pour avoir droit à cette récompense, à des propos qui font du bien à l’être plein de questions que je suis.
MARIE

Enfin Marie, la fille de la famille, est devenue peintre. Ce n’est pas elle qui s’impose comme dans les trois premiers volets d’Une vie neuve. Marie est vue par Charles, un ami de ses enfants, un enseignant et un poète. On découvre une femme fascinante et marginale. Elle a refusé d’emprunter les sentiers de l’art contemporain et croit que l’artiste doit bousculer des croyances et secouer la réalité. La fuite dans l’abstraction, dans des concepts creux, ce n’est pas pour elle.
Charles enseigne la littérature et en parle avec intelligence. Pour lui, un écrivain ne peut que s’ancrer dans sa réalité et son environnement. Sinon, nous avons affaire à un cracheur de feu et à un illusionniste. Malheureusement, ils sont fort nombreux dans notre époque à écrire leurs petits livres au goût du jour, à être de toutes les émissions où l’on n’arrive qu’à parler de soi, qu’à ressasser des opinions et très peu d’idées.
Charles montre le rôle de Miron, son travail et son héritage. La mission que doivent se donner les poètes de maintenant qui ont malheureusement réduit leur art à l’ego-portrait et à une longue liste de petites émotions qui vacillent devant une fenêtre ouverte. La mission de durer, de continuer le travail des prédécesseurs incombe encore et toujours aux poètes et aux écrivains de maintenant.

L’émancipation québécoise est devenue aujourd’hui la pire des abjections. Avant, on la célébrait. C’est désormais la gangrène des croulants qui refusent l’euphorie canadienne. Notre littérature doit s’ouvrir aux autres, délaisser le passé, c’est le mot d’ordre. Je suis bien d’accord, mais est-ce qu’elle doit pour autant arrêter de parler du Québec, de le faire avancer ? Les écrivains allemands, portugais ou américains ne le feront pas pour nous. Quiconque est décomplexé n’a pas honte de se raconter, de se montrer tel qu’il est. Quiconque va au bout de sa langue et de sa culture va au bout de lui-même. (p.155)

Mc Cabe se démarque en effleurant la responsabilité de l’écrivain dans le monde d’aujourd’hui. Il me tend la main et je ne peux que lui dire de continuer, parce que c’est ce que je fais depuis que j’ai publié une première fois en 1970, me lançant dans la poésie comme on se jette dans une rivière aux eaux tumultueuses. Je me nourrissais alors de Langevin, Miron, Préfontaine, Chamberland et Giguère. La poésie telle que je la conçois et comme Mc Cabe semble la considérer, est une corde tendue au-dessus d’un précipice,

Où est passée la fougue homérique de Miron ? Nous avons pourtant son travail à continuer. Nous avons à bâtir sur les charpentes de sa poésie. C’est la suite de L’homme rapaillé qu’il faut écrire. S’il s’est rapaillé lui-même, et le Québécois en lui, il faut empêcher que ces deux-là ne se défassent encore. Je ne dis pas qu’il faille reprendre la manière. Je dis qu’il faut refondre notre art à partir de trois-quatre grandes idées qu’il nous a laissées, la première étant l’impossibilité d’une littérature dans une province anonyme. Notre sort et nos textes doivent se conjuguer de nouveau. Sinon, nos écrivains fabriquent une maison de paille. (p.149)

Voilà une véritable récompense pour le « chroniquer vieillissant ». Je reprends ici la formule de Victor-Lévy Beaulieu.
Les deux derniers textes d’Une vie neuve devraient être lus dans toutes les classes des cégeps et même dans les instances du Parti québécois où l’on effleure toujours du bout des lèvres certaines œuvres de la littérature québécoise. Mc Cabe nous pousse devant une réalité que nous aurons à choisir un jour ou l’autre. Parce qu’à être en n’étant toujours pas, « dans un pays qui n’est toujours pas un pays », (encore Victor-Lévy Beaulieu), on risque de perdre son âme. Alexandre Mc Cabe croit en l’avenir. Il me dit de continuer à parler des écrivains du Québec, envers et contre tous, pour répéter encore et encore que nous avons une présence et une voix. Et cet écrivain justifie la toute dernière phrase de mon prochain roman : « Il y a encore de l’espoir. »



UNE VIE NEUVE d’ALEXANDRE Mc CABE est une publication des ÉDITIONS de LA PEUPLADE.