lundi 2 septembre 2013

Claude Jasmin révèle le secret d'Anita



Anita est juive et a connu les camps nazis. Les prisonniers et les prisonnières y étaient numérotés comme du bétail. Elle était alors une jeune femme à peine sortie de l’enfance. Après sa libération, elle migre à Montréal avec son père. Voilà qui explique le titre un peu étrange du dernier ouvrage de Claude Jasmin, Anita, une fille numérotée. On retrouve la verve habituelle de cet écrivain, son art de raconter en bondissant un peu partout. Une histoire d’amour qui sort des sentiers battus. À toutes les fois qu’il est question de Claude Jasmin, je pense à cette rencontre au Salon du livre de Québec. Je venais de publier Souffleur de mots aux Éditions Trois-Pistoles. Je m’étais retrouvé, le temps d’une séance de signatures, coincé entre lui et Jean-Claude Germain. Inutile de dire que je n’avais pas eu la chance de placer un mot ni de rencontrer un lecteur.



Claude Jasmin, depuis un certain temps, prend plaisir à raconter ses aventures de jeunesse, à esquisser le profil de personnages qu’il a côtoyés. Cela nous a donné Chinoiseries et Papamadi, des textes fort sympathiques. Il semble qu’avec le temps, l’attrait de l’enfance devient irrésistible. Beaucoup d’écrivains empruntent la route de l’autobiographie, d’autres celle du récit.
Nous voici dans les années cinquante. Le jeune homme ne peut continuer son cours classique. Échec en mathématiques. Son père lui trouve une place à l’École du meuble où il pourra devenir céramiste.

Refus global

Le milieu est en effervescence. Borduas vient à peine de publier le Refus global et il a été mis à la porte de l’établissement. Il garde ses partisans et aussi ses dénigreurs sont virulents. Une période folle de questionnements, de découvertes et d’idées qui peuvent affoler des parents catholiques. Surtout son père, un «mangeux de balustre» comme dit l’auteur.
«Refus global a osé proclamer un anticléricalisme violent. Borduas a été aussitôt mis à l’Index et interdit d’enseignement. Père de famille, il s’est retrouvé chômeur. Pour nous, c’est un scandale! On n’en revient pas, mais mon père décrète: «Notre chef Duplessis a fait ce qu’il fallait. Pas de place pour les athées. Je suis content. Tu as échappé à l’emprise d’un suppôt de Satan. Concentre-toi sur la poterie, tout le monde a besoin de vaisselle.» (p.69)
S’emmouracher d’une juive n’arrange pas les choses. Cette fille étrange traîne de la nourriture dans son sac et mange sans arrêt. Les parents du jeune garçon sont dans tous leurs états.
«Ces gens-là nous arrivent d’un monde à l’opposé du nôtre! Ces immigrants-là, ça débarque de loin, de creux, de pays lointains, du fin fond de l’Europe. Ils ont des accoutumances et des cérémonies bizarres qu’on peut pas comprendre, ça fait qu’un gars normal peut pas rentrer dans ces familles-là, on peut pas s’accoutumer à leurs simagrées, comme qu’on pourrait dire… Et ça serait une sorte de sacrilège, contraire à notre sainte foi catholique romaine. On risque l’excommunication «ad vutam étermam!». (p.26)
On croirait entendre Jean Tremblay, le maire de Saguenay, dans l’une de ses envolées édifiantes.

Appréciation

Heureusement, l’auteur oublie un peu son histoire d’amour qui s’essouffle pour nous parler de l’École du meuble, des enseignants et de ses découvertes artistiques; de ses incursions au théâtre. Les grandes vedettes françaises comme Louis Jouvet et Gérard Philipe viennent à Montréal et il ne rate aucune représentation. Il croise des gens qui deviendront des personnages importants.
«Les yeux fermés, sa mâchoire remue sans cesse, me faisant penser à ce jeune corbeau dépeigné, Miron, un poète que l’ami Gréco nous a présenté l’autre midi. Une sorte de paysan volubile qui jouait de l’harmonica ou carré Saint-Louis.» (p.45)
Jasmin se laisse porter par la mouvance qui secoue Montréal et le Québec alors. Des questionnements, des virages qui nous poussent vers la modernité qui attend bien sagement son heure.
Une belle histoire d’amour, une fille brisée par l’horreur des camps nazis. Elle n’en parle guère, mais elle a vu mourir des gens, disparaître de grands pans de sa famille, sa mère surtout. Le jeune Jasmin est peu conscient de cette réalité bien lointaine.

Préjugés

Le jeune homme, malgré sa bonne volonté, sera victime de préjugés. Il abandonne la belle Anita, incapable d’oublier «certaines révélations». Jasmin se rendra compte trop tard qu’il a été victime de calomnies et de ses préjugés. Une lâcheté qui le hantera toute sa vie.
L’écrivain décrit une société qui hésite entre la tradition et la modernité, un milieu artistique en effervescence, avec force détails. C’est précieux. Il brosse un portrait, encore une fois, du Montréal de l’époque avec une justesse et un enthousiasme contagieux.

Anita, une fille numérotée de Claude Jasmin est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 29 août 2013

Les humains se rejoignent difficilement

Des couples improbables, une recherche d’amour impossible, un cri plutôt qui s’étouffe dans une désespérance existentielle. Du pain dans les joues de Louise Marois se referme sur le lecteur comme un piège et il est plutôt difficile de s’échapper.


Aimée et Yhana tiennent plus que tout à une baraque qui se désagrège jour après jour, grugée par une sorte de cancer. Les filles doivent en plus affronter un genre de Méphisto qui manipule tout le monde et prend plaisir à les tourmenter. Le tout changera avec l’arrivée du couple Pipistrelle qui loue l’étage du haut. D’étranges relations s’établissent entre ces personnages étranges et tellement différents.
Tous ces personnages se bousculent, se mentent et n’arrivent jamais à être là, au même moment, pour vivre la tendresse et l’amour. Tous cherchent et ne savent que se blesser on dirait dans cette aventure qu’est le quotidien.
«Le soir ébruite sa lassitude sous les jardins écrasés. Fait un détour par l’escalier de pierre, pour le plaisir de glisser sa paume sur la rampe tout doucement, préserve le ravissement qui l’accompagne. Son bonheur se transforme lorsqu’elle voit Yhana attablée avec un homme. Une table ronde, restée dehors tout l’hiver, leur sert d’îlot. La vue de cette scène presque idyllique brusque Aimée. Veut retourner là où elle était, dans la rouille et la sciure. Fonce tête première, avec l’espoir de défaire.» (p.29)


Méphisto

Geoffroy Vidal trouve sa raison d’être en assaillant les êtres qui l’approchent. Il réussira à se glisser dans le couple Pipistrel qui repose sur les mensonges du mari, une sexualité trouble. Des contacts brutaux souvent, des êtres réduits à l’état animal presque qui ne peuvent s’empêcher de se faire mal malgré leur envie de tendresse et d’amour. Tous cherchent autant la mort que la vie, la désespérance que le bonheur d’être. Une écriture qui vous pousse dans une dimension où l’oxygène se fait rare.

Les pendus

Que dire quand madame Pipistrelle, après un moment de fulgurance avec Yhana, accepte de décrocher les pendus dans les parcs de la ville pour que les gens ne voient rien. Elle bourre leurs joues de morceaux de pain pour qu’ils fassent bonne figure dans la mort. Un monde désespéré et désespérant où l’on masque la vérité. La télévision et certains médias servent à cela de nos jours.
Un récit qui coupe le souffle, égare un peu dans une prose recherchée qui parvient à créer une sorte de danse macabre où la vie est un cri, un hurlement, un désir d’aller au-delà du quotidien. Et quelle terrible solitude !
Il faut une bonne dose de courage pour plonger dans cet univers qui se désagrège. Les hommes et les femmes ne peuvent que se blesser et s’agresser. La tendresse, la chaleur humaine arrive parfois, comme une fulgurance qu’il est impossible de retenir. Difficile, mais écrit dans une langue forte, éblouissante qui sauve l’entreprise. Peut-être qu’il faut se laisser emporter simplement par les mots et les phrases pour aimer ce chant existentiel. Peut-être que la vie n’est qu’une suite de petites morts après tout.

Du pain dans les joues de Louise Marois est paru aux Éditions de l’Hexagone.

dimanche 25 août 2013

Gilles Archambault fascine encore


Gilles Archambault fait preuve d’une constance remarquable avec des romans et des nouvelles qui me touchent à tout coup. Je garde un souvenir ému de Qui de nous deux, un regard tendre sur l’amour de sa vie, sa compagne qui vient de mourir. Un texte qu’on lit en ravalant, l’incroyable solitude qui s’installe quand la vie fait en sorte que l’on se retrouve seul dans un appartement en ne sachant quoi faire de sa peau. Comme si les balises de toute une vie éclataient.

Lorsque le cœur est sombre est paru en janvier. Je l’ai négligé même s’il n’était jamais loin dans ma pile de nouveautés. Certains titres me suivent un moment et vont rejoindre les livres que je ne lirai probablement jamais. D’autres s’accrochent même si je tarde à me décider pour des raisons étranges. Soit que le titre me fasse hausser les épaules ou que la page couverture me repousse. Avec Archambault, malgré des titres peu accrocheurs, l’écrivain, sa manière et son écriture finissent toujours par m’attirer.
Au début du mois d’août, j’ai apporté le roman à la plage. Là, les orteils dans le sable, sous un parasol, avec le bruit des vagues dans les oreilles, le moment était venu. J’ai regardé les nuages qui s’ameutaient du côté de Roberval où l’ami Jacques Girard devait discuter avec des lecteurs au café Yé. Un temps parfait pour la terrasse ou le sable. Les enfants plongeaient en hurlant. J’ai regardé longuement la page couverture avant de me décider.

Personnages

Tout arrive en une journée comme dans une tragédie de Racine. Quelques phrases et nous sommes emportés. Tout tourne autour de Ghislain, le soleil je dirais qui attire les autres personnages. Le comédien vient d’aborder les rives de la vieillesse. Ce séducteur a fait soupirer bien des femmes à la télévision ou sur la scène. Victime de son âge, oublié par le milieu, il tente de retrouver un peu d’éclat en conviant ses amis au restaurant. Yves, un ami, un écrivain discret, Marie-Paule, une ancienne flamme qui a partagé un moment sa vie. Luc, un instable qui a connu mille métiers, Annie, une jeune femme qui connaît le comédien depuis toujours et ne le porte pas dans son coeur. Ghislain était l’ami de son père.
Chacun jongle avec certaines méchancetés qu’ils n’oseront jamais dire ou encore se questionne sur sa vie, ce qu’il est. Pourquoi des hommes et des femmes se fréquentent-ils après tant d’années? Ils se heurtent, mais ne peuvent s’empêcher de se voir. Ils sont attirés l’un vers l’autre comme des planètes.  L’univers tient ainsi.
«Yves ne pouvait pas comprendre ce que ressent un comédien que l’on ne sollicite presque plus, la hantise du carnet vide, la peur du téléphone muet. Tu ne connaîtras jamais rien de tout cela, lui disais-je, tu as ta retraite assurée, l’insécurité financière, tu ne sais pas ce que c’est. Yves n’était pas plus lourd en ce temps-là qu’il ne l’est maintenant. Je le connaissais trop peu encore pour lui faire des confidences. Marie-Paule me manquait.» (p.52)
L’écrivain quasi muet vit avec une femme dynamique, souriante, toujours prête à sauter dans l’aventure. Comment ne pas penser à Archambault, ce doux silencieux des lettres québécoises qui, malgré sa discrétion, garde ses fidèles. Son roman est parmi les meilleurs vendeurs de Boréal cet été.

«Sans Valéria, je ne vivrais pas. Au fond, j’aime notre bonheur tranquille ou ce qui en tient lieu. Je vis dans la présence et dans les petites absences de Valéria. Quand on me demande pourquoi dans mes romans les couples sont si fragiles, je ne sais dire que des énormités, que le bonheur n’est pas pour moi une évidence, qu’il n’est pas en tout cas une source d’inspiration, que je suis plutôt porté à décrire le désarroi, la solitude.» (p.69)

Questions

L’écrivain s’attarde aux hésitations de chacun, à leurs peurs, leur angoisse et leur lâcheté. Vivre en société, c’est passer le veston d’un personnage, porter un masque, être quelqu’un d’autre d’une certaine façon. Une réflexion encore une fois sur le vieillissement et la solitude. Archambault reste percutant, particulièrement touchant. Je me suis arrêté souvent pour me demander où j’en étais dans ma course et quel personnage me ressemblait le plus. Les réponses, je les garde pour moi.
J’attends déjà le prochain ouvrage de monsieur Archambault en me promettant de faire diligence. Il a comme sept vies ce grand écrivain et ses romans, je finis par les lire un jour ou l’autre.

Lorsque le cœur est sombre de Gilles Archambault est paru aux Éditions du Boréal.

vendredi 23 août 2013

La vie se permet de nous faire la leçon


Clément de Gaulejac, dans Grande école, regarde autour de lui, questionne et parvient à faire une expérience d’un événement qui peut sembler anodin. C’est souvent amusant, parfois étonnant, toujours juste. Comme quoi la vie ne cesse de nous préparer des surprises et de nous donner des leçons peut-être qu’il faut comprendre.

Inutile de chercher dans ces textes brefs l’expérience unique, l’aventure et l’illumination qui transforment les êtres. L’auteur s’attarde aux petites choses de son quotidien, à ses études, son travail d’illustrateur et d’artiste qu’il veut faire du mieux qu’il peut. Des rencontres aussi ou des propos sur la vie et l’art qui, sans qu’on le sache, bouleversent et peuvent changer la vie. L’artiste devient alors vulnérable, surtout quand il tente de trouver la petite lumière qui lui fera voir les choses autrement. Nous avons souvent l’impression de nous pencher au-dessus de son épaule pour surprendre ce qui retient son attention, écouter une discussion avec un camarade ou les propos d’un professeur qui semble «posséder la vérité». Toutes ces expériences apprennent à l’étudiant comment se protéger de ses maîtres, à suivre son instinct pour demeurer soi, fidèle à son regard pour être vrai et percutant.
«Tu travailles sur quoi en ce moment?» La question rituelle revenait lors de chacune de nos rencontres de couloir. Les réponses variaient selon le degré de proximité avec l’interlocuteur. Nous savions qu’en général, là-dessus, il valait mieux en dire le moins possible.» (p.23)

Leçons

L’auteur saisit le trait, retient une parole au vol et vous laisse un peu en déséquilibre. Voilà tout le charme de ce livre d’une simplicité exemplaire. Quelques lignes, une esquisse, un croquis je dirais, et vous avez une situation, un projet qui peut devenir un tableau, une grande leçon de vie. Parce qu’il faut un pas et un autre pas pour arriver à traverser les jours et les semaines quand on veut faire métier d’artiste. Je retiens certaines rencontres, des remarques qui font hausser les épaules, des propos blessants qui pourraient hanter le créateur pendant des jours. Et il y a cette méfiance, l’autre qui peut s’approprier votre travail, qui ne cherche qu’à se voir dans vos réalisations. De quoi devenir un peu paranoïaque.

«Pour lui, le dessin n’était pas un moyen de dire ce qui est, mais de trouver des choses nouvelles; ce n’était pas un outil pour le récit ou la représentation juste du réel, mais pour l’exploration et l’invention au-delà de sa surface. Mon problème selon lui, c’était que je me contentais de raconter et d’ailleurs, de quoi étais-je le plus fier? De mon voyage ou de mes dessins?» (p.118)

Questionnement

Une manière de scruter le monde, de l’appréhender et de se situer devant ses semblables. Parce que questionner la vie, affronter un univers d’objets et de gens qui vous regardent et se savent regardés, n’est jamais sans risque. Il y a toujours un mot, un geste qui peuvent vous bousculer et vous blesser.
«Malheureusement, il en va de certains jugements de valeur comme des paquebots qui continuent longtemps d’avancer après qu’on en a coupé les moteurs.» (p.224)
Gaujelac nous apprend à devenir plus attentifs à certains événements, à ne pas nous laisser emporter par le tourbillon des gestes et des paroles. Une sorte de méditation sur l’art de vivre tout simplement en prenant du recul de toutes les expériences que nous sert la vie. Parce que c’est dans les petites choses, une remarque que nous apprenons et trouvons les grandes vérités existentielles. L’art de voir dans sa plus belle simplicité et de rester fidèle à ses passions et à ses goûts, peu importe les remarques désobligeantes.

Grande école de Clément de Gaulejac est paru aux éditions Le Quartanier.

lundi 19 août 2013

Germain effectue un travail d’ethnologue



Jean-Claude Germain, avec «Sur le chemin de la Roche percée», complète une entreprise particulière. L’écrivain vient de boucler un périple qui permet de nous faufiler dans les années soixante alors que tout allait changer au pays du Québec. Une lecture qui oscille entre la petite histoire et les grands questionnements. Voilà la manière unique de cet écrivain assez difficile à classer.

Le jeune étudiant fréquente le monde des artistes et des créateurs et se questionne dans l’effervescence qui précède la Révolution tranquille. Après la lecture des quatre ouvrages qui s’attardent sur le sujet, on ne peut que constater que les changements, dans la Belle province, ne sont pas arrivés en claquant des doigts. Il y a eu une longue incubation qui a préparé cette période où le monde a basculé en quelque sorte.
Peintres et sculpteurs cherchent à s’affranchir de la tradition pour découvrir un autre univers. Tous ont en mémoire le Refus global même s’il n’est jamais évident de s’inventer un langage formel et de s’approprier une vision de l’art. Chacun tente de faire sa place et surtout cherche à ne rien devoir à ses prédécesseurs. Dans le monde de la création, chaque génération tente de bousculer les «plus anciens» pour imposer son regard et ses façons de faire. Une même volonté en arts visuels, au théâtre, en poésie que dans le roman. Trouver sa manière, s’inventer même si, avec le passage du temps, on constate souvent que les ruptures n’arrivent pas fréquemment. Le plus grand bouleversement est venu de Sigmund Freud qui a parlé de l’inconscient. Les arts connurent alors une mutation, une vraie. L’important pour l’artiste ou le poète dorénavant était de dire ce qu’il y avait en soi en utilisant la réflexion ou en se laissant guider par ses pulsions. Toutes les routes devenaient des poussées vers soi.
«J’ai toujours envié les peintres qui, tôt le matin, se présentaient à l’atelier et s’installaient devant leur chevalet pour poursuivre là où ils s’étaient arrêtés la veille. Une fois libérée du motif et du point de fuite, l’œuvre se développait progressivement, chaque décision influençait l’autre. L’automatisme était une sorte d’évocation gestuelle à chevaucher l’aléatoire et donner forme à la matière à la vitesse du hasard.» (p.13)
Germain a côtoyé Roussil, Riopelle, Jacques Hurtubise et bien d’autres originaux. Armand Vaillancourt n’était pas bien loin, j’imagine. Tous cherchaient à briser les carcans, les empêchements qui étouffaient les créateurs depuis des décennies et surtout à s’affranchir du clergé. Une grande quête, un refus d’abord et de nombreuses expériences plus ou moins étranges.

Curiosité

Germain est un curieux qui a pris du temps à trouver sa voie. Lecteur boulimique, il trouve matière à réflexion chez les penseurs et les philosophes en lisant tout ce qui lui tombe sous la main. Peut-être pour prendre un certain recul, mieux se trouver, il entreprend un voyage avec des amis dans les provinces maritimes. Ils séjournent ici et là, écrivent, croisent des originaux, cherchent d’autres manières de bousculer la réalité. Confronter à une nature qui peut étouffer quand on se retrouve sur l’île Bonaventure, tous évoluent à leur façon.

«Comme l’esquif d’Ulysse qui court d’une île à l’autre, la valise sous le capot et le moteur en poupe, notre coquille de noix sur roues poursuivait inlassablement sa route.» (p.124)
Dans leur petite voiture, ils traversent des villes, se heurtent à des habitudes séculaires, découvrent des endroits où le temps semble s’être arrêté. C’était avant le tourisme de masse, les voyages organisés, les grandes et petites séductions qui appâtent les visiteurs autour de Percé. C’était l’aventure que de partir sur les routes sans savoir où dormir et manger. Ils font la fête, n’arrivent pas à trouver du homard, finissent par se procurer de l’alcool et un peu de vin en devant respecter des conditions étranges, se réservent aussi des moments pour travailler et réfléchir. C’est après ce périple, peut-être, que Germain prendra la décision de se tourner vers le théâtre et la scène.
Il y a les anecdotes, bien sûr, mais l’auteur est particulièrement intéressant quand il réfléchit à la création et ce qui a marqué les productions de la scène pendant cette période et les années 1970. L’influence d’Antonin Artaud par exemple.
Une époque singulière, comme une hésitation avant l’éclatement de la Révolution tranquille. Un témoignage qui permet de mieux saisir les espoirs qui animaient les créateurs et une bonne partie de la société, la singularité du Québec aussi. L’écrivain rend bien l’effervescence qui était la sienne et celle de ses compagnons d’aventure. Beau travail nécessaire de mémoire.

Sur le chemin de la Roche percée de Jean-Claude Germain est paru aux Éditions Hurtubise.