dimanche 7 juillet 2013

André Major me fascine depuis toujours


André Major a publié son dernier roman en 1995. Depuis, il y a eu Le sourire d’Aton ou l’adieu au roman en 2001, où il fait ses adieux à la fiction et son plus récent carnet: «Prendre le large». Son retour au genre romanesque, avec À quoi ça rime?, est un événement dans notre monde des lettres. Simplement parce que Major occupe une place particulière dans notre littérature par son œuvre, ses carnets et aussi son travail à Radio-Canada où il a contribué à faire connaître plusieurs écrivains.

J’étais curieux de voir la direction qu’il prendrait après ce long retrait de la fiction. J’ai aimé les carnets, son essai L’Esprit vagabond qui ont marqué cette période où l’écrivain s’attardait à la vie et à la nécessité de l’écriture. Est-ce que le romancier qui savait si bien m’entraîner dans l’errance de ses personnages, la quête d’un monde meilleur, serait au rendez-vous?
Quel bonheur de retrouver les protagonistes de «L’hiver au cœur». Antoine est à Lisbonne après le décès d’Huguette, sa compagne. Elle a partagé sa vie jusqu’à sa mort. Une complice qui l’a secoué dans sa tête et son corps. Il est au Portugal pour respecter le vœu d’un oncle un peu fantasque qui souhaitait voir ses cendres dispersées dans le Tage. Un homme qui protégeait ses secrets et savait partir à l’occasion. Ce qui ne l’a pas empêché d’être le protecteur de la famille du jeune Antoine.

Présence de Pessoa

Et le voici dans Lisbonne, posant ses pas dans les pas de Pessoa qu’il relit lentement, au rythme de ses déambulations, de ses arrêts dans un café pour discuter avec Lydia, une jeune serveuse passionnée de littérature. Il y a aussi le «Ulysse» de James Joyce qu’il garde à l’œil.
«Ce à quoi je me prenais à rêver, au cœur de Lisbonne, ce n’était pas de faire des voyages organisés comme mon oncle en avait fait, c’était de me construire une cabane au milieu des pins et des bouleaux, mon loin du torrent, qui serait mon ermitage en quelque sorte, où je comptais non pas méditer sur mon salut éternel, encore moins écrire mes mémoires puisque je jouerais désormais le rôle de l’écrivain défroqué, mais ne rien faire, sinon marcher et lire, relire plutôt les livres qui m’avaient fait mieux voir ce qu’il y a à voir dans ce monde peuplé d’étranges créatures qui font semblant, la plupart du temps, de savoir de quoi est fait leur destin si passager et qui meurent finalement, sans avoir accepté de n’être bientôt plus que des ombres dans la mémoire de leurs survivants ou, pis encore, des cendres refroidissant dans une urne si encombrante qu’on s’empresserait de l’enterrer.» (p.38)
Un endroit où disparaître presque, pas trop loin d’un voisin qui lutte contre le cancer et repousse tous les médicaments. Une vie de lectures et de promenades. Ce rêve hante ses carnets. Jamais Major ne semble plus heureux que quand il se retrouve à la campagne, happé par les tâches les plus simples.

Force de vie

Antoine se rapproche d’Irena même si le souvenir d’Huguette est encore sensible.

«Le lendemain matin, contemplant le visage d’Irena endormie, il m’a semblé que l’ombre de la mort avait reculé et que rien n’était plus gai que les flocons de neige voletant comme du pollen entre les lattes du store.» (p.150)
La vie est là, plus forte que jamais.
Le roman de Major n’est pas très loin de ses carnets. On y retrouve les mêmes préoccupations, des lectures, des réflexions sur la vie et la littérature, les ruptures et les morts qui vous suivent en prenant de l’âge. Une écriture d’une limpidité désarmante pour traduire la vie dans ce qu’elle a de vrai et de beau.
On voudrait accompagner Antoine dans ses promenades en forêt, le regarder se bercer dans ses souvenirs près du poêle à bois ou encore partager ses réflexions sur les livres qu’il relit en buvant un thé. Un bonheur que ce roman. Il est vrai que j’aime Major depuis Le vent du diable paru en 1968. Cet écrivain a été un véritable compagnon depuis toujours. Il faudrait que je trouve le temps de relire son œuvre, en flânant sur ses phrases comme il sait si bien le faire. Quel plaisir de le retrouver! J’espère qu’il va encore se laisser tenter par la fiction.

«À quoi ça rime?» d’André Major est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 1 juillet 2013

Trois femmes innues prennent la parole


Shan dark
Louve Mathieu
Spectacle de lecture à Chicoutimi le 2 juin dernier, après des arrêts à Pessamit, Sept-Îles et Baie-Comeau. Trois femmes, des Innues, les auteures d’un collectif de haïkus au titre intriguant: «S’agripper aux fleurs». Peu de spectateurs ce soir-là, une vingtaine tout au plus. Une soirée du genre n’attire jamais la foule. Nous ne sommes pas au Festival International des Rythmes du Monde et pourtant.

Louise Canapé
Trois femmes donc sur la petite scène du Sous-Bois, rue Racine. Louise Canapé, Louve Mathieu et Jeanne-d’Arc Vollant (Shan dak) mettaient fin à une tournée sur la Côte-Nord et au Saguenay. Trois expériences portées par la comédienne et lectrice Josée Girard. Une lecture marquante, une sobriété dangereuse. Mise en scène discrète de Louise Saint-Pierre, décor évocateur de la pensée des Innus. Trois voix singulières pour des confidences troublantes, esquisser des univers qui se sont croisés grâce à Francine Chicoine.
Tout a commencé au Camp littéraire de Baie-Comeau qui se consacre aux haïkus. Les trois femmes souhaitaient se familiariser avec ce petit poème qui en fascine plus d’un. Francine Chicoine leur a proposé d’écrire un livre pour parler à voix basse, échanger sur leurs expériences, leur être peut-être.
«Ce projet, nommé initialement Innu-haïku, a débuté par une première rencontre de travail, en août 2009. Nous nous sommes alors entendues sur le fait que le projet devait refléter la culture innue et être empreint d’une saveur typiquement autochtone.» (p.8)
Il y a eu les hésitations, des silences. Pourtant les mots sont venus malgré les doutes, les craintes et les découragements.
«Je me sens comme le joueur de teueikan, en communication directe avec le monde des songes. Moi, je capte des moments privilégiés que je garde précieusement jusqu’à l’éclosion d’une image qui décrit l’ensorcellement de cet instant, en lien avec ma perception innue», écrit Jeanne-d’Arc Vollant (Shan dark).
Louve Mathieu réplique dans un souffle qui laisse pantois. Une blessure de l’être trouve enfin une manière de se dire.
«C’est ainsi que j’existe, poings fermés, avec du sang dans la paume à force de serrer les pierres et d’essayer de me relever en laissant le rouge écrire sur le sable et la page. Ce sont mes cailloux; c’est ma seule prétention quant à mes propres mots.» (p.80)

Une fenêtre

Un monde s’esquisse, une fenêtre s’ouvre brusquement pour se refermer aussitôt. Le territoire perdu hante les haïkus, la condition d’autochtone aussi.
«territoire innu
  sous les pylônes d’acier
  des plants rabougris» (p.62)
Le pays n’existe plus que dans les légendes et les contes, la vie nomade s’est réfugiée dans un rêve imprécis. La réserve enferme avec ce que cela comporte ou encore il y a peut-être une vie du côté des Blancs en niant son être et son essence.
L’alcool, la drogue, la désillusion, les espoirs difficiles à garder dans ces lambeaux de territoire pointent discrètement.
«Premier jour du mois
  sur un carré de miroir
  deux lignes blanches» (p.66)
La détresse, la perte de sens, l’inactivité, l’alcoolisme se profilent dans ces brefs poèmes souvent bouleversants. Des coups au cœur. Toute la détresse du monde en si peu de mots.
«jeune fille assidue
  à l’école Uashkaikan
  huitième mois de grossesse» (p.35)
Les secrets aussi, l’existence tordue après des agressions qui ont souillé l’innocence et l’enfance.
«Lit d’enfant
  s’agripper aux fleurs du drap
  avant la pénétration»   (p.102)
Si le spectacle était intense, bouleversant même, la lecture du recueil «S’agripper aux fleurs» m’a entraîné dans une réalité autre, un monde que je connais si mal. Que dire de ce pays dans le pays que nous nous appliquons souvent à nier?
Un geste unique pour ces femmes, une quête qui permet d’aller au fond de soi pour que l’innommable s’accroche à des mots. L’une évoquera la culture, les traditions, l’autre sa condition d’autochtone avec les humiliations qui se multiplient dans la vie de tous les jours. Et il y a l’intime, la négation de l’être qui perturbe. Les trois évoquent l’état de ce peuple dépossédé de sa culture et de son territoire. Le mot s’impose alors avec une force et un poids formidable. «S’agripper aux fleurs» va à l’essentiel, se tourne vers des voix qui viennent de loin et qu’il faut écouter. Entendre surtout.

«S’agripper aux fleurs» de Louise Canapé, Louve Mathieu et Jeanne-d’Arc Vollant (Shan dak) est paru aux Éditions David.

lundi 24 juin 2013

Hervé Gagnon peut provoquer la dépendance



Quatre mois après la parution du «Glaive de Dieu», premier tome de «Vengeance», Hervé Gagnon publie «Le grand œuvre», la suite. Cet écrivain écrit à un rythme étourdissant. Son héros, Pierre Moreau, se débat entre des factions qui sont prêtes à tout pour mettre la main sur l’Argumentum. Celui qui percera le secret de ce document pourra faire s’écrouler les assises de la civilisation occidentale.

Pierre Moreau, fils de Jean-Baptiste-Michel Leclair, modeste professeur d’histoire, est entraîné chez les francs-maçons par son futur beau-père, Émile Fontaine. C’est le début d’une aventure époustouflante où les assassinats se multiplient autour du jeune homme. Il se retrouve au centre d’une guerre qui oppose l’Église catholique par le biais du Gladius Dei et l’Opus Magnum des francs-maçons qui tentent de respecter les promesses des Templiers qui ont juré de protéger le précieux document retracé à l’époque des Croisades. Cette tablette remet en question l’existence de l’Église, de Dieu même. Nous savons que l'Argumentum se retrouve en Amérique du Nord, quelque part dans la ville de Montréal. C’était à peu près la trame du premier volet.

Héritier

Pierre, dernier d’une lignée de gardiens, est le seul à pouvoir trouver l’endroit où a été dissimulé le document. Il est l’héritier que l’Opus Dei cherche à éliminer pour que personne ne mette la main sur l’Argumentum et l’utilise. Les francs-maçons n’entendent pas abandonner si facilement. Les opposants s’affrontent dans une guerre où tous les coups sont permis. Et voilà qu’un autre groupe joue du coude dans l’ombre. Des Juifs, des descendants de la tribu de Levi, convoitent cet écrit afin de faire des pressions sur la communauté internationale, pour parvenir enfin à créer l’État d’Israël. Nous voilà dans l’actualité.
Les attentats se multiplient, les tromperies, les trahisons, les meurtres et les surprises. Tous ont besoin de Pierre Moreau pour mettre la main sur le secret tant convoité. Le jeune homme a des raisons personnelles de chercher ce document. Il veut à tout prix libérer Julie Fontaine, sa promise, qui a été enlevée par la faction juive.

Amour et actions

Des morts reviennent à la vie mystérieusement, des disparus surgissent. Peu à peu, le lecteur plonge dans un monde parallèle. Il faut arriver les premiers dans cette course où chaque seconde compte. Le professeur d’histoire déchiffre certaines énigmes à partir d’un tableau de Nicolas Poussin: «Les bergers d’Arcadie». Il est convaincu que l’Argumentum se retrouve dans la tombe de Jeanne-Mance, la fondatrice de Montréal avec Paul Chomedey de Maisonneuve.
Poursuites effrénées dans les rues de Montréal, recherches pour retrouver le tombeau de Jeanne-Mance qui n’est pas situé à l’endroit que les historiens ont prévu.

Là, je suis devenu frénétique, lisant sur le bout de ma chaise, tournant les pages à un rythme inhabituel, moi qui aime m’attarder sur les phrases. Je voulais savoir et même si j’avais un peu la prétention de percer deux ou trois mystères, je dois avouer qu’Hervé Gagnon a réussi à me mystifier et à multiplier les fausses pistes. Et cela jusqu’à la toute fin où la course semble vouloir trouver un second souffle quelque part dans l’Ouest canadien.

La Bible

J’ai eu un peu de mal avec la partie biblique du roman au début, comprenant mal ce long détour. Rapidement pourtant, j’ai vu que c’était de ce côté des choses que viendraient les explications. Hervé Gagnon réussit à donner une couleur contemporaine aux longs exils des Juifs relatés dans la Bible et à leurs revendications millénaires. La volonté de créer un état israélien domine le cours de l’histoire de ce peuple de nomades et n’a pas été sans provoquer nombre de frictions et de guerres. Un rêve qui a connu son aboutissement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’auteur se sert habilement de ces faits historiques pour nous bousculer.
Que dire? Hervé Gagnon multiplie les traquenards, les indices, nous plonge au cœur d’une aventure fascinante. Ce marathon ne prend fin qu’à la page 439 d’un récit étonnant. Et même là, on en voudrait encore parce que cet écrivain nous rend insatiable, accroc aux aventures qu’il déploie avec les aisances d’un prestidigitateur. La lecture des romans d’Hervé Gagnon peut provoquer la dépendance, j’en suis convaincu.

«Le grand œuvre» d’Hervé Gagnon est paru aux Éditions Hurtubise.

dimanche 16 juin 2013

Jacques Girard est un grand humaniste



Jacques Girard écrit depuis toujours, du moins je l’imagine, avec des bouts de crayon qui tiennent tout juste entre ses doigts. Une écriture qui prend de l’espace sur les pages des carnets qui ne le quittent guère. Il explore Roberval et ses environs depuis sa première publication en 1996, à la manière de son père qui hantait un territoire de chasse dans le secteur de Sainte-Hedwidge. Sa mère est née dans ces terres, sur une ferme où le jeune garçon a connu des étés inoubliables.

J’hésite à dire que Jacques Girard écrit des nouvelles. Il possède l’art de l’esquisse, des grands traits. Tout est matière à écriture pour lui. Il regarde, écoute et un sujet s’impose. Ce qu'il recherche, c’est l’émotion qui affleure et retient le lecteur. Il s’attarde à son enfance, tourne autour de certains individus que la vie a secoués de bien des façons. 

Famille

Dans «Attendez au moins la fin de l’histoire», sa famille immédiate devient plus présente. Son épouse Diane et ses enfants, ses petits-enfants aussi. Avec le temps, un corps qui connaît des hésitations, l’écrivain est plus sensible aux grandes et petites joies qui bousculent le quotidien.
«Si vous passez en automne à La Tuque, ne soyez pas surpris si vous voyez dans le ciel des traînées jaunes qui volent en forme de U. Ce phénomène m’intriguait. Diane et moi étions en promenade chez notre fille Renée-Claude et son partenaire de vie, Gilles. Ce jour-là, Cora-Lee s’amusait avec les voisines, tandis que moi je me promenais avec Elliot dans le parc voué à la mémoire de Félix Leclerc situé à proximité, le long de la Saint-Maurice.» (p.75)
Pas d’explications. À nous de faire le lien.
Ses textes, d’un livre à l’autre, forment un florilège de portraits assez unique. Guy-Marc Fournier, par exemple, ce journaliste et romancier qui l’a entraîné dans le monde de la lecture et lui a fait connaître l’étrange métier de correspondant pour «Le Quotidien» au Lac-Saint-Jean. Avec ce travail, l’enseignant pouvait vivre les grands événements de son secteur. La Traversée du lac Saint-Jean à la nage par exemple dont il rédigera l’histoire. Je n’ai pu qu’en faire un personnage de mon roman «Le voyage d’Ulysse». À Roberval, Jacques Girard est connu comme Barabbas dans la passion.

Enseignant

L’auteur n’hésite jamais à parler de son métier d’enseignant, des rencontres qu’il y a faites, des collègues, mais aussi des jeunes qui se démarquaient, de certains originaux. Il faut entendre ses anciens élèves parler de lui pour comprendre qu’il a été un maître important. Il avait la particularité de circuler dans les couloirs de la polyvalente de Roberval avec des chariots chargés de romans et de livres de poésie qu’il distribuait à gauche et à droite. Un genre de colporteur littéraire qui mettait la lecture en avant de tout. Un passeur exceptionnel. Le plus grand lecteur que je connaisse. Il a tout lu et possède une mémoire phénoménale. Il est capable de parler d’un ouvrage qu’il a parcouru il y a des années et vous avez l’impression qu’il vient à peine de le glisser dans un rayon de sa bibliothèque.

Le familier de Jacques Girard retrouve souvent une référence à un écrivain ou une citation dans ses textes. Lire est aussi une manière d’écrire pour lui.
Le Robervalois possède sa table au café Yé, boulevard Saint-Joseph, juste à côté de la bibliothèque Georges-Henri-Lévesque qu’il fréquente. Son bureau qu’il aime à répéter. L’écrivain s’y retrouve tous les jours quand sa santé le lui permet. Il tente de nous faire croire qu’il écrit. Je le soupçonne de parler plutôt avec les clients qui défilent. Il est l’auteur de Roberval et tous ses lecteurs le connaissent. Il va même jusqu’à faire la livraison d’un exemplaire de son dernier ouvrage à la maison. Trouvez un écrivain qui fait cela.
«Attendez au moins la fin de l’histoire» est un autre moment de cette fresque qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis presque vingt ans. Une œuvre particulière, écrite pour les gens qu’il aime. «Je suis un écrivain public», répète-t-il. Il est plus que ça. Jacques Girard est le témoin d’un milieu qu’il ne cesse de réinventer. L’écriture peut servir aussi à cela. Tous ceux qui le croisent risquent de se retrouver un jour ou l’autre dans ses croquis. Une preuve de sa générosité et de son humanisme.

«Attendez au moins la fin de l’histoire» de Jacques Girard est paru aux Éditions Portes ouvertes.