dimanche 17 février 2013

Hervé Gagnon est un véritable magicien


Hervé Gagnon est un conteur terrible qui vous mène par le bout du nez dans «Le glaive de Dieu», jonglant avec le vrai et le faux. Ceux et celles qui aiment les romans d’action seront comblés, l’auteur réussissant même à faire revivre les morts. Les scènes sanglantes se multiplient pour corser le tout et Pierre Moreau n’est pas dépourvu, tout professeur d’histoire qu’il soit.

Historien de formation, romancier à succès, Hervé Gagnon n’est pas sans connaître les légendes qui entourent nombre de sociétés secrètes. Des trésors seraient conservés dans les caves du Vatican et ceux des Templiers auraient échappé à toutes les recherches. Que de rumeurs autour des francs-maçons qui ont longtemps été vus par Rome comme une secte où Satan occupait le meilleur fauteuil lors de certaines «messes noires».
Plusieurs auteurs nous ont permis de nous faufiler dans les coulisses de l’Église pour nous révéler des «vérités» qui remettaient en question les dogmes des catholiques. «Au nom de la rose» d’Umberto Eco a connu un immense succès même si on peut qualifier cet ouvrage de savant. «Le code da Vinci» de Dan Brown est peut-être l’ouvrage qui a donné l’envie à nombre de romanciers de s’aventurer dans ce monde secret.
Dans «Le glaive de Dieu» Hervé Gagnon met en scène les francs-maçons et une ramification secrète de l’Église, le Gladius dei qui ne recule devant rien pour préserver la doctrine, le rôle du pape et de ses représentants. Tout remonterait en l’année 1290 où le frère Aigremont, un Templier, met la main sur un document singulier à Saint-Jean d’Acre.
«— Je ne suis pas certain des détails, mais en gros, que tout est faux, soupira-t-il avec une infinie lassitude. Tout ce qu’on nous a enseigné : toutes nos croyances; tous nos espoirs, tout ce pour quoi nous nous sommes battus; tous nos morts. Tout cela était vain. Ceux. Futile. Depuis le début, on nous a trompés.» (p.18)
Cette révélation peut faire tomber l’église et le pape, détruire les fondements de toute la culture chrétienne. L’Église a tout intérêt à s’approprier ce texte et les Templiers à le garder en leur possession pour l’utiliser comme outil de négociation ou faire du chantage si nécessaire. Les Templiers seront pourchassés et emprisonnés par le pape Clément V et le roi Philippe IV.
«Pour la première fois, il réalisait l’ampleur, jusque-là insoupçonnée de la puissance de l’ordre du Temple. Il lui suffisait de brandir un simple document pour faire chanter l’Église tout entière. Ou pire encore: de rendre public ce document pour lui porter un coup fatal. Il ne pouvait courir ce risque. Philippe pouvait accaparer toutes les richesses de l’ordre. Cela n’avait plus aucune importance. Le pape ne souhaitait désormais qu’une chose: récupérer la monstruosité sacrilège dont il venait de lire la transcription et la détruire.» (p.102)

Guerre sans merci

Cette guerre sans merci traverse les siècles et débouche dans le Montréal des années 1880. Un jeune professeur d’histoire possèderait la clef qui mènerait au fameux Argumentum. Les attentats se multiplient autour de Pierre Moreau qui n’y comprend rien. Il entend juste enseigner l’histoire et vivre son histoire d’amour avec Julie Fontaine. Son beau-père l’entraîne dans les rituels des francs-maçons où l’entraide semble une «vertu cardinale». Tous les organismes qui importent à Montréal sont infiltrés soit par les francs-maçons ou le Gladius dei. Certains prêtres travaillent comme agents secrets et manient le stylet quand la raison de l’Église l’exige.

Histoire

Nous arrivons à la toute fin avec plus de questions que de réponses. C’est pourquoi il y aura une suite. Le lecteur ne peut que souhaiter qu’elle vienne rapidement pour dénouer les nœuds de cette aventure qui prend des chemins étonnants.
«De là, en 1398, on l’emporta à Arcadie, pour le déposer dans une tour dont les ruines se trouvent toujours à Newport, Rhode Island. Mais Arcadie fut détruite et l’Argumentum fut abandonné là où on l’avait caché. Puis, en 1642, sous couvert de fonder Ville-Marie, l’Opus dépêcha Paul de Chomedey, Jeanne Mance et quelques autres dans le Nouveau Monde pour y récupérer l’Argumentum et le mettre de nouveau en sécurité.» (p.427)
Assez surprenant ce qu’Hervé Gagnon fait de Paul Chomedey de Maisonneuve et de Jeanne Mance, les fondateurs de Montréal. Qu’importe! Nous sommes dans un roman et le romancier a tous les droits. Une histoire passionnante et folle de rebondissements. Une belle magie.

«Le glaive de Dieu» d’Hervé Gagnon est paru chez Hurtubise.

jeudi 14 février 2013

LE MONDE D'HOMÈRE AU LAC-SAINT-JEAN


Je me permets de vous présenter mon nouveau roman: Le voyage d'Ulysse. Une épopée qui vous fera voyager dans L'Odyssée d'Homère et les légendes amérindiennes, plonger dans le monde réel et inventé du Lac-Saint-Jean.


Ulysse quitte le Bout du Monde pour un long périple. Devant lui, avalant l'horizon, le Grand Lac sans fin ni commencement. Qu’y a-t-il dans ce monde que sa grand-mère Allada, une sorcière, évoque en fermant les yeux Un renard et un tamia l’accompagneront dans un village où le maire a inventé la démocratie totalitaire. Il y a aussi Alexis le Trotteur, dont les pieds sont peut-être des sabots, Victor Delamarre, l’homme le plus fort du monde, Louis l’Aveugle, le voyant qui possède la mémoire du pays d’avant et d’après. Que dire du Gardien des glaces, de Calypso, de Tshakapesh, le chasseur qui piège le soleil et de Manigouche, le guide des âmes ? 


Ulysse s'éloigne de Manouane, son amoureuse, la belle et ensorcelante Innue, pour suivre son destin. Comme Pénélope, va-t-elle l'attendre en tricotant un monde à l’endroit, un monde à l’envers ? Et lui, succombera-t-il aux charmes de Calypso, aux sourires de Séville et aux provocations de Perséphone? Aura-t-il besoin de l’aide de Satan Belhumeur pour revenir devant sa grand-mère, au pied de l’arbre des commencements et de la sagesse? 

Contourner le Grand Lac sans fin ni commencement, c’est découvrir la Méditerranée et bien d'autres terres étranges. Et le Bout du Monde est peut-être l’île d’Ithaque, car, c’est connu, nous répétons les mêmes histoires, peu importe le temps et les époques…


MAINTENANT EN LIBRAIRIE


dimanche 10 février 2013

Hélène Rompré se penche sur le sort des femmes


Hélène Rompré mélange habilement deux époques dans «Novembre veut ma peau». Carmen et Mathilde se croisent par la magie des livres, au-delà du temps et de l’espace. Une belle façon d’aborder la situation des femmes, d’une lutte toujours à recommencer pour être dans son corps et son esprit, peu importe les époques et les milieux.

Hélène Rompré est arrivée au Camp littéraire Félix avec un manuscrit, il y a quelques années. Avec beaucoup d’humour, elle nous fit découvrir, à moi et aux stagiaires, l’histoire d’une jeune femme qui cherchait à se retrouver dans le tourbillon de sa vie. Les sorties, l’alcool, la bousculade des jours ne lui laissaient aucun répit. Immanquablement, elle retrouvait un homme dans son lit au réveil. Des amours d’un soir, l’exultation du corps qui laissait un goût amer.
Voilà!  «Novembre veut ma peau» vient de paraître. J’étais curieux de voir ce qu’était devenu le manuscrit et le personnage de Carmen. L’auteure n’a jamais cessé de travailler depuis cette rencontre.
«J’arrête le sexe. C’est décidé. J’ai fait le décompte à mon réveil: vingt et un amants. Autant d’ex que d’années de vie. C’est beaucoup. L’acte ne veut plus rien dire. Il doit exister d’autres moyens pour me réchauffer, me dégeler. Je vais devenir chaste. Pas par conviction. Je n’adhère à aucune religion prônant la morale du siècle passé. Non. L’idée m’a plutôt traversé l’esprit vers cinq heures du matin: garder un nombre d’amants inférieur à mon âge.» (p.10)
Des bonnes intentions, mais comment repousser les tentations?

Belle surprise

Un nouveau personnage est apparu depuis: Mathilde, une fille de bonne famille, qui vit à Montréal dans les années 1875. L’avenir d’une jeune femme alors était lié à l’homme qui la courtisait et demandait sa main. Toutes les préoccupations des mères et des filles étaient la préparation des bals, les occasions de bien paraître en société pour dénicher le bon parti. Du moins dans un certain milieu.
Deux filles du même âge, deux époques différentes. Les deux tentent de reprendre leur vie en main. Le problème de Carmen est l’absence de règles et ses pulsions. Elle n’arrive pas à trouver un ancrage. Les hommes sont un drap qu’elle change chaque matin. Il en résulte un vide, une perte de sens qui mène à la frénésie.
«Éliminer les tentations de ma vie. Persévérance, sobriété, vertu. Passer du temps avec moi. Établir mes priorités. Forcer mon cerveau à réfléchir. Me garder de faire la tournée des boîtes de nuit. Rester à la maison pendant que tous boivent et jouent le jeu de la séduction.» (p.26)
Mathilde passe par des chemins bien différents pour trouver son espace et se libérer des carcans de son milieu bourgeois.
«Depuis combien d’années ma mère est-elle engagée dans cette course effrénée pour me placer dans un foyer convenable? Une éternité. Jamais ne passe un seul jour sans qu’elle me témoigne de nouveaux espoirs et de nouveaux reproches.» (p.25)
Elle aimerait s’affirmer sans passer par le lit d’un homme, mais cela n’est guère possible à l’époque.
«Il y a des jours où je me demande pourquoi Dieu a créé l’homme avec le désir, cette impulsion risquant à tout moment de nous faire tomber. Le visage colérique d’un enfant que l’on prive d’un jouet me rappelle toujours combien nous sommes nés esclaves de nos tentations.» (p.31)

Bouleversement

La mort du père de Mathilde fera basculer son monde. Elle n’est plus un parti intéressant pour les jeunes professionnels. La jeune femme devra travailler et prendre soin de sa mère. Elle s’initiera même aux joies de l’amour avec la complicité d’une servante bien en avance sur son temps.
«Je sais que c’est là un cadeau que m’offre Armande, mais j’ignore comment l’accepter. À vrai dire, je ne crains pas de perdre ma réputation ni même d’offenser Dieu, le péché de la chair s’absout avec le temps et la contrition sincère. J’ai plutôt peur de goûter à un interdit que j’aurai envie de retrouver alors que je ne le pourrai plus. Je me demande ce qui cause le plus de mal à l’âme: savoir ou regretter.» (p.186)
Hélène Rompré fait preuve d’un humour particulier, d’une ironie qu’elle dose bien dans la vie tourbillonnante de Carmen et l’univers figé de Mathilde. Une quête d’identité qui ne sonne jamais faux et prend des virages étonnants. Deux personnages attachants que j’ai quittés avec regret. Une belle réussite que ce roman vivant et actuel.

«Novembre veut ma peau» d’Hélène Rompré est paru aux Éditions Pierre Tisseyre.

dimanche 3 février 2013

Stéfani Meunier met des mots sur l’absence


Stéfani Meunier nous guide dans un labyrinthe dans «On ne rentre jamais à la maison». L’écrivaine met des mots sur l’absence, la peur, la terrible angoisse de ne pas savoir et de ne pas être capable de franchir une frontière. Une écriture forte, bellement maîtrisée, un roman de pulsions, de douleurs, d’amours égarés et perdus, de rêves étiolés au sortir de l’enfance.

Charlie, la grande amie de Pierre-Paul, disparaît après un jeu particulier. Les inséparables tentent de se faufiler dans le rêve récurent du garçon où, par un passage secret, il débouche dans une pièce impossible à retrouver dans la réalité. Comme s’il y avait une dimension autre dans la demeure familiale, un grenier qui n’existe que dans son rêve. Y a-t-il un passage secret, un autre réel?
Pierre-Paul s’endort auprès de son amie et quand il ouvre l’œil, le lit est vide. Charlie est rentrée chez elle.
«Je ne l’ai jamais revue. C’est une partie du problème. Que ça soit arrivé ce jour-là. Le lendemain matin, je suis parti pour l’école avec une vague angoisse mêlée d’espoir, je me disais que je descendrais de l’autobus, que je marcherais quelques minutes et qu’elle serait là, à m’attendre, assise sur le muret de pierres de ce vieux bâtiment étrange qui nous faisait un peu peur parce qu’il ne ressemblait à rien ni à une maison ni à un commerce, à quelques mètres de l’école. Puis je me suis dit qu’elle ne serait pas là, ni ce matin ni un autre matin, puis je me suis dit voyons, c’est impossible.» (p.57)
De quoi traumatiser un garçon d’une douzaine d’années. Que dire des parents de la fillette et de son entourage? Tous devront vivre avec cette absence, le doute, leur imagination. Il y a une faille dans leur vie qu’ils ne peuvent expliquer.
«Comme si, entre douze et quinze ans, j’avais été éteint, engourdi. Je mangeais, je dormais, je faisais ce qu’on attendait de moi. J’avais des fourmis jusque dans le cerveau, jusqu’au fond du cœur.» (p.110)

La survie

Le père et la mère de Charlie s’étourdissent de paroles et d’alcool avec leurs nombreux invités. Ils ont une autre fille, Clara, mais elle ne peut faire oublier sa grande sœur. Elle ne peut non plus prendre sa place.
«Mes parents m’ont faite pour remplacer ma sœur. Alors, forcément, ils sont déçus. Depuis mon premier souffle jusqu’à ma dernière coupe de cheveux. Parce que je ne suis pas ma sœur. Il m’arrive de les détester de m’avoir faite. Je hais ce combat que je sens en eux tous les jours entre les sentiments qu’ils devraient normalement avoir pour moi et ce qui se trouve en réalité dans leur cœur. Cet espoir triste et méprisable. Méprisable parce qu’inutile.» (p.71)
Les parents de Charlie portent une blessure qui ne peut guérir. Clara le sait, le sent et doit s’affirmer pour être.

Scénarios

Pierre-Paul écrit des scénarios. Avec les comédiennes et dans ses relations amoureuses, il tente de retrouver la disparue. Son enfance ébréchée, il voudrait bien la colmater avec ses histoires.
«J’écris des films. J’écris des films pour Charlie. Les actrices qui sont choisies pour jouer dans mes films sont souvent bonnes. Parfois très. Mais elles ne sont pas Charlie. Jamais elles n’atteindront la perfection de ce mélange de fiction et de vérité, de peau et de fantasme qui vit avec moi, là, dans ma tête. Mes films, c’est comme si j’avais lu le livre avant. Et tout le monde sait que le livre est toujours meilleur.» (p.141)
Comment expliquer l’inexplicable? Tout tourne autour de cette absence, de cette blessure sans nom.
«On n’a jamais retrouvé Charlie vivante. On n’a jamais retrouvé Charlie morte. Peut-être a-t-elle été engloutie, peut-être son corps a-t-il été emporté jusqu’au fond de l’océan par une de ces vagues scélérates. Peut-être nage-t-elle avec les sirènes. Peut-être aussi qu’un jour on la verra tourner le coin d’une rue, toute grande, tout adulte, avec ses cheveux bouclés et ses yeux jaunes.» (p.153)
Prendre de l’âge c’est peut-être chercher à secouer des rêves, s’inventer des scénarios pour faire revivre l’enfance. Reste le regret, le sentiment de culpabilité, la honte peut-être d’être vivant et d’oublier pendant ces jours où il possible de croire au bonheur. Des personnages terriblement séduisants.

«On ne rentre jamais à la maison» de Stéfani Meunier est paru aux Éditions du Boréal.