dimanche 21 août 2011

Voyage au bout de soi avec André Pronovost





Exclusif à Littérature du Québec
André Pronovost parcourait, il y a plusieurs années, le sentier des Appalaches. Une aventure qui lui a fait traverser treize états américains. Cinq mois de marche, mais peut-être aussi l’aventure d’une vie.
«À l’aube de 1978, mon vieux rêve de couvrir en entier les deux mille milles de l’Appalachian Trail était devenu envahissant. J’avais besoin de me retrouver, de passer à autre chose, et que le diable emporte le reste ! Je partirais en février. À la mi-février, et en cinglant du sud au nord, de la Géorgie au Maine. Avec le printemps, quoi.» (p.11-12)
Une véritable épreuve physique l’attend, des conditions souvent difficiles. Le marcheur doit combattre le froid, la neige et la grêle; le vent, la chaleur, la pluie et les moustiques. Tout ce que l’on peut imaginer quand on ose s’aventurer dans des régions isolées.
Tout cela pour oublier un amour impossible, une thèse sur la psychologie animale qui bat de l’aile.
Les longues marches, les montées, les descentes, les nuits glaciales dans des abris où les moufettes et les souris circulent ont de quoi faire hésiter les plus courageux. L’écrivain en se confrontant aux éléments, apprivoise la solitude, jongle avec des questions existentielles qui pèsent parfois plus que son sac à dos.
«Je caressais, malgré mes doutes, une ambition tout à fait nette : me griser comme jamais je ne l’avais fait jusque-là dans ma vie d’air pur et de liberté ; briser mes fers et échapper aux erreurs de mon époque ; filer, filer vers les étoiles dans la nuit américaine.» (p.24)
On ne peut s’empêcher de penser à Jack Kerouac, aux «Anges vagabonds» entre autres.

Rencontres

L’aventure devient rapidement une marche à travers le temps et l’histoire de l’Amérique. Il croise des gens habités par des croyances qui leur permettent de vivre en paix ou qui cherchent un sens à leur existence.
«Je suivis la piste d’un ours entre le col de Spanish Oak et le sommet chauve et baigné de lumière de Snowbird Moutain, et à midi, après douze milles de marche allègre, me voilà en présence d’un type pas très vieux, pas très grand, à la figure rude et hâlée comme du poisson séché, aux yeux insondables, aux cheveux de jais, aux dents aussi blanches que celles de son chien. S’agissait-il de Lee Eagle, l’Amérindien winnebago qui pousse son mythe d’un pôle à l’autre de cette longue piste des Appalaches?» (p.81-82)
Chacune des étapes permet de croiser des originaux, des parias, des illuminés qui veulent transformer leur vie. Ils partagent un repas, un abri et chacun repart en ayant comme but d’atteindre le prochain relais où la prochaine agglomération pour faire des provisions.
Dans ces villages et ces petites villes, le marcheur fait la connaissance de gens qui l’aident sans rien demander en retour. Se remettre en route devient alors plus exigeant. Comment distancer ses obsessions même s’il connaît de véritables moments d’euphorie et d’extase ?
André Pronovost aura vécu une expérience humaine incomparable, une sorte de voyage initiatique qui lui permet d’aller au fond des choses et de découvrir l’âme des États-Unis d’Amérique.
L’écrivain a eu raison de rééditer ce récit unique. Une descente au fond de soi, une plongée dans un pays qui a du mal à s’assumer même s’il fait la loi sur la planète, qui hésite entre un idéal de pureté et le matérialisme. Absolument fascinant.

«Appalaches» d’André Pronovost est paru aux Éditions XYZ.

Jennifer Tremblay surprend dans ce récit

«Le carrousel» de Jennifer Tremblay surprend d’abord par la forme, l’écriture minimale qui se maquille en poème. L’auteure qualifie cette façon de faire de récit théâtral. Les dialogues se croisent, s’amalgament et la parole devient une sorte d’écho à ses propres questions. 
«Marie.
  Où es-tu Marie.
  Marie je te parle.
  J’exige que tu me répondes.
  Oui ma petite fille.
  Je suis là.
  Ma petite-fille.» (p.11)
Voilà ! Une femme part rejoindre sa mère mourante. Elle monte dans son auto et son esprit fait des bonds, tourne sur lui-même comme dans un carrousel. C’est toujours ainsi quand on se retrouve face à soi-même, sur une route qui traverse tout un continent presque.
«Je saute dans la voiture.
  Direction nord-est.
  Je suis la route qui longe le fleuve.
  Les aurores boréales.
  Les étoiles filantes.
  Ma mère habite loin.
  Je suis les courbes.
  Le camion devant.
  Le camion derrière.
  Il va m’emboutir.
  M’emporter.
  D’où viennent ces camions.
  Pourquoi ne me laissent-ils pas passer.
  La lueur aveuglante des phares.
  Il n’y a rien de facile dans ce pays.
  Il faut s’arracher les yeux.
  S’arracher le cœur.
  Pour traverser ce pays il faut s’arracher le cœur.» (p. 19)
Pendant le long parcours, elle s’adresse à sa grand-mère décédée, retrouve des scènes de sa vie, des moments qui l’ont marquée. Peu à peu le passé remonte à la surface.

Une vie

Le lecteur voit surgir des personnages importants, marquants pour la jeune femme et l’enfant qu’elle a été. La grand-mère bien sûr et la mère qui a passé son enfance au couvent avec les religieuses. Les femmes de la famille s’imposent, l’étourdissent, reprennent sans cesse une scène pour la préciser. La saga familiale se précise non sans douleur et sans peine. Un père absent qui fascine.
«Suis moi ma fille.
  Je gambade derrière lui.
  Il pousse la porte vitrée de l’hôtel.
  Une femme fanée en jupette noire nettoie les tables.
  L’odeur âcre de la fumée dissipée et de la bière évaporée.
  Une odeur de fête terminée.
  Une odeur de fête qui va commencer.
  Les miroirs sur les quatre murs.
  On dirait que nous sommes cent.
  Le pianiste pianote.
  C’est mon oncle.
  Le chanteur chantonne.
  C’est mon oncle aussi.
  Charles s’assoit à la batterie.
  Ils sont heureux tous les trois.
  Ils vont me faire un spectacle.
  Ma chanson préférée.
  Une chanson de Joe Dassin.» (p.46)
Femmes dominées et trompées, hommes peu fiables et inquiétants avec les jeunes filles. Tout y est.

Exploit

Jennifer Tremblay réussit à esquisser l’histoire d’une famille en quelques lignes.
«Combien de fois ai-je traversé ce pays.
   Franchi ce fleuve.
   Combien de fois.
   La splendeur d’une baleine apparaissant au soleil couchant.
   La joie d’apercevoir un béluga.
   Un renard.
   Un oiseau de proie.
   Je suis née ici.
   Au pays des cadavres d’orignaux sur les toits des voitures.
   Au pays de la neige.
   Sale.
   D’octobre jusqu’à mai.
   Marie.
   Je suis tombée.
   Cela m’a tuée.» (p.63)
On reconnaît le pays du Saguenay à la hauteur de Tadoussac. Troublant et surtout difficile de ne pas s’étourdir sur ces dialogues pour mieux comprendre. Jennifer Tremblay prouve qu’il faut peu de mots pour évoquer un univers, des personnages qui demeurent longtemps dans votre esprit. Un récit qui échappe au temps pour dire l’essentiel, ce qui marque un enfant. Ce que l’adulte plus tard tente d’ignorer. Et faites l’expérience de lire ces textes à haute voix. C’est fascinant.

« Le carrousel » de Jennifer Tremblay est paru aux Éditions de La Bagnole.
http://www.leseditionsdelabagnole.com/0_1_artistes/jtremblay.php

lundi 15 août 2011

Guy Lalancette vit la mort de sa soeur


Un accident de la route a emporté la sœur de l’écrivain Guy Lalancette. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi qui mettait fin à une semaine folle de gestes et de préoccupations. Et, il y a eu la sonnerie du téléphone, une voix. 
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.»  (p.18)
La sœur, la complice qui avait partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires venait de succomber. Il n’y avait plus de mots, il n’y avait plus de phrases.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.»  (p.28)
Les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans une vague. Tout ce vécu qui se bouscule.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs s’amènent de partout et figent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.1
L’écrivain, le frère dévasté, tente de se guérir par les mots. La mort fait les manchettes des journaux et de la télévision. Une itinérante est retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal, une jeune fille se pend dans le garage familial après une rupture amoureuse, un homme tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts en écho à sa propre fin qui viendra bien un jour, sur la pointe des pieds ou dans un grand fracas.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence et de la haine qui aveugle partout.
Un sujet difficile, une écriture un peu rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui brûle l’être. Un court récit senti et particulièrement émouvant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est paru chez, VLB Éditeur.

William S. Messier explore le quotidien


Que voilà des récits étonnants et séduisants! William S. Messier, dans «Townships, récits d'origine» nous entraîne dans les Cantons-de-l’Est pour y faire des découvertes étonnantes.
Le narrateur s’égare dans un puzzle inextricable de chemins et de routes. Une manière de surprendre des villages discrets, des hommes et des femmes qui vivent en marge du monde.
 «Sainte-Cécile-de-Milton doit être la ville la moins bien définie des Cantons-de-l’Est. Le genre de village qu’on traverse d’une limite à l’autre avant d’avoir fini de prononcer le nom au complet. Comme Saint-Cyrille-de-Wendover ou n’importe quel autre Saint-Quelque-chose-de-Quelque-chose-d’autre ; des noms de villages qui ne deviendront jamais des noms de grandes métropoles.» (p.12)
Il suffit pourtant de s’arrêter à un relais et l’étrangeté s’approche le sourire aux lèvres. Dans «Cantine 12, Sainte-Cécile-de-Milton», le narrateur fige devant des serveuses siamoises.
«Puis, je les ai vues passer de l’autre côté du comptoir, toujours collées. Les deux sont allées à la cafetière. Une a ramassé une tasse sur l’étagère, l’autre y a versé du café. Et les deux avaient la main dans la même poche du tablier de celle qui versait le café – je ne sais plus si c’était Lina ou Diane. Une des deux a remarqué  que je les fixais.» (p.14)
Elles sont soudées par le petit doigt et semblent s’accommoder parfaitement de leur situation.

Art

Le merveilleux accompagne souvent les gens qui vivent simplement et qui n’apparaissent jamais aux nouvelles télévisées. Le fabuleux se niche là où on ne l’attend jamais.
«Il avait une bosse en dessous du bras qu’il cachait avec une espèce de linceul. C’était le fœtus semi-vivant de son frère jumeau François-Claude Bouchard. Il lui mettait toujours un linceul ou une nappe ou un foulard ou une napkin ou un drap ou quelque chose, parce que sa peau était très sensible au soleil. Il le nourrissait avec du beurre de pinottes qu’il ramassait autour de son pouce. Quand tu voyais Charles-Arthur Bouchard se promener avec une main en dessous du linceul, dans l’aisselle, accotée sur la bosse, tu pouvais être certain qu’il y avait au bout de cette main-là une bouche de fœtus semi-vivant qui se tétait un snack.» (p.70)
Des souvenirs d’enfance, des découvertes, des initiations à l’amour, des pertes aussi quand il se souvient du jour où il a appris la mort de Gerry Boulet. Une belle flânerie qui permet d’écouter une émission de radio en parcourant un rang d’un bout à l’autre ou encore un match de hockey qui ressemble à un combat extrême.
Des surprises qui se cachent dans la vie de tous les jours et surtout une écriture qui frappe à grands coups de marteau. Un écrivain attentif aux gens, sensible à la géographie qui forge peut-être les individus. Un humour incomparable. 

«Townships, récits d’origine» de William S. Messier est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

http://www.marchanddefeuilles.com/marchanddefeuilles_038.htm

Alain Olivier ou le voyage intérieur

Vingt ans plus tard, Alain Olivier retourne au Mali, dans un pays qui l’avait séduit à l’époque. Pourquoi partir au bout du monde? Ces questions surgissent quand vient le temps de faire ses valises.
«Lorsqu’on part en voyage, on porte toujours en soi le secret espoir de réinventer sa vie. Personne n’y échappe, pas même le plus choyé des hommes. Même comblé- avec à ses côtés la plus ravissante des compagnes, un fils adorable, entouré d’amis fidèles, menant une carrière exaltante-, qui n’en vient pas certains jours à rêver d’une nouvelle existence?» (p.11)
Se réinventer pour devenir un autre. Il semble que ce soit la plus folle des utopies, mais il est difficile de ne pas y croire.
«On continue pourtant de se bercer de l’illusion que le voyage, inévitablement, nous transformera. Qu’il n’en restera pas que des photographies sur du papier glacé, ni mëme des souvenirs inscrits dans la mémoire, mais que ce qu’on y aura vécu sera gravé, buriné dans notre chair.» (p.11)
Il faut pour cela quitter son confort et aller vers l’autre. Le voyageur attentif se heurte à des différences et des croyances qui changent selon les lieux et les espaces.

Retour

Laissant sa famille, son fils avec qui il a fait un périple au Vietnam, Alain Olivier entreprend un pèlerinage aux sources, histoire de jauger où il en est. Il se rendra vite compte que tout bouge et que rien ne peut être pareil.
«Je détourne la tête, complètement désemparé. Je viens de réaliser soudainement que cet homme est mon miroir. Je voudrais retrouver la passion qui m’a tant fait aimer ce pays et j’attends, assoupi, qu’elle renaisse. Or, il y a des gens qui vivent là. Juste à côté. Tout près de moi. Comment se fait-il qu’ils me paraissent si loin. Qu’ils me semblent hors d’atteinte ? Qu’ils demeurent hors de moi. N’est-ce pas pourtant sur le continent africain que j’ai commencé, à vingt ans, à ne plus me sentir totalement étranger aux autres- et à moi-même?» (p18)
Le voyageur se laisse prendre par le rythme de ce pays enchanteur. Il s’attarde auprès des gens qui luttent tous les jours pour avoir un peu d’eau dans les campagnes. Des hommes et des femmes l’accueillent. Il prend un repas avec eux, écoute, sourit et écoute encore. Et le plus important: un arbre dans la savane, des rires, des moments uniques où la communication fait vibrer l’être et peut-être l’âme aussi.

Retour

Il reviendra pourtant, il faut toujours revenir. Il retrouvera sa compagne, ce fils à qui il s’adresse tout au long du récit. Celui qui rentre est toujours un peu différent et semblable. La vie, qu’on le veuille ou non, transforme le voyageur.
«Car le voyage, immanquablement, bouscule le voyageur. Il y découvre sa véritable identité et donc, forcément, ce qu’il y a de plus singulier en lui, son individualité propre, mais aussi le banal, le commun, c’est-à-dire son humanité et, par delà, celle de ses semblables. Et c’est ainsi que le voyage nous prépare à cet instant à la fois unique et universel où nous devrons tout laisser, de façon irrémédiable, derrière nous.» (p.316)
Voilà une belle occasion de réfléchir sur l’accueil, l’amitié et l’amour. Un plaisir que de suivre ce voyageur attentif qui prend le temps d’écouter, de regarder et de réfléchir. C’est l’art même de l’exploration intérieure.

«Voyage au Mali sans chameau» d’Alain Olivier est paru aux Éditions XYZ.

http://www.editionsxyz.com/auteur/98.html