dimanche 25 avril 2010

Anica Lazin dénonce la bêtise humaine

La journaliste Anica Lazin, née à Kikinda au nord de l’ex-Yougoslavie, a dénoncé la guerre et la dictature du président Slobodan Milosevic. La jeune femme devient l’ennemie d’un régime totalitaire et raciste.
«Tisza» témoigne de son exil et de son désarroi, mais aussi de celui de ses proches. Les lettres deviennent un cri, les confidences qui tentent de briser tous les isolements quand l’avenir n’est plus certain.
Il faut le dire, j’ai eu du mal à m’ajuster à «Tisza». Je m’attendais au récit d’une longue migration qui passait par la France avant d’aboutir au Québec.
Il faut un temps pour apprivoiser les signataires de ces lettres, se familiariser avec des univers qui semblent disparates. Après une vingtaine de pages, j’ai connu le ravissement.
«Je l’ai vue ce matin. J’ai vu l’histoire des peuples condamnés à choisir entre l’exil et la guerre. J’ai vu le Danube bleu rougir du sang, juste là, après le virage soudain qu’il fait en tournant vers l’est. Je l’ai vue ce matin, petite Kila, coincée dans le long entracte entre deux soupirs. Ne parlant que l’allemand, le serbe et le hongrois, elle sautait sur les toits de l’exil en cherchant pendant quinze ans un signe reconnaissable, une flèche, un repère.» (p.46)
Nous touchons le souffle, la pulsion, l’espoir qui permet de croire en une autre existence; cette étincelle qui fait que les humains passent à travers les pires épreuves.

Formes d’exils

L’exil prend plusieurs formes. Les lettres de Tchaïkovski à son ami Modeste Vakar ou de la comtesse Nadejda von Meek ne témoignent pas de la réalité de ceux qui vivent la guerre, la violence et la dictature. On peut fuir un amour d’enfance, tenter de nier son homosexualité, vivre à l’écart pour mille raisons. Que dire du désarroi de Frantz Schubert quand il a lu cette ultime lettre de sa mère.
«Je quitte cette salle d’opération, dans laquelle j’ai subi pendant des années l’acte de chirurgie du cœur. Je débranche tous les appareils qui m’ont tenue, y compris l’amour maternel. Trop forte pour continuer et trop faible pour résister. Je ne vous demanderai jamais de me pardonner, parce que le pardon n’existe pas. Il existe l’oubli, l’acceptation et la résignation. Choisissez ce que vous voulez ! C’est votre vie, la mienne ne vous appartient pas. Je vous ai donné ce que je pouvais. Je ne veux pas assister à votre fin. Qu’elle arrive sans témoins!» (p.39)
La tragédie peut être intime ou celle de tout un peuple.

Une quête

La lettre claque tel un cri dans la nuit. Et peut-être que c’est tout ce qui reste quand on ne sait plus si demain sera possible. Pas question de tricher alors ! La vérité éclate, sans retenue. Ces dépêches dénoncent la folie des hommes et des femmes, ces vies impossibles, expriment des secrets refoulés pendant toute une vie.
Voilà des textes d’exil et d’amour qui atteignent des sommets, des pages qui montrent l’âme humaine quand tous les interdits s’effritent. Les victimes qui subissent les bombes, les soldats qui sèment la mort dans les villages, les femmes qui protègent les enfants et vivent la peur, la violence et la haine parlent.
«J’ai pensé pouvoir placer une vie dans quatre valises. Je me suis trompée. Je n’ai réussi à y faire entrer qu’une chose : la peur. Et même là, elle déborde. Je traverserai ce soir les hantises de la censure. Qu’y a-t-il au-delà d’une vie?» (p.214)
Un grand livre qui touche les fibres de l’être et dénonce les folies humaines que sont la guerre, le racisme et tous les excès du pouvoir. Vrai ! Bouleversant ! Anica Lazin révèle l’humain dans sa simplicité et sa vérité, quand toute retenue tombe.
« Te rappelles-tu cet arbre centenaire, noueux comme tes mains, vigoureux comme notre amour, solitaire comme moi ? Il nous offrait son ombre, planté là, sur la plage sauvage, où nous nous sommes unis. Le jour de notre départ, tu m’as dit que si tu mourais jeune, tu voudrais que ton âme devienne l’âme de cet arbre.» (p.321)
Cette quête dépasse toutes les époques et échappe à toutes les frontières. Un éblouissement.

«Tisza» d’Anica Lazin est publié aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 18 avril 2010

Vincent Thibault joue à Sherlock Holmes

Tout porte à croire que le héros de Vincent Thibault, dans «Les mémoires du docteur Wilkinson», a vraiment existé. L’auteur serait même le petit-fils de Jane Amanda, la sœur de ce curieux personnage.
 Né à Sheffield en Angleterre en 1903, il aurait immigré au Canada avec sa famille en 1919 pour s’établir à Montréal. Il a fait des études en médecine avant de s’installer aux États-Unis, en Louisiane, un coin de pays qu’il adopte. Le docteur Wilkinson prend sa retraite en 1963 avec une certaine réputation de psychiatre. Il meurt en 1994. Ses données biographiques sont irréprochables.
Au moment où il ferme son cabinet, il se permet de dévoiler certains secrets.
«… Il prescrivait des petits comprimés de farine à ses patients. De la simple farine de blé, ou encore de la fécule de maïs, à quoi on donnait parfois une teinte légèrement glacée par l’ajout d’un colorant adéquat.» (p.17)
Le spécialiste croyait à l’effet placebo, c’est-à-dire que l’esprit fait tout le travail. Il suffit de donner confiance aux patients pour les remettre sur le bon chemin.
«Wilkinson, en dépit de ses longues études en psychiatrie, en était venu à considérer que les patients – peut-être pas toujours, mais son expérience personnelle et professionnelle avait inlassablement confirmé cette intuition –, n’avaient aucun besoin véritable de médication, et qu’ils pouvaient s’en tirer avec une thérapie appropriée.» (p.16)

Nouvelle passion

Libre de son temps, il se découvre un nouvel intérêt qui l’entraîne dans d’étranges aventures.
«Mais j’en vins à découvrir une nouvelle passion, si personnelle, si vitale même que le mot « passion » me semble inadéquat : je me mis à écrire. D’abord un peu n’importe quoi. Je réécrivais des articles du journal, le Mississipi News – qu’est-ce qu’ils pouvaient être mal écrits, parfois! Mais je m’y ennuyai bien assez tôt. Alors, j’écrivis sur ma vie qui, je dois l’avouer, fut parsemée d’aventures pour le moins inattendues.»  (p.31)
Le bon docteur Wilkinson est fasciné par les faits divers, ces crimes que l’on retrouve en première page des journaux. L’amoureux de l’une se ses patientes est empoisonné. Tout porte à croire que le frère de la jeune femme est l’auteur du crime. De curieux vols se produisent dans les maisons cossues. Chose étrange, tous surprennent un alligator géant qui déambule dans la maison avant les vols. Les victimes accusent Kodjo, le sorcier vaudou. Du moins on voudrait bien que ce soit lui qui écope. Un braquage d’autobus où le médecin devient l’otage d’un homme désespéré nous en apprend beaucoup sur la nature humaine. La dernière nouvelle a été écrite par le père de l’écrivain, Jacques. Elle raconte le séjour du docteur Wilkinson à Genève, l’été avant qu’il ne migre à Montréal. Une véritable affaire de famille.

Enquête

Le docteur Wilkinson se transforme en limier, un peu à la manière d’un Sherlock Holmes, et trouve rapidement les auteurs des crimes en utilisant la logique et en scrutant les faits.
«Il n’y a pas de hasard. Ce que l’on croit spontané, inattendu, se voit rapidement apposer l’étiquette de «hasard», comme si l’effet était dénué de causes. Mais au fond, s’il y a effet c’est qu’il y a causes, cependant qu’elles sont simplement trop nombreuses ou trop subtiles pour nous apparaître clairement.» (p.46)
Voilà des nouvelles qui mettent en scène un personnage sympathique qui se retrouve dans des situations qui sortent de l’ordinaire. Il y a une fraîcheur dans cette écriture un peu surannée qui emporte et fait croire aux aventures les plus invraisemblables. L’alligator cambrioleur, par exemple. La fin est plutôt ratée, mais ne rechignons pas.
Les malfaiteurs et les assassins ne sont jamais méchants, démontrant plutôt les faiblesses de la nature humaine.
Surtout, par le biais de ces enquêtes, nous découvrons un homme qui aime la vie, les bonnes choses et entend en profiter. Il faut s’attarder aux habitudes du célibataire qui aime fumer et prendre un verre en compagnie de son ami le banquier ou le pasteur. C’est humain, chaleureux, parfois amusant et souvent tragique. Vérité ou fabulation? Qu’importe ! Le lecteur ne s’ennuie jamais. C’est plein de finesse et la Louisiane devient le véritable sujet de ces mémoires, ce pays où le mal ne peut exister que sous sa forme la plus bénigne.

«Les mémoires du docteur Wilkinson» de Vincent Thibault est paru à La Pleine lune.

jeudi 15 avril 2010

Bïa s'impose comme écrivaine à son premier essai

Bïa s’est imposée comme chanteuse au Québec. Si le prénom est familier, il faudra tenir compte maintenant de Krieger, son nom de famille. «Les Révolutions de Marina» nous plonge dans les pérégrinations qui ont marqué son enfance.
Militants engagés, ses parents devaient changer d’identité et se déplacer constamment pour échapper à la police et à la dictature. 
«Ceux, qui, comme mes parents, ne croyaient pas à la violence comme moyen pouvant servir des fins légitimes, vouaient leur existence à la diffusion d’organes d’information illégaux, à l’organisation de syndicats, à la sensibilisation des masses laborieuses et à la pénétration des idées libertaires tant dans les couches opprimées que chez les intellectuels du pays.» (p.14)
Pendant ces disparitions, la jeune Marina se retrouvait chez ses grands-parents maternels. Un couple conservateur, mais des gens généreux qui n’hésitaient jamais à aider leurs enfants.

Le goût de l’exil

Marina prend goût à ces exils qui la mèneront dans différents pays d’Amérique du Sud. Particulièrement le Chili pendant le court règne de Salvador Allende. Ses parents y trouvent du travail et peuvent enfin vivre au grand jour, n’ayant plus à dissimuler leurs idées et leurs croyances. Tout semble possible pendant cette période d’euphorie.
«J’aimai le Chili. Son air froid et sec qui faisait geler les crottes de nez, provoquant sans cesse des saignements de narines. Son peuple si taciturne, grave, mélancolique et assoiffé de poésie, ces visages homogènes, cette parfaite chiliennitude faite de cheveux noirs de jais, d’yeux légèrement bridés, de pommettes hautes et de peaux mates, de femmes sérieuses et sans fard et d’hommes introspectifs épargnés par la calvitie.» (p.69)
Le rêve ne durera pas. Il faudra s’exiler au Portugal cette fois, composer avec une société sclérosée.

Le Brésil

Et après bien des déplacements, des escales chez les grands-parents, elle retrouve le Brésil à l’âge de l’adolescence.
«Je débarquai au pays du dévergondage, où l’on expose les rondeurs charnues sans y penser, où l’on s’appelle «mon amour» et «chéri» à la caisse du supermarché ou dans l’autobus. «Tu n’as pas l’appoint chérie?» «Ah, désolée, mon cœur ! Je n’ai aucune monnaie !» Le langage corporel, le ton de voix langoureux et les attouchements triviaux du plus banal échange carioca seraient passés à Lisbonne pour une invitation à la débauche; et sous ces gais tropiques les bikinis tenaient moins de place qu’une balle de ping-pong dans une main fermée. J’étais dépaysée dans mon propre pays.» (p.35)
Les migrations peuvent faire en sorte que l’on devient étranger dans son propre pays.

Témoignage

Apprentissage des langues, découverte de la différence, Bïa Krieger témoigne de son vécu simplement. La fillette montre une capacité de résilience et d’adaptation exceptionnelle.
Le récit passe de la vie de l’enfant à celle de l’adolescente qui connaît ses premiers émois avec des garçons pour replonger dans ses premières années. Une fois familiarisé avec ces allers et ces retours, on suit la narratrice avec plaisir.
Bïa Krieger est plus qu’une chanteuse. Elle démontre dans «Les Révolutions de Marina» un talent d’écrivaine.

«Les Révolutions de Marina» de Bïa Krieger est publié aux Éditions du Boréal.

dimanche 11 avril 2010

Louise Warren vit un livre à la main

Les livres ont toujours fait partie de la vie de Louise Warren. Dans «Attachements, Observation d’une bibliothèque», l’écrivaine jette un regard sur une aventure qui a commencé tôt.
«Rue Saint-Urbain, à chaque étage de la maison il y avait des bibliothèques. Dans celle de mon père se trouvaient une majorité de livres anglais. Surtout des encyclopédies, des bouquins sur la philatélie et l’histoire, ainsi qu’une section d’ouvrages sur l’architecture dont j’aimais tout particulièrement observer les plans et les photos d’intérieurs.» (p.12)
Les livres du père côtoyaient ceux de sa mère qui appréciait particulièrement les voyages. Rapidement, la fillette aura droit à sa propre bibliothèque.
«Quand ma sœur a quitté la maison, j’ai hérité de sa chambre et mon père a installé une série de planches sous les combles. Aux livres jeunesse que ma sœur avait laissés s’ajoutaient les miens.» (p.14)
La grand-mère vivait «deux étages plus bas» avec ses habitudes et ses livres. Une présence qui accompagne ou oriente les jeux de la fillette, lui permet de découvrir le monde.

Tous les livres

Les livres deviendront la vie de Louise Warren puisqu’elle abandonne tôt les études pour travailler en librairie.
«En janvier, je ne suis pas revenue à l’école. Je voulais travailler en librairie, je désirais tous les livres. Ironie du sort, les premiers mois à la librairie Ménard, mes employeurs m’envoyaient toujours à la cave chercher les manuels scolaires des élèves qui fréquentaient les collèges privés… …C’était en 1971. Le retour aux études se fit en 1993.» (p.153)
Curieuse de tout, elle flâne du côté du roman, de la poésie, des essais, des réflexions et de certains livres d’art. Il n’en fallait pas plus pour se constituer un monde, des goûts et une manière de vivre. Parce que la lecture a mené Madame Warren vers l’écriture. Comment pouvait-il en être autrement?
Exploration, découverte, mais aussi retour sur certains ouvrages qui deviennent des points d’ancrage, des références au même titre que certains lieux, certaines villes qui permettent de renouer avec des amis.

Délestage

La bibliothèque de Louise Warren est une gare de tri qui l’occupe beaucoup. Il y a des livres qu’elle abandonne après avoir effacé toutes les traces qu’elle a laissées en le lisant. Pour que le prochain lecteur s’y sente à l’aise, fasse ses propres découvertes peut-être. Si certains titres s’installent pour ne plus jamais la quitter, d’autres ne font qu’un court séjour sur les rayons.
«En parcourant sa bibliothèque, on s’aperçoit que la pensée fonctionne par plis, qu’elle reprend la forme des étagères, que nous ne sommes pas les mêmes en lisant. On peut se sentir complètement absent, abandonné, étranger, présent, vide ; il arrive même d’éprouver sa propre mort quand on n’entend plus rien d’un livre. Peut-être aussi à cause de ce poids que laisse la mort, je me départis de mes livres pour un autre lecteur qui saura leur donner vie.» (p.58)
En accompagnant Louise Warren, nous nous attardons auprès d’écrivains qui questionnent la poète. Rilke, Bachelard, Yves Bonnefoy, Katherine Mansfield, Emily Dickinson, Virginia Woolf, Nancy Huston, Borges et quelques écrivains du Québec comme Anne Hébert, Dany Laferrière, Marie Uguay et Pierre Nepveu. Des livres qu’elle attend! La biographie d’Anne Hébert et de Gaston Miron par exemple.

Centre du monde

Voyages, rencontres et nombre de découvertes de Louise Warren tournent autour du livre. Des moments précieux avec des éditeurs, des poètes, des illustrateurs, des peintres et des écrivains. Des lecteurs aussi qui viennent la rencontrer lors des manifestations littéraires. Parce qu’écrire, c’est aussi une lecture, prendre la route et rentrer changé et vibrant.
Voilà le parcours d’une lectrice qui sait bellement parler de ses découvertes et de ses coups de coeur. Elle rejoint un Robert Lalonde qui se fait découvreur du monde par ses lectures et ces écrivains qui le hantent et l’habitent. Louise Warren est de cette race qui explore le monde un livre à la main. Parce que vivre, peut-être, est la plus belle expérience de lecture que l’on puisse connaître.
«Je relis ces phrases non pas pour comprendre, mais pour revenir de mon effet de surprise. Passer doucement, tel est mon souhait. Le tissu de mon langage provient de l’émotion, une science comme une autre qui crée le langage poétique. La poésie, une forme d’intelligence qui s’applique à vivre. Je ne chercherai pas davantage. Cela suffit.» (p.171)

«Attachements, Observation d’une bibliothèque» de Louise Warren est paru à L’Hexagone.

samedi 3 avril 2010

Marie-Christine Bernard ne cesse de surprendre

«Ces histoires voyagent dans le temps et l’espace, entre la France du XVIe siècle et le Québec du XXIe, en passant par les Provinces maritimes du XIXe et la Gaspésie des années 1920. On y observe que la différence dérange, toujours, partout, et fait de ceux qui la portent des êtres, sinon invariablement honnis, du moins inévitablement suspects.» (p.11)
C’est ainsi que Marie-Christine Bernard, prix France-Québec 2009 pour «Mademoiselle Personne», présente «Sombre peuple», son premier recueil de nouvelles. Treize textes qui voyagent dans le temps et l’espace, s’installent dans les Maritimes, au Saguenay et en France à une époque lointaine. Madame Bernard aime les bonds dans le temps pour se dépayser et nous étonner. Ses textes démontrent que la bêtise humaine n’a ni époque, ni lieu en particulier et qu’elle a souvent des conséquences tragiques. Il semble que de tout temps, ce fut le propre, pour ne pas dire la caractéristique des humains, que d’ostraciser ceux et celles qui dévient de la norme. Même qu’elle n’hésite pas à débusquer la bêtise dans l’actualité régionale.
«Cela s’intitulait : « Eschatologie populaire : essai sur la pensée apocalyptique sous Jacques Tremblay ». Le Jacques Tremblay en question, maire de Chicoutimi, n’aurait évidemment compris que dalle à cet article, étant donné qu’il n’était que notaire de formation. En plus, il militait encore pour la prière en début d’assemblée municipale, affirmait aller à confesse régulièrement, clamant qu’il n’était pas question qu’il prenne le risque de se présenter devant Dieu sans être absolument certain d’avoir l’âme propre.» (p.18)
La réalité dépasse la fiction, on ne cesse de le répéter.

Cas limites

Marie-Christine Bernard aime les originaux, ceux et celles qui deviennent des révélateurs, montrant les travers de nos sociétés. Ce peut-être un maire qui se croit drapé du manteau de Dieu, ou Salomon Cohen, un intellectuel qui lit des romans d’amour en secret.
Cette différence, on la porte en soi ou sur soi. Ce peut être la beauté de Penelle qui attire tous les regards des hommes ou encore la couleur de la peau. Cromwell, un esclave en fuite, trouve refuge auprès de Juliette, une fille ostracisée par la communauté parce qu’elle souffre de strabisme. Ces parias trouveront l’amour, mais ils le paieront chèrement.
«On se disait que son œil gauche regardait le Diable. On racontait qu’elle avait envoyé son homme ad patres avec l’aide du Malin. On se signait, on crachait par terre sur son passage. On la tolérait, dans sa cabane miteuse aux abords du village, parce qu’il n’existait pas de preuves que son homme fût mort et parce que, par conséquent, elle demeurait la bru du bootlegger, le tout-puissant Adolphe Robichaud, qui avait le pouvoir absolu sur tout le monde, ou presque.» (p.119)
Le texte le plus consistant du recueil, celui qui donne le titre à l’ensemble.
Pas de côté

Cette marginalité peut venir de l’âge, d’un fantasme, d’une sorte de glissade dans le temps pendant le Carnaval de Québec ou encore d’une bonne volonté qui provoque une tragédie dans «Michou».
Marie-Christine Bernard, encore une fois, révèle un sens de l’observation remarquable, une finesse qui s’exprime dans le détail et lui permet de plonger dans différentes époques. Nous lisons chacune de ses nouvelles avec émotion, une sorte de crainte qui nous tient en haleine en souhaitant éviter le pire.
Elle montre aussi un sens remarquable de la chute. Souvent les finales étourdissent et surprennent. Elle nous déroute et nous fait prendre conscience que ce ne pouvait être autrement. Signalons «Vie et mort de Louis-Seize Stone». On ne porte pas un tel prénom sans en subir les conséquences.
Marie-Christine Bernard possède une dextérité que peu d’écrivains peuvent se vanter d’avoir. Toujours une surprise que de la lire et de découvrir une nouvelle facette de son talent. Curieuse de tous les genres, elle aime se faire exploratrice pour notre plus grand plaisir.
« Sombre peuple » de Marie-Christine Bernard est publié aux Éditions Hurtubise.
http://www.editionshurtubise.com/catalogue/1878.html