jeudi 11 décembre 2008

Fred Dompierre ou l'homme en fuite

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.
Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.

Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.

Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.

Anick Fortin questionne la vie amoureuse

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.

Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.


Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.
 
Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.

dimanche 7 décembre 2008

Pour mieux saisir la manière d’Hervé Bouchard

«Le paradoxe de l’écrivain» inaugure une nouvelle collection de La Peuplade qui entend nous faire mieux connaître certains créateurs contemporains. On ne peut qu’applaudir! Cet ouvrage, malgré ses limites, permet de mieux cerner l’univers d’Hervé Bouchard et sa façon de pratiquer l’écriture. Une belle manière de s’attarder un moment sur une littérature récente qui emprunte des sentiers originaux et déroutants.
Ceux et celles qui ont lu Hervé Bouchard ou assisté à la dernière production du Théâtre Cri de «Parents et amis sont invités à y assister» ont été surpris par un feu d’artifice verbal qui anime et porte tous les personnages, cet univers à la fois familier et étrange. Une aventure fabuleuse qui nous emporte même si Bouchard ne s’éloigne jamais de la vie d’une famille ordinaire dans «Mailloux histoires de novembre et de juin» et dans «Parents et amis sont invités à y assister». Ce n’est pas la trame narrative qui étonne, mais ses monologues qui se déploient comme des aurores boréales qui permutent souvent. Certaines allégories aussi, comme cette mère Beaumont enfermée dans une robe en bois après la mort de son mari.
«Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge», que j’écrivais à la parution de «Parents et amis sont invités à y assister»  en 2007.
Cette façon de dire soulève bien des questions et c’est sans doute ce qui a fasciné Stéphane Inkel, professeur et chercheur, auteur du «Paradoxe de l’écrivain». Mentionnons qu’il est plutôt rare qu’un universitaire se précipite ainsi vers un nouvel écrivain.

Originalité

Soliloques sans fin, phrases relancées constamment dans une sorte de halètement, chants incantatoires et hallucinatoires font perdre l’équilibre à celui qui voit ou entend. En quelques phrases, l’écrivain nous plonge dans une autre dimension.
Stéphane Inkel débusque les influences littéraires et les repères d’Hervé Bouchard. Une analyse d’une soixantaine de pages où il plante certaines balises. On y rencontre Samuel Beckett, Valère Novarina, Denis Diderot et Stéphane Mallarmé. L’essayiste n’hésite pas à établir des parallèles avec Sylvain Trudel, Gaétan Soucy ou Réjean Ducharme. Même Victor-Lévy Beaulieu surgit ici et là dans cette excursion.
J’avoue avoir sourcillé quand il est question du «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots» de Beaulieu. Le chercheur emprunte des raccourcis. Victor-Lévy Beaulieu, quand il rencontre ses maîtres en écriture, que ce soit Herman Melville ou Jack Kérouac, n’est pas loin de la manière Bouchard, contrairement à ce qu’Inkel et l’auteur de «Parents et amis» laissent entendre. Il y a osmose chez les deux.

Entrevue

Le plus éclairant dans l’ouvrage de Inkel est cette entrevue réalisée sur la plage du parc de Pointe-Taillon. Hervé Bouchard se livre, parle de son écriture et de ses intentions, de ses références, de ses incursions dans certains textes qu’il s’approprie sans scrupule. Nous comprenons mieux cette manière de dire, de foncer à une vitesse vertigineuse en culbutant mots et phrases. On pourrait certainement faire un parallèle entre le désir des surréalistes et des dadaïstes qui voulaient «dire» un autre monde en ne refusant aucun détour, aucun excès et abattre toutes les frontières.
Espérons que cette nouvelle collection nous réservera d’autres belles surprises. Les écrivains Larry Tremblay et Daniel Danis, des créateurs comme Jean-Jules Soucy pourraient y avoir une place. Il va sans dire que La Peuplade n’entend pas se restreindre aux créateurs de la région. C’est fort heureux! Il faut chasser l’originalité où elle se cache, dans toutes les manières de vivre l’art.
Et il faudra bien un jour cerner la figure de l’enfant dans le roman québécois. Presque toujours une enfance idéalisée, triturée, bousculée qui a donné les œuvres les plus percutantes de notre littérature. Songeons à Marie-Claire Blais, Bruno Hébert, Réjean Ducharme, Guy Lalancette, Pierre Gobeil, Gaétan Soucy, Robert Lalonde et Lise Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Emprunter la voie de l’enfance permet d’écosser la langue française et de bousculer le lecteur dans ses références et ses habitudes. Une belle exploration qui nous réserverait de grandes surprises.

«Le paradoxe de l’écrivain», entretien avec Hervé Bouchard par Stéphane Inkel, est paru aux Éditions La Peuplade. 

dimanche 30 novembre 2008

Vitomir Ahtik est un romancier fascinant


Des communautés surgissent autour d’une mine ou au cœur d’une forêt. Elles croissent à une vitesse folle et quand les ressources s’épuisent, ou que les profits deviennent moins attrayants, les multinationales partent installer le miracle ailleurs. Ces communautés désertées perdent leur âme. Le passé est alors ce qui peut garder une forme de cohésion sociale dans un lieu qui se désagrège peu à peu.
Le drame a été vécu dans certaines communautés du Nord. Pensons à Schefferville où tout était possible et à Lebel-sur-Quevillon où, depuis quelques années, des hommes et des femmes attendent que tout redevienne comme avant avec la réouverture de la papeterie. Le miracle est devenu un cauchemar, l’avenir une serrure dont a perdu la clef. Vitomir Ahtik, né en Slovénie, dans «La porte du nord», plonge le lecteur dans une réalité de plus en plus présente sur la planète et notre région. Au-delà des soubresauts de la bourse, des pertes d’emplois qui gonflent les statistiques, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui sont broyés par des forces impitoyables.                                                                                                               

Refuge

Christian, un Québécois, a vécu la construction de l’oléoduc en Alaska. Il cherche un refuge pour oublier ses blessures, les humains et leurs appétits de bêtes féroces. Il débarque dans cette ville du nord qui a tourné le dos à l’avenir. Les mines sont fermées et le rêve s’étiole dans des ruines. «La porte du nord» est hantée par des humains qui ne savent plus quoi faire de leurs corps. Il y a bien un épicier et un aubergiste qui survivent grâce à l’alcool frelaté, un curé obsédé par Dieu et un instituteur qui voit ses rêves se noyer au fond d’un verre, rien ne réussit à retenir l’attention d’un jeune homme. Le quotidien s’est déglingué dans cette communauté repliée sur elle comme une bête blessée. Tous se méfient, surtout de ces étrangers qui peuvent secouer la marche des jours.
«C’est un peu comme dans un western : un gars bien bâti entre dans une ville, il marche seul, à pas lents. Il n’y a personne dans les rues, pas une seule tête aux fenêtres, les habitants se cachent, sur leurs gardes, se disant que si l’inconnu n’est pas venu pur tuer, régler une vieille rogne qu’il garde envers un des leurs, c’est sûrement pour les déposséder de quelque chose, même s’ils ne savent pas de quoi. Il aura beau ne toucher à personne et payer cash, il est venu les perturber.» (p.80)

Vie sauvage

Après avoir vécu de grands espoirs et cultivé les rêves les plus extravagants, la population se résigne à cette décrépitude.
«Ils ne vivent pas, ils survivent. Leurs sentiments ont gelé. Ils se débattent comme ils peuvent, pris dans les mailles d’un filet qui ne les lâche pas. Certains explosent, se font du mal à eux-mêmes. Personne ne partagerait quoi que ce soit avec ses voisins, encore moins avec quelqu’un venu de l’extérieur… Chacun garde en soi des rancunes, de la méfiance, quand ce n’est pas de la haine.» (p.33)
Même les adolescents rôdent comme des bandes de loups en terrorisant tout le monde. 
Christian croise Rose, une femme qui a perdu son mari et ses enfants. Une histoire d’amour se tisse, un métis traverse la ville comme un ange exterminateur, des aventuriers ne reculent devant rien pour garder la main sur le trafic de l’alcool. Des obsédés, des fous qui ne croient en rien, des désespérés. Quand Christian accepte de livrer une cargaison d’alcool à une agglomération située plus au nord, il signe son arrêt de mort.

Confrontation

Le roman d’Ahtik nous plonge dans la désintégration sociale, là où la peur règne avec la méfiance. L’action pourrait se situer dans les régions périphériques qui se dépeuplent, dans ces villages qui voient leur population s’étioler parce que l’avenir s’est sauvé un matin. Ne reste que l’attente et le rêve qui ne reviendra jamais. Les hommes sombrent dans l’alcool, la violence et la bestialité.
Un roman dense qui, par un retour des choses, nous pousse dans les envers des miracles économiques, des développements qui déclenchent les rêves les plus extravagants. C’est tout le côté sordide de l’Amérique qui surgit, l’exploitation des ressources naturelles qui se transforme en drame. Des humains qui voient leur avenir leur être enlevé. 

«La porte du nord» de Vitomir Ahtik est paru aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 23 novembre 2008

Une autre plongée dans l’imaginaire québécois

Victor-Lévy Beaulieu, aux Éditions Trois-Pistoles, travaille depuis quelques années à dresser la carte de l’imaginaire des Québécois, région après région. Il lançait cette magnifique collection en l’an 2004 avec «Contes, légendes et récits du Saguenay-Lac-Saint-Jean» colligée par Bertrand Bergeron. Des livres sont parus depuis sur le Bas-Saint-Laurent, l’Outaouais et la Gaspésie. À signaler l’ouvrage d’Aurélien Boivin paru en février 2008 et portant sur la région de Québec. D’autres excursions sont prévues dans Charlevoix et aux Iles de la Madeleine.
La dernière parution nous plonge dans les «Contes, légendes et récits de la Montérégie». Pierre Lambert, en près de 700 pages, y explore un peu tous les genres et nous entraîne du côté de Germaine Guèvremont, Robert de Roquebrune, Louis Fréchette, du frère Marie-Victorin, Louvigny de Montigny, Pamphile Lemay et Jean-Aubert Loranger. Il ne faut surtout pas oublier Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Madeleine de Verchères et Eugène Achard. 

L’approche

Nous découvrons d’abord la mythologie des Autochtones par des récits expliquant la genèse d’un monde que les Blancs ont envahi sans trop d’égard. Des aspects méconnus de la réalité américaine. L’invention de l’arc et de la flèche, la découverte du maïs et l’enfant-tonnerre étonnent et captivent. D’autres récits remontent à la fondation de Montréal, des événements que la mémoire n’a cessé de peaufiner au cours des siècles.
Certaines périodes occupent une place de choix. Signalons la rébellion des Patriotes de 1837-1838 qui a donné naissance à des héros encore mal connus. Bonaventure Viger et Joseph Dauphinet par exemple. Nous vivons de l’intérieur une brève guerre de libération.
Oui, il y a des loups-garous, des lutins qui font autre chose que de chevaucher les chevaux pendant la nuit, des possédés et des revenants qui terrorisent les hommes et les femmes. On ne peut y échapper, et ce dans toutes les régions du Québec et du monde. Les fées viennent aussi embellir des phénomènes naturels ou protéger les humains.
Fascinant de voir comment les particularités géographiques stimulent l’imaginaire et donnent naissance à des légendes et des mythes. Le mont Saint-Hilaire a attiré tous les regards. Tellement que Pierre Lambert y a consacré un livre chez le même éditeur en 2007, s’attardant à dix-neuf contes et légendes qui se déroulent autour de cette montagne. Un terreau est particulièrement fertile. Une crevasse, une caverne, un rapide tumultueux, un lac peu accessible, c’est assez pour que germe une histoire que les gens aiment reprendre et transformer. Les fées, un ermite, un trésor enfoui ont captivé l’imaginaire des anciens comme des modernes. Les peuples, peu importe l’époque dans laquelle ils vivent, trouvent toujours une façon d’expliquer une particularité géographique en y accolant des origines surnaturelles.
Dans ce voyage que propose Pierre Lambert, des héros échappent aux dimensions humaines. Le Diable ne pouvait que venir y faire quelques apparitions, histoire d’aider à construire une église ou pour faire danser la plus belle fille du village pendant toute une nuit.
Un livre imposant, soigné, qui nous fait voir la Montérégie autrement. Plus que tout, nous arpentons la mémoire d’une collectivité en redécouvrant ses épreuves, ses rêves, ses craintes et ses croyances.
Carte du pays

Si les explorateurs parcouraient les contrées et les continents pour en dessiner la carte, les écrivains, les poètes et les conteurs empruntent le même chemin. Ils utilisent volontiers la légende, le conte et le récit pour dire un pays, le faire basculer dans le rêve et l’imaginaire. Une façon tangible de dire une terre et de se l’approprier.
Cette grande collection des Éditions Trois-Pistoles constitue un véritable trésor, une somme qui permet de retrouver la mémoire du Québec qui se souvient si peu et si mal. Une forme d’anthologie littéraire aussi avec ses formules, ses genres, ses façons de dire et de raconter. Une belle manière de revivre l’histoire, de croiser des personnages qui ont marqué leur temps. Bien des enseignants auraient avantage à utiliser cette collection pour secouer l’imaginaire de leurs étudiants, visiter nos grands moments historiques et les courants d’une littérature qui nous caractérise et nous identifie. Un regard, une expédition unique dans un pays qui se forge depuis près de 400 ans.

«Contes, légendes et récits de la Montérégie» de Pierre Lambert est paru aux Éditions Trois-Pistoles.