mercredi 13 octobre 2004

Pierre Demers se contente de la banalité

«Poèmes» lit-on sur la page couverture de «À l’ombre de Sainte-Anne». Il est vrai que le poème a un sens plutôt large de nos jours. Mais parlons ici de petites proses qui se déguisent vaguement en poèmes.
J’ai retourné les premiers textes à l’envers et à l’endroit et puis j’ai compris… Le narrateur, un adolescent, est pensionnaire dans un collège comme il y en avait dans les années 60 au Québec. Qui ne connaît pas Sainte-Anne-de-Beaupré, tout près de la Capitale nationale. Grand lieu de prières, de miracles connus, reconnus ou inventés, lieu de pèlerinages et de grandes illusions.
Un jeune garçon y étudie, loin de sa famille. L’ennuie le ronge. Le petit garçon, Pierre Demers, le «je» omniprésent ne saurait mentir, vit les hauts et les bas de cette réclusion, jongle parfois avec une vocation qui pourrait le conduire dans le Grand Nord pour évangéliser qui l’on sait. Les prières, les études, les leçons, les jeux, les lectures, le dortoir et l’infirmerie font partie de son quotidien. Le lecteur est invité à le suivre dans près de quatre-vingt écrits de trente phrases par page. Une contrainte que l’auteur s’est imposée? Qui sait?
«Ils ne cessent de nous dire qu’Il est partout,
Toujours présent.
Ils nous disent qu’Il nous épie constamment.
Je n’y crois pas trop.
Si c’est vraiment Dieu, on ne fait pas le poids.» (p.13)

Oralité


Pierre Demers amorçait, avec «Charny», l’exploration de son enfance. «À l’ombre de Sainte Anne» devient une suite de cette démarche. Même format, même ton, même présentation et… même écriture. Si l’idée est sympathique, l’aboutissement demeure fort décevant.
Pour avoir entendu Pierre Demers à plusieurs reprises, lors d’une soirée de lectures, ce genre de prose coule assez bien. Les rires fusent ici et là mais une lecture véritable dévoile vite la recette et un canevas sans cesse remanié.
«Alex, c’est le plus malpropre du groupe des petits.
Il ne se lave jamais.
Quand le surveillant du dortoir l’oblige
À se laver les pieds, on fait le saut.
Ses pieds sont noirs.
Il a beau les brosser avec une brosse,
Ça ne part pas.
Il déteste l’eau.» (p.17)
Je veux bien de «la langue» du jeune garçon mais la formule devient lourde  après une dizaine de textes.
«Leur souffrance est intolérable.
Ils sont cloués à leur lit, les yeux rivés
Sur la statue de sainte Anne en face,
Attendant l’impossible en suppliant.» (p.69)
Bien sûr, des segments font sourire, des éléments s’avèrent plus heureux, mais trop souvent, on s’enlise dans les banalités. Demers patauge dans une écriture terne qui ne lève jamais. La recherche d’effets aussi est loin d’arranger les choses. Il aurait fallu ramasser et resserrer. On dirait un collage mal ajusté.
Dommage! L’idée est sympathique mais il aurait fallu une prose forte et originale pour accompagner la démarche. Le lecteur est continuellement repoussé du côté de l’anecdote et ça finit par agacer.

«À l’ombre de Sainte Anne» de Pierre Demers est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

samedi 21 août 2004

Guy Lalancette présente un grand roman d'amour


Guy Lalancette, l'écrivain de Chibougamau originaire de Girardville, revient après «Les yeux du père», son roman d'enfance et d’initiations. J'ai lu et relu ce livre publié en 2001, ce récit soulevé par une langue robuste comme du chiendent.
Avec «L'amour empoulaillé», Lalancette bascule dans l'adolescence. Ce pourrait être le jeune Jüg du roman précédent qui a pris quelques années.
Voici venu le temps des extases, des rêves et des excès. En s’arrachant à l'enfance, le monde coïncide rarement avec l'idéal ou l’image qu’on s’en fait. Il est trop petit ou trop grand! Simon et Jérémie rêvent. Pour les deux frères, surtout chez Simon, graine d'écrivain et amateur de dictionnaires, le compromis n'existe pas.
Un village, fin des années soixante, des traditions qui étouffent, des règles qui broient les humains, des révoltes qui provoquent des tempêtes et un amour comme un feu de forêt au plus aride de l’été. Lalancette peint le monde des filles et des garçons qui se surveillent, s’attirent mais n'ont guère de contacts. Les premiers émois, les vantardises des plus effrontés, les effleurements lors d'une danse et l'amour qui foudroie un garçon et une fille.

Passion

La flamme de Simon et Élisabeth soufflera le village et provoquera une tornade dévastatrice. Une passion à l'égale de Roméo et Juliette, Tristan et Iseult.
«Elle portait une jupe avec tellement de plis, on aurait dit un abat-jour. C'était une jupe à mi-cuisse- je ne sais pas si ça se dit, mais ça se voit. Il y a des filles qui sont faites pour les jupes, elles ont des jambes, c'est comme les pieds d'une lampe et c'est facile de croire que c'est de là que vient toute la lumière.» (p.27)
Jérémie écrit l'histoire de Simon et Élisabeth des années plus tard. Il a été le confident, le témoin et le messager comme dans les grandes tragédies tricotées à l’alexandrin. Il a vu des forces se heurter, ne laissant personne à l'écart, pas même Canaille Saint-Gelais qui vit à l’écart du village par dépit ou par lucidité.
«Je l’ai déjà dit et je le répète, nous n’habitons pas un village, nous lui appartenons, et le nôtre ne fait pas exception.» (p.139)
L’horreur mais l'amour encore et toujours. L'amour qui mènera Simon à l'asile. Pourtant, il triomphe de tous et de tout avec la complicité de sa famille. Des scènes d'une violence inimaginable surviendront après l’affrontement de Simon et Dupuits sur le parvis de l’église!  On se croirait au temps des Capulet et des Montaigu. Deux mondes se heurtent et se brisent.
«Quelque chose s'est brisé. Un craquement comme un bruit de fêlure qui s'est étiré en écho dans le plus formidable silence de foule qu'il m'ait été donné d'entendre. Il n'y a pas d'autre moyen de le dire. Ç'a été comme un sceau sur l'offense, avec tout un village de témoins. Pour qui n'a jamais vécu à la campagne, il faut savoir qu'un village, ce n'est qu'une mémoire multipliée, répandue, débordante et souvent agrémentée.» (p.109)
Le village fermera les yeux devant les pires horreurs comme dans le poulailler où rien ne perturbe les poules. Un poulailler où Simon trouve un exutoire à sa violence et sa rage. Une folie passagère et après le calme. Le miroir de la société…

Surtout l’écriture


Quelle invention d’écriture! Un pur bonheur! Des trouvailles, des découvertes langagières, une langue que l’auteur triture et transforme. Une véritable danse.
Oui il est encore possible d’écrire des histoires de passion, de violence, de croire en l’idéal et l’absolu. «L’amour empoulaillé» est un plaisir de tous les instants malgré des pages effroyables. Un roman d’espoir même si les protagonistes en sortent mutilés et cassés. L’amour triomphe, du moins dans les romans de Guy Lalancette.
«Le silence s'est étendu jusqu'au poulailler et nous avons respecté ça pendant que, penché sur son épouse, il scellait en un long baiser leur nouvelle alliance. J'écris ça comme dans la Bible parce que, parfois, il faut de la poésie et que, outre celle de Simon, c'est la seule que je connaisse.» (p.220)
Un grand roman qui marque l’imaginaire.

«Un amour empoulaillé» de Guy Lalancette est publié par VLB Éditeur.

http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001

dimanche 15 août 2004

Jean Royer se donne un corps par l’écrit

Jean Royer continue à dessiner les territoires de son corps. Après «La Main cachée» et «La Main ouverte», voici qu’il présente «La Main nue», celle qu’il utilise pour caresser les mots et faire en sorte qu’ils s’installent dans le monde et peut-être aussi en lui. L’écrivain remonte à l’enfance, à son état de fœtus pour tenter d’imaginer cette passion des mots, ce désir qu’il a toujours eu en lui d’exprimer le soi dans le monde et le monde en soi.
«Je n’avais pas encore de mots et j’ignorais d’où venait la neige. La voix de ma mère m’était une musique. Étais-je né déjà ? Ou nageais-je dans ma mémoire, sans savoir si j’étais garçon ou fille ? Je n’avais pas de voix, pas de langage à moi. J’étais une oreille et ma mère chantait.» (p.13)
D’emblée, Royer s’installe entre un père silencieux et une mère qui porte le langage. Duo plutôt familier dans nos foyers littéraires. Jean Royer est «né incomplet» si l’on veut, avec une main droite qui n’a pas poussé. Elle est demeurée dans l’utérus maternel. Et ce paternel porté sur la religion comme on peut l’être sur la boisson, s’est senti puni par Dieu dans son fils. De quoi traumatiser le plus coriace des mâles.
«Un jour, pourtant, ce père a consenti à se tourner vers moi sans pleurer. Il m’a jeté un regard inquiet, puis il m’a lancé un mot en point d’interrogation: était-ce le mot «amour»?  (p.15)

Le manque

Royer tente de combler ce manque dans son corps par l’écriture, le langage hérité de sa mère et l’amour. Parce que par l’écriture et le poème, Jean Royer a la certitude de se donner un corps au complet.
«L’intimité du langage m’enseigne le mouvement vers soi, le mouvement vers l’autre. Je renais parmi les fragrances du parfum de rose. J’habite le jardin du faire et du dire.» (p.38)

Jean Royer esquisse sa trajectoire singulière. L’île d’Orléans où il a fondé un théâtre avec Félix Leclerc. Il en a parlé abondamment dans les livres cités plus haut. Après, il a été journaliste, critique littéraire et responsable des pages culturelles au journal Le Devoir. Il s’attarde sur l’entrevue littéraire, sa «critique d’accompagnement» comme il dit. Après, il y aura Gaston Miron et Jean-Guy Pilon, ses autres pères.
«Je deviendrai écrivain : écrivant de la main gauche l’absence de la main droite. Manque de gestes pour m’exprimer et compensation dans le geste d’écrire. Le poème retracera les chemins inconnus, les sensations manquées. Le poème dénouera les nœuds de ce cordon qui étranglait une partie de moi-même.» (p 46-47)

Agacement

Je voudrais bien compatir avec Jean Royer mais quelque chose m’a agacé tout au long de cette lecture. J’aurais voulu aimer ce livre mais la recherche systématique de l’expression qui fait «salon littéraire» m’a rebuté. J’ai eu l’étrange sentiment qu’il écrit en se regardant écrire. Toujours. La prose de Jean Royer a un côté suranné qui gâche le plaisir. Ce qui aurait pu être un récit touchant, senti et vivant devient une suite «d’effets de style» un peu ridicule.  Malgré la gravité du propos, la détresse que l’on sent derrière les mots, je ne suis jamais parvenu à éprouver de l’empathie pour Jean Royer. À trop se regarder écrire, à trop vouloir s’inventer une mythologie personnelle, l’écrivain finit par étouffer son propos.

«La main nue» de Jean Royer est paru aux Éditions Québec Amérique.

Francine Déry voyage dans sa tête

Francine Déry est une sorte de voyageuse. Il lui faut partir, s’éloigner pour échapper au quotidien et à ses peurs. «Partir, c’est quitter un mal pour un moindre mal», écrit-elle.
En quatre récits, «sans explication», elle m’a poussé dans un monde où tout s’ancre dans les phrases et les images. L’inventé et le réel se confondent et, pour suivre la course, j’ai dû lâcher prise.
«Souvent, tu te rappelles, tu as tenté de disparaître. Tu n’as réussi qu’à t’enfuir et à reparaître. La corde de la vie est aussi résistante que celle du pendu.» (p.12)
Les voyages, une certaine Europe, des pays qui défilent servent de décors. L’écrivaine raffole des trains, des gares, des départs et des arrivées. Les lieux où tout est possible. Dans une ville inconnue, tous les espoirs peuvent se rêver. Il y a une rivière ou un pont. Une grande place aussi et un homme qui l’attend. Les rues où elle circule s’effacent. Francine Déry entre dans un musée, fige devant un tableau qui se met à vibrer. À force de regarder une toile, ce n’est peut-être plus l’œuvre que l’on fixe mais soi.
«Il se détache comme élément central d’un tableau en train de se faire. Il passe et repasse, la main droite tendue, ouverte à la pièce qui ne tombera pas. Droit comme une lame bien affûtée, il tranche la foule. Son visage est blanc et soutient un regard fixe. Une certaine innocence accentue les traits jusqu’à la douceur angélique. La chevelure noire, emmêlée comme les branches d’un olivier, court jusqu’à la naissance des épaules.» (p.57)

Suggestions

Déry aime le trait qui effleure et suggère. Elle s’abandonne malheureusement trop souvent à l’ivresse des mots, usant des allitérations ou des jeux sonores. Elle se grise, s’étourdit et les mots battent frénétiquement des ailes.
«La nuit, l’homme brisé dressait la nuque et visait haut. Il remontait la cathédrale du primate jusqu’aux limites jamais atteintes du fil interminable. De l’assemblage éblouissant des mots sublimés dans le feu de ses vertiges, il fit entendre la vibration immortelle de sa mortelle vision. Il tenait le fil tendu entre le primate et l’étoile. Il fut. Sans espoir, avec conviction.» (p.48)
On ne voyage somme toute que dans la tête de Francine Déry, que dans ses fantasmes, que dans ses phrases qui s’ouvrent et se referment comme des coffrets. Je me suis un peu égaré, faut le dire.
«Les gouttes de pluie commencent à tomber sur et dans ma tête. Je ne veux plus de cette agression, je chasse les mots, ces mouches, les mots et les mouches des mots squattant dans ma cervelle.» (p.27)
«Sans explication» n’a pas réussi à m’accrocher. Il manque une cohésion, un liant qui en aurait fait un tout. Et puis les images forcées, les enflures verbales finissent par m’agacer même si je suis le plus patient des lecteurs. L’ivresse de l’écriture peut aussi faire en sorte que l’on oublie son sujet pour pédaler à vide. 

«Sans explication» de Francine Déry est paru aux Éditions La Pleine Lune.

samedi 14 août 2004

Robert Lalonde se confie à son lecteur

Robert Lalonde réussit, à chacun de ses livres, à se renouveler et à surprendre en brouillant les pistes. Romans, essais, chroniques, réflexions, clins d’œil à ses écrivains fétiches, il tâte de tout. Il empoigne les genres avec une originalité déconcertante et une soif qui me laisse pantois à chaque fois.
Avec «Iotékha’», Robert Lalonde nous convie à un festin. Dès les premières lignes, j’ai dû accepter de le suivre dans ses errances et ses grands bouleversements.
Depuis des années, Robert Lalonde traîne des carnets. Il écrit comme il savoure un café, comme il fume une cigarette, comme il parle. Il écrit en asthmatique qui ne saurait se séparer de sa pompe. C’est sa manière de rester vivant dans la fragilité du matin ou le frémissement du couchant. Des milliers de pages qui jettent des ponts entre les jours, cochent le temps comme la trace d’un canif sur l’écorce d’un bouleau blanc. Un genre de Petit Poucet qui jalonne ses courses pour éviter de s’y perdre.
«Quand je n’invente pas, n’écris pas, mon remuement de tous les jours me pèse. J’erre, me cogne partout, oublie ma clé dans la serrure, fait sortir le chien sans qu’il m’ait demandé la porte, allume deux cigarettes à la fois, qui fument toutes seules dans le cendrier et me rient au nez.» (p.13)
Robert Lalonde ouvre ses carnets intimes, convie son père, ses lectures, les écrivains qu’il aime, réfléchit sur son métier de comédien, secoue sa solitude, suit ses chiens et ses chats, une femelle garrot qui n’arrivera pas à bondir de l’autre côté de l’hiver. Des rencontres singulières aussi que la vie invente ici et là lors des nombreux déplacements de ce diable de chercheur. Des textes comme une prière.
«Pas de paix possible sans l’écriture. Ce matin, le réel est inadéquat, indifférent, hostile. Il est de la même étoffe que ces songes impénétrables qui m’ont tiré ici, poussé là, toute la nuit, exigeant de moi que je me comporte en héros, demi-dieu, demi-fou, pour qui l’ennemi, le sang, les conquêtes ne suffisent plus, et qui doit à présent descendre aux enfers affronter des monstres qui le dévisagent avec sa propre face grimaçante.» (p.57)

Tempête

Les mots vont, viennent et s’éloignent, tournent comme des feuilles poussées par la rafale, comme une musique qui frappe au corps et fait chanceler. Robert Lalonde, avec ses grandes échappées farcies de brume et de couchers de soleil, vous ligote du premier mot à la dernière ligne. Je me sens aussi plus vivant à suivre ce détrousseur de questions qui piaffe entre deux projets d’écriture, une aventure théâtrale ou une rencontre un peu étonnante. Les blessures de l’enfance refont surface, les moments où le petit garçon imaginait qu’il pouvait échapper à la lourdeur des jours et nager dans les étoiles, les paroles du père qui ont laissé des cicatrices.
Un livre d’une finesse remarquable, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle. L’écrivain se livre comme rarement un écrivain le fait. Comment ligoter la vie et parvenir à savoir pourquoi il n’y a que des questions.
Robert Lalonde se fait encore une fois magicien.
«Lire, écrire, c’est là toute l’omniprésence, toute l’omnipotence  dont je suis capable. Le cœur battant, les yeux ouverts, les oreilles dépliées, le nez bien débouché: voir et surtout faire voir, c’est cela l’ouvrage de l’écrivailleur.»  (p.135 )

«Iotékha’» de Robert Lalond est publié par les Éditions du Boréal.