vendredi 29 janvier 2021

UN APPEL À NOTRE INTELLIGENCE

LA PLANÈTE A LE HOQUET avec la fonte des glaciers, le réchauffement climatique et l’acidification des océans qui laissent prévoir le pire. Nous sommes en sursis et des tragédies frappent un peu partout depuis des années. Et que dire de celles à venir? La vie des humains risque d’être bouleversée. Il faut envisager des migrations importantes, des guerres et des invasions. Antoine Desjardins, dans sa première publication, nous plonge dans l’actualité. Indice des feux, le titre me fait penser à ces panneaux que l’on voit en forêt l’été et qui indiquent le danger d’incendie et qui demandent aux villégiateurs de faire preuve de prudence. Les nouvelles d’Antoine Desjardins nous laissent avec un étrange malaise, comme si l’air se raréfiait et que le sol se dérobait sous nos pieds.


Voilà un projet original même s’il comporte des pièges. Le sort de la planète, la pollution, les changements climatiques risquent de pousser l’action hors de la vie et des préoccupations des personnages en accumulant des faits ou des informations scientifiques. Les écrivains, souvent dans ces textes, imposent leurs idées au détriment des héros qui sont bousculés et tassés. Heureusement, Antoine Desjardins évite ce piège en tressant l’intime et l’environnement dans un bel équilibre. 

Mélange donc de la tragédie familiale et celle qui ronge la Terre. Dans À boire debout, par exemple, nous vivons la fin d’un jeune garçon atteint de leucémie. Tout se détraque pour lui et il n’y a plus de guérison possible. Les semaines se recroquevillent, le grand rendez-vous approche et personne ne peut l’aider. Nous sommes toujours seuls, semble-t-il, face à la mort.

 

J’avais eu beau me préparer intérieurement, me répéter jour et nuit, depuis le matin où j’avais commencé la chimio, que ça se pouvait que je meure, que ça se pouvait, dans la vraie vie, que ça s’arrête là, snappas rapport, à la moitié de mon secondaire quatre, j’étais quand même pas prêt. J’imagine qu’on n’est jamais pas prêt. (p.25)

 

Apprendre à quinze ans que l’on souffre d’une maladie irréversible est une tragédie difficile à concevoir. La jeunesse, l’adolescence en particulier, est faite pour foncer dans le présent et non pas pour faire face au néant. L’écrivain pourrait se concentrer sur le drame de son personnage et nous faire vivre ses révoltes, ses colères, la peine de ses proches et la résignation et ce serait déjà extrêmement touchant et percutant.

 

TERRE MALADE

 

Il pleut sans arrêt depuis que le jeune homme est à l’hôpital. Pour se changer les idées, il écoute la radio. Les mauvaises nouvelles se répètent, l’information ne peut se passer de sa dose de malheur. Je n’ai pu m’empêcher de penser à juillet 1996, au fameux déluge que la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean a subi. 

Les rivières débordent, les terres sont noyées, les villes sont en danger. La crise climatique colle pour ainsi dire à l’état du jeune homme qui résiste comme il peut à «cette mort annoncée», la fin qui se rapproche et qui bouleverse ses parents. 

 

… Les barrages qui explosent, les sous-sols changés en piscines creusées, les pannes de courant, les sinistrés en colère, les folles-aux-chats qui veulent pas abandonner leur maison sans leurs vingt-deux minous, les compagnies d’assurances qui inventent des nouveaux trucs de passe-passe pour pas avoir à rembourser les gens qui ont tout perdu même si c’est pour ça qu’ils les paient. (p.32)

 

La planète se noie avec ce jeune garçon qui n’aura pas la chance de s’avancer dans la vie d’adulte, ce à quoi tous les humains peuvent aspirer. Que cela est bien mené, tragique, émouvant et bouleversant!

 

PRÉSENCE

 

Tout n’est pas aussi intense, heureusement. Il le faut pour respirer un peu même si la question des changements climatiques, les soubresauts de la planète soufflent dans le cou de tous les personnages d’Antoine Desjardins. Un couple s’installe dans une maison de banlieue et se prépare à avoir un enfant. Faire des petits, c’est croire à la vie, miser sur l’avenir, penser que tout va continuer comme avant.

 

— Que ça se peut encore… un enfant… Un enfant, dans ce monde-là? (p.130)

 

Il faut l’imaginer ce «monde-là» pour avoir un futur. Si on commence à douter du lendemain, il ne peut y avoir de quotidien. 

 

EXPLORATION

 

Louis est promis à un bel avenir dans Feux doux. Il connaît des moments existentiels et de lucidité, quitte les ornières qui se profilaient devant lui pour se faire une vie différente, voir et penser autrement pour que demain soit possible. Une remise en question de cette réussite et de cet accomplissement que l’on ne cesse d’étaler dans les publicités à la télévision. Le bonheur se trouve-t-il dans le dernier modèle d’automobile, les voyages en avion, les repas fabuleux pour finir dans un manoir spacieux quand sonne l’âge de la retraite. Là où il est possible de s’amuser comme des riches qui n’ont jamais pris conscience de la pollution et de tout ce qui se déglingue autour de soi? Partout, on encense le culte du moi et l’égoïsme poussé à l’extrême. Tellement que ça devient indécent. Nous n’avons qu’à penser à ce qui se vit dans les CHSLD pendant cette pandémie pour voir que tout ce luxe est un leurre.

 

La dynamique sommeil pourri-réveil-déjeuner zombie-trafic-boulot-clients-stress-dîner-réunion-stress-trafic-couches-biberon-dodo-souper-comptines-couches-dodo-stress-pleurs-biberon-colique-pleurs-couches-sieste-réveil s’apparentait pour moi au supplice de la goutte d’eau et réduisait à néant tout espoir de repos. L’amour incommensurable, la plénitude, les petits bonheurs quotidiens et les fameux moments inoubliables promis par les jeunes parents de notre entourage : une fumisterie de première. (p.215)

 

 

La nouvelle qui est venue me secouer arrive à la fin du recueil. Ulmus americana. Il s’agit du nom latin de l’orme, cet arbre splendide que l’on trouvait partout dans les campagnes il n’y a pas si longtemps. Une merveille en voie de disparition à cause de la maladie hollandaise. Il semble qu’il est terriblement difficile de soigner les forêts même si elles ont toujours été considérées comme les poumons de la planète.

Le narrateur suit son grand-père qui s’occupait d’un orme qui faisait sa joie au fond de son jardin et qu’il traitait aux petits soins en le protégeant de toutes les façons imaginables. C’était même une idée fixe. Des épandages coûteux et surtout une surveillance de tous les instants. Parce que l’arbre, c’est l’ancrage dans le temps et l’espace, peut-être aussi le destin des humains qui sont atteints par des maladies qui les frappent de plein fouet.

Le vieil homme perd son épouse. Le cancer l’emporte et la transforme en une étrangère, surtout avec la chimiothérapie. Et voilà que c’est son tour. Il sait. Pas question de s’acharner. Il ne subira pas ce que sa femme a enduré. Il fait face comme il peut, courageusement.

 

Plongé dans le sommeil, le visage de Grant semblait s’être obscurci. On dit parfois que la mort jette une ombre sur ceux qu’elle enveloppe. Or, cette nuit-là, ce n’est pas une, mais des milliers d’ombres délicates qui se sont déposées sur le corps de mon grand-père. Une à une, des milliers de petites feuilles en amande, venues l’enlacer une dernière fois, jusqu’à le recouvrir entièrement. (p.342)

 

Très beau et très touchant, vrai et sensible. Des images et une simplicité qui va droit au cœur et nous montre que l’humain est lié à la nature, particulièrement aux arbres qui nous accompagnent depuis la nuit des temps et que nous avons si souvent malmenés avec nos obsessions du deux par quatre et de la rentabilité. Je n’ai qu’à penser à ce que nous avons fait de la forêt au Québec, la traitant brutalement et sauvagement. Ce n’est pas de l’exploitation que nous avons faite, mais du pillage. Et je ne m’attarde pas aux mines.

 

RÉACTIONS

 

La planète va mal, tout le monde le sait et il faut réagir rapidement. Les faits sont là, mais qui veut vraiment les voir quand on se bat pour un pipeline qui va défigurer le Québec, perpétuer le désastre et contribuer à étouffer la Terre? Que dire des inondations, des tornades, des typhons, des vents fous, des pluies records et de la neige abondante dans les pays comme l’Espagne et le Japon ? Les pesticides et de nouvelles cultures transgéniques portent la mort. Quelle rage possède les humains pour s’en prendre ainsi à la planète qui leur donne tout? Comment faire comprendre aux gens que nous ne pouvons plus à foncer vers l’horizon en tenant les guidons d’une motoneige ou d’une motomarine particulièrement inutile et polluante? Toute notre vie doit muter pour que les enfants aient de l’air à respirer et que la Terre puisse se guérir. 

C’est la question. 

Antoine Desjardins lance l’alerte en racontant des histoires toutes simples qui touchent et permettent de constater la dégradation autour de nous. Oui, les oiseaux disparaissent et reviennent, les abeilles ne sont plus là et les papillons nous abandonnent. On pourrait multiplier les exemples. Voilà qui est inquiétant et que les chercheurs de profits ne veulent pas voir. Une bonne dose de conscience que ce recueil de nouvelles d’Antoine Desjardins, un appel à l’intelligence.

 

DESJARDINS ANTOINEIndice des feuxÉDITIONS LA PEUPLADE, 360 pages, 26,95 $.

https://lapeuplade.com/livres/feux/

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