lundi 17 mars 2014

Godbout nous entraîne dans son jardin

Peu d’écrivains ont connu la fin du règne de Maurice Duplessis, la Révolution tranquille, vu le nationalisme acquérir ses lettres de noblesses avec l’élection du Parti québécois en 1976, la tenue des référendums sur l’avenir du Québec en 1980 et 1995. Jacques Godbout fut de ceux-là, a vécu cette période fascinante comme journaliste, écrivain, cinéaste et militant. Avec Mathieu Bock-Côté, il effectue Le tour du jardin dans des entretiens où il revient sur sa vie, ses engagements, ses convictions et le parcours du Québec pendant toutes ces années. Un témoin important, un regard pertinent.

Mathieu Bock-Côté, sociologue et professeur, blogueur, chroniqueur bien connu, un personnage que l’on prend plaisir à caricaturer à l’émission À la semaine prochaine de Radio-Canada, tente d’établir des ponts, d’amener Jacques Godbout vers de nouveaux sentiers.
Il admire l’homme, tente de voir une époque peut-être, de poser un regard sur les cinquante dernières années pour mieux assumer ses convictions. Jacques Godbout joue le jeu, ne répond pas toujours comme on le souhaiterait, refuse d’écrire ses mémoires. Il semble que les Québécois ne sont pas friands de cet exercice littéraire pourtant très intéressant. Godbout aurait tout pour le faire, mais ce travail ne l’intéresse pas. Comme il l’affirme, il est plus un homme de conversation, de dialogues, d’échanges qu’un mémorialiste.
Des intellectuels de deux générations discutent, se questionnent en se respectant. Il s’agit bien d’un échange et pas d’une entrevue. Questions et réponses ont été formulées par écrit, avec du temps pour la réflexion et le choix des mots pour répondre. Godbout parle du Québec de maintenant, de son avenir et de sa place dans le monde, des livres, de la démocratie et peut-être de la vie dans ce qu’elle a de fascinant et de nécessaire.

Curieux

Jacques Godbout est un curieux, un touche-à-tout, un homme qui aime réfléchir, regarder, scruter le monde qui l’entoure. Il est surtout connu comme écrivain, ses romans et ses films. Salut Galarneau est considéré comme un classique. Une réaction à Une saison dans la vie d’Emmanuel qu’il trouvait sombre et misérabiliste. Il y a aussi l’essayiste, l’observateur des médias, du murmure marchand qu’il a scruté et vu évoluer. Faut pas oublier le cinéaste, le faiseur de documentaires qui n’a cessé de s’interroger sur une époque qui le fascinait et le dérangeait sur bien des aspects. Peut-importe la manière, le Québec n’est jamais loin, cette société où chaque jour apporte sa ration de questions. La langue des Québécois aussi, le nationalisme avec ses hauts et ses bas.
Jacques Godbout est l’un des fondateurs du Mouvement laïque au Québec. Et ce bien avant la Charte des valeurs québécoises, bien avant la controverse où tout semble tourner autour du voile islamique.
« C’était pour accueillir les immigrants au début », dira-t-il en entrevue à Bazzo.tv. Un aspect que nous avons oublié bien sûr. Il est aussi l’un des fondateurs de l’Union des écrivains et écrivaines du Québec.
Jacques Godbout est éditeur chez Boréal, chroniqueur et grand lecteur. Il a connu et fréquenté Jacques Parizeau, Pierre Elliott Trudeau, René Lévesque et Robert Bourassa, discuté avec eux et les a regardé aller sans jamais les juger. Ce qui en fait un témoin unique de notre époque.

Médias

L’écrivain a toujours été fasciné par les médias et les outils de communications, les chemins que la culture emprunte dans nos sociétés marchandes. Il se demande si on lit encore avec les médias sociaux, ce qu’on lit et comment on lit. Est-il possible de réfléchir, de comprendre quand on est emporté par un tourbillon, une frénésie de plus en plus folle ?
La démocratie, la post-démocratie dit-il, où ce ne sont plus les idées qui importent ou les grands concepts, mais l’image. Les campagnes électorales, par exemple, sont une succession d’images avec le moins d’idées pour éviter les dérapages. Le format publicitaire, sa facture s’est imposée.
Le Québec, son rayonnement à l’étranger, surtout avec la chanson populaire. Est-ce le Québec qu’il faut voir dans Céline Dion ou quelqu’un d’autre ? Le cinéma qui s’impose et réussit à attirer l’attention. Le théâtre bien sûr, reconnu et apprécié un peu partout par le public. Il n’y a qu’en littérature où la percée est plus difficile. Faut-il s’imposer en écrivant dans la langue anglaise ? Je pense à Yann Martel et à L’histoire de Pi qui a connu un succès immense. Le livre aurait-il eu un même rayonnement s’il avait d’abord paru en français ?

Lecture

Le romancier a connu un monde où l’on contrôlait les lectures, l’éclatement et la diversification de notre littérature. Il ne prendra pas position sur la littérature d’ici, son contenu ou sa valeur. Il s’en tient à l’acte de lire, de dire le monde, de le comprendre peut-être. Il n’y a ici que des questions, pas beaucoup de réponses.
Nationaliste ? Jacques Godbout reste un peu en retrait. Il a vu les acteurs principaux agir depuis cinquante ans et il refuse de basculer dans la partisannerie. Cette neutralité journalistique en fait bondir plusieurs. On aurait voulu qu’il prenne parti, qu’il milite peut-être. Il l’a été pour la laïcité, les droits des écrivains, la pensée à la revue Liberté. Il a eu la démarche du journaliste qui analyse, pose des questions, garde ses convictions intimes pour lui. On n’aime pas ça dans l’approche contemporaine où il faut avoir des opinions sur tout, pas nécessairement des idées.
Le portrait d’une époque, d’un honnête homme qui jongle avec des questions, mais ne donne pas toujours les réponses que l’on aimerait entendre. Heureusement ! Une belle façon de voir le Québec de maintenant, surtout en cette période électorale où l’on assiste à une guerre de slogans et d’images. Jacques Godbout reste nécessaire et j’ai toujours un grand plaisir à le lire, à le suivre dans les méandres de sa pensée. Une démarche admirable, un homme qui a su cultiver le doute, la réflexion et su s’exprimer de bien des façons. C’est ce qui le rend attachant et si important.

Le tour du jardin de Jacques Godbout et Mathieu Bock-Côté est paru aux Éditions du Boréal, 24,95 $

Ce qu’il a écrit :

Et d’étape en étape, sur cinquante ans, chacun de mes romans correspondait à un moment de l’évolution de notre société, je n’en ai pris la mesure qu’après coup, je me rapprochais psychologiquement et géographiquement du pays, suivant un cheminement qui n’était qu’une lente prise de conscience identitaire. (p.21)
La vérité, c’est que toute rencontre est une promesse et peut devenir une inspiration. Chacun de mes romans est né de la rencontre d’ouvrages qui m’entraînaient, j’ai toujours écrit sous influence. C’est cette philosophie qui m’a fait participer à la fondation de Liberté, à celle du Mouvement laïque, à la création des associations et syndicats de cinéastes, à la mise sur pied de l’Union des écrivains et enfin grâce à laquelle je me suis joint aux Éditions du Boréal. (p.33)
Nous n’avons pas, au Québec, de problèmes de langue, mais un problème de langage. La façon que nous avons d’utiliser la langue révèle notre esprit. Notre langage devrait nous permettre de communiquer avec les francophones du monde, mais nous restons désespérément attachés à notre idiome. René Lévesque s’était convaincu de promulguer la loi 101, outre d’interdire l’école anglaise aux francophones, il espérait éliminer le « joual » et non pas l’anglais ! (p.73)

On ne sait penser le monde qu’en écrivant, que ce soit dans le cyberespace ou sur papier. Les outils changent, mais Voltaire serait demeuré Voltaire, même avec Internet. La place de l’intellectuel dans cet environnement ? Il peut se nicher dans une maison de presse ou d’enseignement, utiliser les tremplins disponibles, réfléchir, étudier, publier, enseigner : semer le doute. (152)