lundi 13 juin 2011

Sofia Benyahia explore le monde de son enfance


UN MIROIR FRACASSÉ en mille morceaux que «Conte pour mon père» de Sofia Benyahia. Des personnages étranges, une glissade fascinante dans l’imaginaire.
 «Fais-moi un livre », tu as dit. Maman ne veut pas que j’écrive sur elle. Quoi écrire ? Qu’écrit-on à son père ? Pourquoi pas ma vie d’oreille, ici, au Québec, un peu comme si tu y vivais toi-même ? J’aurais préféré inventer une histoire de toutes pièces, mais les gens parlent et l’oreille aussi est un sexe.» (p.12)

Le lecteur croisera des femmes, des hommes et des enfants qui «sont tous un peu moi», prévient-elle.

Ils vont et viennent d’un espace à l’autre, surgissent du pays d’origine et vivent au Québec de maintenant. C’est ainsi quand on a voulu bousculer sa vie et voir le bout du monde. Une partie de soi reste dans le pays d’origine et l’autre doit s’adapter plus ou moins au pays choisi.

Confidences

Il y a le café, la rue, les rêves à la maison. Une manière de flâner dans ses souvenirs avant de glisser dans l’imaginaire. Parce que le parcours d’un immigrant est peut-être cette obligation de tout réinventer. Du moins, il faut vouloir saisir son rêve pour tout quitter et s’installer dans un pays où l’on perd à peu près tous ses repères.
«Écrire est faire don d’un soi sans être, étranger à tout, partout, depuis toujours, parmi les siens, à soi-même étranger. L’exil est un leurre, une fureur à température ambiante, une lassitude en jupe espagnole ». (p.122)
Sofia Benyahia prend plaisir à faire éclater le langage, découds le récit, nous entraîne dans un album étrange où il faut renoncer aux questions. Tout peut arriver et tout arrive. Même une exploration des formes littéraires.
Théâtre, portraits, dialogues et monologues. C’est souvent dur, parfois tendre, cru la plupart du temps. L’écrivaine aime bousculer les choses. Elle s’envole, multiplie les pirouettes, se risque sur le fil tendu au risque de culbuter.
Le témoignage d’une femme qui se fait une nouvelle vie au Québec même si la terre de son enfance, celle de son père et de ses souvenirs, ne s’efface jamais.
Un livre de fragments qui gravitent tels les électrons autour d’un noyau. Des moments touchants parfois, étonnants, déboussolants et étrange à souhait.


«Contes pour mon père» de Sofia Benyahia est paru aux Éditions Leméac.

dimanche 12 juin 2011

Marité Villeneuve poursuit sa réflexion

Ouvrir un livre de Marité Villeuneuve n’est pas sans conséquence. Le lecteur prend le risque de questionner sa vie et ses façons de faire. Parce que cette écrivaine s’aventure dans des récits à caractère réflexif, une écriture qui témoigne d’une transformation ou d’une mutation de l’être presque.
«Pour un dimanche tranquille à Pékin» ne fait pas exception. À quarante ans, Marie Vaillant «un personnage qui me ressemble et qui me dépasse en même temps», prévient l’auteure, quitte tout. Elle vend sa maison, à peu près tout ce qu’elle possède et part en voyage, le temps de rattraper ses rêves ou de les dépasser.
«Était-ce une quête insensée? Je voulais faire de ma vie une œuvre d’art. Transformer la douleur en beauté. J’avais côtoyé la souffrance et la mort: je voulais toucher la face ensoleillée du monde. Y avait-il une terre promise? Une fleur au baume guérisseur en quelque pays lointain? Je la trouverais cette fleur rare, j’en étais sûre. J’allais la rapporter. Et tout cela allait se dire, s’écrire dans le livre merveilleux (je l’imaginais ainsi) que je ferais en cours de route et que je publierais au retour… (pp.12-13)

Périple

Marie Vaillant quitte ses amis, son psy, confie la gestion de ses affaires à son père et s’embarque sur Queen Elisabeth II.
«Que mon cœur bat lorsque le bateau franchit les limites de l’île, s’enfonçant dans le brouillard. Je suis à la pointe avant du navire, m efforçant de lire un avenir que je ne discerne pas.» (p.25)
Le voyage la mènera en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie, en Égypte et en Chine. Un an pour méditer, lire, tenter d’écrire, rédiger de longues lettres aux amis pour garder le contact.
La première partie du périple prend des allures de retrouvailles puisqu’elle rencontre des gens et retrouve des lieux fréquentés alors qu’elle était étudiante.
«On a beau savoir qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. On a beau se rappeler que d’autres l’ont fait avant soi, suivre les traces de l’écrivaine partie à l’aventure il y a cinquante ans. On a beau savoir tout cela, le sol que l’on foule est toujours nouveau et on ne met jamais les pieds dans les traces exactes des autres. Chemin de solitude, tel est le voyage. Le compagnon rencontré au hasard de la route sera tantôt laissé. Attachement et arrachement. Déplacer ses racines avec soi, s’arrêter quelque part, pas trop longtemps si l’on veut revenir, repartir avant que les racines ne s’ancrent dans un sol d’adoption. Repartir, mais garder les racines bien vivantes.» (p.57)
Cette écrivaine partie il y a cinquante ans est Gabrielle Roy, bien sûr.

Attentes

Des rencontres, la solitude aussi et des tentatives d’écriture. Marie n’aura pas le roman imaginé dans ses bagages au retour. Il est difficile de croire que l’on puisse plonger dans une fiction tout en se déplaçant constamment. L’écriture exige un ancrage et une forme de sédentarité.
Elle rédigera quelques nouvelles, renoncera à son projet et s’efforcera de vivre l’instant présent. Elle s’initiera au bouddhisme, réfléchira à sa vie, réussira peut-être à apprivoiser ses craintes et ses peurs.
«Voyager au-dehors ou au-dedans de soi… Il y a des jours où je ne sais plus. Je ne sais plus le sens de mon voyage. Je ne sais plus si je voyage davantage quand je suis dans ma chambre là-haut, à écrire, ou sur la route à visiter du pays. Je ne sais plus ce que partir signifie. «N’oubliez pas, écrit Borges, que tout ce que vous allez lire, c’est un voyage autour de ma chambre.»» (p.132)

Retour

Le long périple ramènera Marie au Québec. Elle se tiendra un peu en marge avant de replonger, s’attarde dans Charlevoix, rencontre Mathieu et vivra l’amour.
Une quête touchante qui prend souvent l’aspect d’un journal de voyage. Un récit dense, qui permet à l’écrivaine de prendre son élan. On y retrouve des moments effleurés dans les autres publications de Marité Villeneuve et c’est toujours d’une justesse remarquable. Le genre de témoignage qui secoue des habitudes. C’est pourquoi les écrits de Marité Villeneuve deviennent une belle occasion de faire un peu le tri dans les distractions de sa vie. Des récits qui touchent l’essentiel.

«Pour un dimanche tranquille à Pékin» de Marité Villeneuve est paru aux Éditions Fidès.