dimanche 1 mai 2011

Marisol Drouin inquiète dans un premier roman

Un cataclysme submerge une île. La vague emporte tout et les survivants doivent fuir. Échine, se retrouve avec sa mère sur un navire qui transporte réfugiés et marchandises. Les enfants courent sur le pont, cherchant quelque chose à manger. Le jeune garçon se fait des amis pendant que sa mère, devant la destruction de son monde, n’arrive plus à se ressaisir. Les réfugiés voguent vers un monde qu’ils imaginent et les rumeurs se font persistantes.

«Les vieux disaient que, là-bas, les gens vivaient sans soleil, sous une épaisse couche de nuages mauves. Une lumière jaune éclairait les rues humides la nuit. Les femmes modifiaient leur corps, échangeaient leurs organes contre d’autres artificiels. Les homme ne trouvaient pas de travail. Les autorités créaient des quartiers de miséreux à l’écart des villes. Il ne fallait pas rêver. Nous étions désormais des sans-terre.» (p.14)
Malheureusement, les racontars disent la vérité. Les sans-terre sont parqués dans des ghettos, un peu à l’écart de la ville quand ils touchent le nouveau continent, au quai 31. C’est peut-être l’Amérique, partout où la vie peut continuer.

Survie

Les réfugiés doivent penser une nouvelle vie même s’ils sont privés de tout. La mère d‘Échine a laissé son esprit dans l’île et son fils confronte la réalité impitoyable de son nouvel environnement. Il se fait chasseur de chats dans la Haute-Ville, rencontre des étrangés, subit le racisme et l’ostracisme dans un monde nouveau et familier.
Les habitants troquent leurs organes naturels pour des substituts plus performants. Coeur, foie, poumons, reins, colonnes vertébrales. Pas un élément du corps n’est épargné. On se vante d’être «artificiel», d’être plus performant. Une belle façon d’évoquer les chirurgies qui modifient le corps ou ces transplantations qui permettent de repousser la mort.

Rencontre
Échine croise Chamir ou Sirchalie, une performeuse qui s’occupe également des vieux à la maison bleue. Les personnes âgées sont hébergées avant d’être données en adoption. Cette rencontre change la vie du jeune réfugié.
«Le regard noir. Sirchalie était d’un autre monde. Pure et mutilée. Son sein droit avait été amputé à la suite d’un spectacle qui avait mal tourné. La ganse de son sac fourré d’épées traversait sa poitrine. Le blanc de sa peau éclatait sous l’éclairage. Elle fixait la foule, les jambes écartées.» (p. 51)
Le jeune femme donne des performances avec un taureau et soulève la foule qui en redemande. Le spectacle se termine par une scène que les voyeurs attendent.
Sirchalie, de son vrain nom Chamir, devient la petite amie d’Échine. Ils baisent, s’occupent des vieux, mais elle refuse de parler d’avenir et d‘amour. Elle reste distante, craignant peut-être de s‘attacher dans ce monde qui se défait et retourne à la barbarie. Les gens tuent, volent, troquent leurs organes dans une recherche frénétique d’une vie meilleure. Une obsession de l’immortalité qui hante les esprits depuis toujours.
Tout ne peut que mal se terminer dans cette cité où chacun lutte pour sa survie. Surtout quand une épidémie frappe la population et que les réfugiés sont accusés de transmettre le virus. Une belle manière d‘évoquer le SIDA. Il faut une greffe pour échapper à la terrible maladie. Chamir en mourra. Un coup terrible pour Échine qui voit son univers s’effriter encore une fois. Il se perdra dans une charge des sans-terre contre les murs de la Haute-Ville, une rage qui montre tout son désespoir.

Allégorie

Marisol Drouin évoque le monde contemporain en grosissant les absurdités que nous connaissons sans trop y penser. Le rêve d’immortalité qui passe par les chirurgies et le don d’organes, les cataclysmes qui balafrent la planète et provoquent des petites fins du monde un peu partout. Reste la tendresse, l’entraide pour croire à un avenir meilleur peut-être.
Une formidable allégorie, une touchante histoire d’amour qui laisse sans voix. Un roman dur, terrible, mais d’une bouleversante humanité, une tendresse qui garde vivant l’espoir malgré le pire.
Madame Drouin surprend dans cette première parution. Une phrase vivante, imagée et belle de soubresauts. Un texte qui a comme une parenté avec «L‘écume des jours» de Boris Vian. Ce n’est pas rien et surtout pas un reproche que je lui fais. Une véritable découverte.

« Quai 31 » de Marisol Drouin est paru aux Éditions de La Peuplade.