samedi 12 décembre 2009

Éloge de la merde et de la pisse

Avec Guy Perreault, nous basculons dans un univers sordide et plutôt inquiétant. «Ne me quittez pas», on serait tenter de le faire rapidement, présente ces individus qui ne savent pas rompre et tourner la page. Incapable d'affronter la réalité, ils préfèrent s'inventer un univers et se débattre avec des fantasmes qui peu à peu s'emparent de leur esprit. Dans «Eaux mortes», un homme abandonné tente de retrouver sa femme. Un mâle qui ne sait qu'uriner, boire, uriner encore jusqu'à faire déborder le bain, les éviers et les poubelles. Une bête mâle qui marque son territoire, l'orignal en rut qui ne sait plus se retenir. Il pisse sur les trottoirs, dans la cabine téléphonique! Très vite on se lasse de cette écriture qui ne dépasse jamais le stade anal. 
Le récit le plus réussi reste l'enfant au fond de la baignoire. Là, malgré certains égarements, l'auteur parvient à nous entraîner dans un monde fascinant. La séparation d'avec la petite morte ne se fait pas et la baignoire devient miroir et reflets.
Je n’avais encore rien lu pourtant. Dans «Étoile froide», je me suis heurté à la nécrophilie, la merde, une forme de cannibalisme, la sodomie et tout ce que vous pouvez imaginer. Un homme baise avec sa femme morte et semble vouer à l'érection perpétuelle. Bien sûr, il ne faut jamais lire ces textes au premier degré mais comment oublier toutes les horreurs et les immondices.

Contenu

On dira toujours que Guy Perreault sait manier la phrase mais faut-il pour autant oublier le contenu. Un texte, si bien écrit soit-il, ne me fera jamais oublier ces étreintes qui finissent dans la merde et la pisse. Un petit échantillon?
«L'anus se contracte mollement, desserre son étreinte. Une émission de merde en déborde, malgré la verge plantée au plus profond. Puis les sphincters se relâchent, laissant filer une ultime plainte. En même temps que les larmes, le sperme jaillit.» (p.63).
Il ne manque que l'odeur. Pour choquer dites-vous? Même pas. À oublier au plus sacrant.

«Ne me quittez pas!» de Guy Perreault est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 6 décembre 2009

Mylène Bouchard étonne et séduit

J’ai lu «La garçonnière» dans une sorte d’élan fou. Les personnages et cette histoire m’ont happé. L’écrivaine, qui présente ici son second roman, visite son histoire en multipliant les points de vue comme certains artistes en arts visuels savent le faire.
Les assises géographiques d’abord. L’Abitibi et le Lac-Saint-Jean. Deux régions sœurs et étrangères. Mara est née à Noranda, Hubert à Péribonka. Une ville et un village situés sur le 48e parallèle. Une ligne qui ceinture la Terre et traverse des centaines de villes. Deux régions éloignées, dissemblables et soeurs. Comme deux corps qui se frôlent sans vraiment se toucher, deux êtres qui nagent dans une même direction.
«Ainsi, Mara et Hubert étaient restés saisis de leur première poignée de main. Une route devrait impérativement les accoler. En fait, il y a une route pour aller et venir de l’un à l’autre de cet endroit, mais elle mobilise une journée de déplacement sur des chemins pourris, aux abords de brûlis à perte de vue.» (p.15)
Mara et Hubert sont prisonniers en quelque sorte de leurs lieux d’origine.
Beau voyage aussi dans la littérature, des films et des chansons qui portent cette histoire d’amour possible et imaginaire. Même Richard Desjardins devient un personnage.

Géographie

Un premier contact, une sorte de coup de foudre. Mara et Hubert deviennent les meilleurs amis du monde, des complices qui passent leurs nuits à discuter, à jongler avec des questions qui ne demandent pas nécessairement de réponses.
«Le futon était ouvert, béant dans le salon. Mara était belle, ce soir-là, toute simple. Dans la sensualité du film, nous nous étions rapprochés l’un de l’autre, à moins que j’aie rêvé, tout imaginé. Quelques centimètres nous séparaient. Il en manquait peu pour que je desserre la main, crispée, moite, et que je saisisse la sienne. J’avais du mal à me concentrer. J’étais bien, mais je souffrais de ne pouvoir foncer dans le noir. Dans l’inconnu. Pour dénouer les silences. Pour confirmer les étreintes.» (p. 56)
Il suffirait d’un geste, d’un regard. Il faudrait un abandon. Cette complicité les rapproche et les éloigne. Comme deux espaces géographiques qui ne seront jamais l’un et l’autre.
Ils se retrouvent à Montréal comme des milliers de jeunes qui quittent leur région pour des études, un travail et une vie autre.

Ensemble

Tous les voient ensemble. Amoureux ? Certainement. Complices, « frère et sœur de latitude » qui n’arrivent pas aux gestes physiques de l’amour. Et à trop se fréquenter, on finit souvent par s’éloigner.
«Aussi précipité que cela avait pu l’être ce matin-là, au Café Suspendu, leur lieu de prédilection à tous les deux, dans la maladresse de l’instant, ils s’étaient entendus sur l’idée de ne plus jamais, plus jamais se revoir, plus jamais… » (p. 120)
Elle devient vedette de la radio, lui écrivain en exil à Prague. Les régions siamoises peuvent devenir aussi des continents. Elle s’oublie dans le travail, les amourettes, les rencontres brèves. Il écrit comme pour lancer des cris de détresse, s’intéresse aux œuvres d’art.
Ils mettront une vie à se retrouver, à s’aimer comme ils auraient dû, le premier soir. À Beyrouth, les digues s’évanouissent. L’amour est là, fou. L’amour passion qu’ils consentent enfin à vivre.
«Mara et Hubert écrivaient leur propre histoire. Bien qu’ils commençassent à n’être plus guère en forme – fatigués, dépeignés, intemporels -, ils aimaient sortir, prendre l’air et exister là, comme seuls au monde. Comme une paire. De jeunes mariés. Avec l’illusion que cela durerait toujours et que personne ne remarquerait leur présence dans cette garçonnière de bord de mer qui semblait avoir été dessinée pour eux.» (p. 171)
« La garçonnière » est une magnifique réussite. Un ouvrage d’une étonnante profondeur malgré les apparences. Une fraîcheur aussi ! On ne peut qu’avoir envie de relire ce roman-puzzle, de s’y replonger pour en savourer tous les aspects.
Une grande histoire d’amour qui va dans plusieurs directions et hante toute une vie. Une passion qui s’appuie sur les éléments géographiques et des œuvres littéraires, qui remet en question une foule de comportements. Mylène Bouchard frappe juste et fort. J’ai adoré l’écriture, cet univers, les personnages qui prennent la parole tour à tour.

«La garçonnière» de Mylène Bouchard est paru aux Éditions La Peuplade.